Le
Père Daniel Meynen
|
Page n° 1 sur la Très Sainte
Trinité
Cher amis,
Dans le courant de l'année 1995, j'ai fait paraître un livre sur l'Eucharistie et sur l'Eglise, livre qui a pour titre : « L'Eucharistie : l'Eglise dans le Coeur du Christ. » Ce livre est disponible sur mon site web à l'adresse suivante : http://homily-service.net/franc/premlivr.htm
Grâce à un long travail de traduction accompli par Antoine Valentim, de Montréal (Canada), ce livre est également disponible en anglais à l'adresse suivante : http://homily-service.net/engl/frstbook.htm
Je signale ce fait, car, pour tâcher de développer quelques notions sur la Très Sainte Trinité, je vais commenter un passage de la Sainte Ecriture, savoir le verset 57 du chapitre 6 de l'évangile de Saint Jean, passage que j'ai également étudié dans le livre en question, et donc, que je vais présenter sous un jour très proche et très lié à cette étude initiale.
La présente étude ne sera sans doute pas facile à comprendre : la Très Sainte Trinité est et restera toujours un Mystère, une Vérité qui dépasse notre esprit. Cependant, j'essaierai d'être le plus clair possible. Parfois je ferai référence au livre dont je viens de parler ; en résumé, je le nommerai par les initiales EECC. A d'autres endroits, je citerai un auteur ou l'autre, soit ancien, soit moderne. Que chacun prenne le temps de peser ce que je dis ou d'analyser les citations qui seront faites cà et là au cours de cette étude.
Dans mon livre « L'Eucharistie : l'Eglise dans le Coeur du Christ », j'ai analysé l'argument scripturaire de Jean 6, 57 : « Tout comme le Père, qui m'a envoyé, est vivant, et comme je vis par le Père, ainsi celui qui me mange vivra par moi. » J'ai présenté ce passage de l'Ecriture comme le fondement sûr et absolu de la médiation de Marie. Dans cette optique, nous allons voir ensemble tout ce que la notion de la médiation de Marie nous permet, à l'aide de l'argument scripturaire de Jean 6, 57, de comprendre un peu du Mystère de la Très Sainte Trinité. En d'autres termes, nous verrons dans cette étude combien Marie-Médiatrice, reflet de la Divinité, nous aide à pénétrer plus au fond de ce grand Mystère de la Trinité des Personnes en Dieu.
Le premier membre de phrase : « Tout comme le Père, qui m'a envoyé, est vivant, et comme je vis par le Père » exprime l'union de vie du Père et du Fils, laquelle union trouve sa réalisation pleine et entière dans une personne différente du Père et du Fils, c'est-à-dire dans la personne de l'Esprit-Saint qui procède du Père et du Fils. La liturgie dit en effet que le Fils « vit et règne avec Dieu le Père dans l'unité du Saint-Esprit » (Conclusion de l'Oraison Collecte de la Messe). Or, dans le texte de Jean 6, 57, il existe une comparaison, ou une analogie, entre les deux membres de phrase : « Tout comme ... ainsi ... » Donc, nous pouvons dire que le deuxième membre de phrase : « ainsi celui qui me mange vivra par moi » exprime l'union de vie du Christ et de l'Eglise, laquelle union trouve sa réalisation pleine et entière dans une personne différente du Christ et de l'Eglise, c'est-à-dire dans la personne qui procède du Christ et de l'Eglise. Comme le Christ est appelé mystiquement « la Tête ... de l'Eglise » (Col. 1, 18), et comme l'Eglise est appelée tout aussi mystiquement « le corps du Christ » (1 Co. 12, 27), la personne qui procède du Christ et de l'Eglise peut être appelée la Personne mystique du Christ, ou l'union mystique du Christ-Tête et du Christ-Corps. Enfin, en vertu de l'analogie des deux unions exprimées chacune par un membre du texte scripturaire de Jean 6, 57, nous pouvons dire que la Personne mystique du Christ est semblable, au moins selon le rapport propre de la vie, à la Persnne même de l'Esprit - Saint. Or, la personne étant, de soi, individuelle, deux personnes ne peuvent avoir d'analogie et de similitude entre elles qu'en vertu du lien sponsal ou matrimonial qui les unit : « Ils ne sont plus deux, mais une seule chair. » (Mt. 19, 6) Nous pouvons ainsi conclure que la Personne mystique du Christ, ou l'union du Christ et de l'Eglise dans la communion eucharistique, est l'Epouse de l'Esprit-Saint, c'est-à-dire Marie, Mère du Christ et de l'Eglise, Médiatrice de Vie entre le Christ-Tête et le Christ-Corps.
Si nous voulons analyser plus en détails le passage scripturaire de Jean 6, 57, ce qu'il importe surtout de remarquer, c'est que l'aspect corporel de l'acte de la communion eucharistique, qui est essentiel à ce même acte lorsqu'il est considéré en lui-même (voir EECC, n° 103), est tout aussi et pleinement essentiel à cet acte lorsqu'il est considéré dans le contexte propre et particulier du texte scripturaire de Jean 6, 57.
Ainsi, un auteur contemporain, qui traduit Jean 6, 57 par ces mots : « De même que le Père qui est vivant m'a envoyé et que je vis à cause du Père, celui qui m'absorbe, lui aussi vivra à cause de moi », commente ce passage en disant : « Nous ne pouvons rendre toute la force de ce qui suit car le verbe grec "trôgueïn" que nous avons traduit par "absorber" est encore plus net ; il désigne nécessairement une manducation, et son emploi ici est certainement destiné à ne laisser subsister aucun doute quant à la matérialité de l'acte dont parle Jésus (...) Jésus enseigne donc comme étant indispensable une assimilation de son être humain par le nôtre, assimilation mystérieuse mais aussi réelle qu'il est possible et s'effectuant dans une action physique concrète (En note : C'est en d'autres termes le correspondant de l'idée centrale du paulinisme notre incorporation au Christ, dont l'exégèse contemporaine a mis en évidence les origines eucharistiques.) Par le moyen de ce que Saint Cyrille d'Alexandrie appelle très exactement cette "union physique", nous pourrons demeurer en lui et lui en nous. Ainsi s 'établira entre nous et lui une union analogue à celle qui existe entre lui et son Père, et dont l'effet sera que nous pourrons posséder, dans le Fils, la Vie qu'il tient du Père. C'est là l'esquisse d'un nouveau thème que Jésus reprendra dans les derniers entretiens avec ses disciples, après la Cène : notre union avec lui, image véritable de son union avec le Père. » (Louis Bouyer, Le quatrième évangile, pp. 129-130).
Dans le même ordre d'idée, un autre auteur, qui relate Jean 6, 57 en ces termes : «Comme le Père qui est vivant m'a envoyé et que je vis par le Père, ainsi celui qui me mange vivra aussi par moi», déclare, en parlant au nom du Seigneur : « Je vis par mon Père, d'où je tire ma subsistance et ma personnalité ; et de même que la plante vit par la racine qui lui transmet les sucs nourriciers, de même vous vivrez par moi, tenant de moi votre vie, comme je la tiens de mon Père ; car si le Père est la racine qui m'engendre, moi je suis le cep d'où vous sortez comme des sarments vivants : "Ego sum vitis vera et vos palmites". Et grâce à cette vie divine qui me vient de mon Père et que je vous transmets, vous vivrez en moi, et je vivrai en vous ; et nous serons unis, comme la vigne est unie au sarment, et le sarment à la vigne. » (Augustin Chometon, S.J., Le Christ, Vie et Lumière, Commentaire spirituel de l'Evangile selon Saint Jean, p. 176-177).
L'aspect corporel de la communion eucharistique suppose, de soi, le fait que le Christ et l'Eglise s'unissent entre eux pour leur médiateur commun (voir EECC n° 52), qui est Marie-Médiatrice, mais qui est aussi, par le fait même, le Christ, et donc Dieu en personne. Aussi retrouvons-nous cette notion exprimée dans le passage scripturaire de Jean 6, 57, ainsi qu'en témoignent les deux analystes suivants.
Le premier, le Père M.-J. Lagrange, en se demandant quel pouvait être le résultat de l'union de l'homme au Fils de Dieu, répond ainsi (après quelques lignes d'analyse textuelle basée sur un texte de Saint Augustin) : « Le point de départ est la mission, donc pour faire l'oeuvre du Père (cf. Jn. 3, 34 ; 17, 8). Il y a d'ailleurs moins de disproportion entre l'intention du Fils incarné envers le Père et l'intention de celui qui communie envers le Fils, qu'entre la vie divine reçue par le Fils, et celle qu'il donne à l'homme (...) Nous aurions ainsi une idée nouvelle, d'une haute valeur : en s'unissant au Fils de Dieu, l'homme apprend à lui consacrer sa vie. C'est d'ailleurs le sens des anciennes versions. » (Evangile selon Saint Jean, pp. 185-186) Notons que le Père Lagrange traduit ainsi Jean 6, 57 : « De même que le Père qui vit, m'a envoyé et que je vis pour le Père, ainsi celui qui me mange vivra pour moi. » (ibid., pp. 185-187)
Le second nous rapporte une interprétation similaire du texte sacré : « Les mots que nous lisons ici : "De même que moi, envoyé par le Père qui est vivant, je vis par lui ; ainsi, celui qui me mange, vivra par moi" (Jn. 6, 57), invitent expressément à chercher dans les relations qui unissent le Père et le Fils, le modèle, et plus que le modèle, le principe même de l'union réalisée entre Jésus et nous. L'Eucharistie produit l'union, et l'union entraîne notre transformation au Christ. Cette transformation à son tour fait que son amour devient le principe de notre vie ; nous vivons par lui, mais vivre par lui c'est aussi vivre « pour » lui. De l'union découle notre consécration à son service, tout comme le Fils qui vit par le Père, vit aussi pour celui qui l'a envoyé. Par l'Eucharistie se réalise donc une « consécration de notre vie à la vie même de Dieu. » (Paul-Marie de la Croix, O.C.D., L'Evangile de Jean et son témoignage spirituel, p. 191)
Nous continuerons cette étude la fois prochaine, s'il plaît à Dieu...
Page n° 2 sur la Très Sainte
Trinité
Chers amis,
Dans notre première page sur la Divine Trinité, nous avons vu que, d'une manière générale et globale, le passage scripturaire de Jean 6, 57 nous parle de la comparaison, établie par le Seigneur lui-même, entre la Très Sainte Trinité et les trois personnes unies mystiquement et sacramentellement dans l'acte de la communion eucharistique : le Christ, Marie-Médiatrice, et l'Eglise. Or, relativement à la Très Sainte Trinité, Marie-Médiatrice, parce qu'elle est l'Epouse mystique de l'Esprit-Saint, est l'Epouse de la Trinité Sainte tout entière. En effet, quoique différentes entre elles, les trois divines personnes ont cependant un trait de ressemblance dû à leur agir propre au sein de la divinité : le Fils est bien semblable au Père, puisqu'il en est "l'image" (Col. 1, 15), et l'Esprit-Saint est bien semblable au Fils, le premier Paraclet, l'Esprit-Saint étant lui "cet autre Paraclet" (Jn. 14, 16). Donc, étant donné que l'époux et l'épouse sont simplement semblables entre eux, et que l'acte de vie de Marie-Médiatrice, en tant qu'union personnelle du Christ-Tête et du Christ-Corps, n'est autre que l'acte sacramentel de la communion eucharistique, on doit penser et croire absolument que l'acte de vie de la Divine Trinité et celui de la Personne mystique du Christ dans la communion eucharistique ne sont pas seulement analogues, mais bien simplement semblables entre eux.
La Très Sainte Trinité étant la fin ultime de toutes choses, et la communion eucharistique, relativement à la médiation de Marie, étant un moyen en vue d'une fin, il est tout à fait clair, en vertu de ce qui précède, que l'acte sacramentel et mystique de la communion eucharistique est, dans l'ordre de la médiation de Marie, le moyen unique pour connaître parfaitement la Divine Trinité dans son acte de vie propre et essentiel, et ce, en mettant particulièrement en évidence la personne même de l'Esprit-Saint, Epoux de Marie dans le Christ. Et ceci est pleinement conforme à ce qu'enseigne la Tradition de l'Eglise, sur laquelle repose pareillement toute la réalité de la médiation de Marie elle-même. Qu'il nous suffise de rappeler que «Saint Hilaire (de Poitiers) prouvait, de l'union et pour ainsi dire de l'unité qui s'établit entre le Christ et celui qui reçoit son corps, l'unité qui existe entre le Fils et le Père ... (Ainsi) au témoignage de ce docteur, appuyé sur le témoignage de Jésus-Christ lui-même, l'Eucharistie révèle la divinité de Jésus-Christ et la consubstantialité du Fils avec le Père.» (Th. M. Thiriet, O.P., L'Evangile médité avec les Pères, Tome III, pp. 197-198) Un texte éloquent de Saint Hilaire de Poitiers se trouve dans la Patrologie Latine : 10, 248-249.
Compte tenu de ce qui vient d'être dit, savoir la similitude simple et une entre la vie trinitaire et la vie eucharistique, rappelons, pour commencer, que, de soi, la vie est un principe. Aussi, comme il s'agit ici de la vie de Dieu, et comme Dieu ne dépend d'aucun être que de lui-même, le principe qui donne la vie à Dieu ne peut être que Dieu lui-même. Mais, en vertu de la similitude, que nous venons d'évoquer, entre la vie trinitaire et la vie eucharistique, la vie en Dieu ne peut se concevoir sans la notion de changement, sans un passage de la puissance à l'acte. Donc, Dieu, pour vivre, doit pouvoir être considéré tout à la fois comme puissance et comme acte. Notons bien, pour être clair et précis, que la notion de puissance, et donc de changement, en Dieu n'est introduite ici que par une similitude établie par l'esprit humain cherchant, du mieux qu'il lui est permis et possible, de pénétrer dans cet univers insondable de la divinité. La suite de ce raisonnement montrera au lecteur toute l'utilité et le bien-fondé de cette démarche.
La divinité peut s'envisager de deux manières : en tant qu'essence, et en tant que personnes. Considéré selon son essence, Dieu est acte pur : la vie ne le concerne donc pas sous ce rapport. Considéré selon les personnes, Dieu possède une vie intime qu'il nous a révélée par l'intermédiaire de son Fils fait chair, selon le texte que nous commentons : « ... le Père ... est vivant ... et ... je vis par le Père ...» (Jn. 6, 57). Cela veut dire que la vie de Dieu selon les personnes doit être comprise ainsi : le Père est proprement la personne qui donne la vie à son Fils ; et le Fils est proprement la personne qui reçoit la vie de son Père. Or, selon la révélation même du Christ, tous deux, Père et Fils, ne sont pas en puissance mais bien en acte de vie, chacun selon le rapport qui lui est propre. Donc, la vie en tant que puissance ne concerne ni le Père ni le Fils. On peut donc conclure que la Vie de Dieu dépend nécessairement de la personne de l'Esprit-Saint : seul celui qui est appelé «la Puissance du Très-Haut» (Lc. 1, 35) permet de considérer Dieu comme puissance et comme acte tout ensemble. Notons bien que, dans le cadre de cette étude, la notion de puissance passive doit nécessairement être jointe, d'une manière simple et une, à la notion de puissance active (voir EECC, n° 44), fait qui permet d'appliquer parfaitement à notre sujet l'expression biblique : «la Puissance du Très-Haut» (Lc. 1, 35).
La notion de Dieu comprend en elle la notion d'infini : Dieu est l'être sans limite. Sa puissance, en particulier, est donc infinie. Aussi, l'Esprit-Saint est la Puissance du Très-Haut en plénitude : toute sa Personne est Puissance. Ceci entraîne donc dans la vie de Dieu, un passage en plénitude de la puissance à l'acte, un changement infini. C'est à ce changement sans fin, à ce mouvement éternel, que nous participons pleinement dans l'acte sacramentel de la communion eucharistique : «La communion nous associe à la vie intime de la Trinité ... Conduit au Père par Jésus et à Jésus par le Père, entraîné dans leur mutuel amour, je suis dans l'Esprit-Saint, Mouvement éternel de l'amour du Père et du Fils.» (M.-V. Bernadot, De l'Eucharistie à la Trinité, p. 27-28)
Comme Dieu est acte pur, et, par conséquent, immuable, ce changement infini en Dieu ne peut se concevoir que dans la mesure où ce changement est renvoyé à l'infini, au-delà de tout commencement et de toute fin. Cela veut dire que, dans la Vie de Dieu, le changement n'a jamais commencé, et que, par le fait même, il n'a jamais fini. Or, ce changement infini ne peut être tel que si Dieu accomplit éternellement un et un seul acte de vie, un acte absolument premier sans qu'il n'y en ait jamais de second. Ainsi, la notion de puissance infinie de Dieu est indissociable de l'acte unique et premier de la Vie de Dieu. Comme le premier acte de vie, c'est la génération, nous voyons que l'Esprit-Saint est la Puissance du Très-Haut qui permet au Père d'engendrer éternellement son Fils bien-aimé : «Tu es mon fils, c'est moi qui t'ai engendré aujourd'hui.» (Ps. 2, 7)
Nous continuerons cette étude trinitaire la fois prochaine, s'il plaît à Dieu...
Page n° 3 sur la Très Sainte
Trinité
Chers amis,
La Vie de Dieu consiste en un acte unique et éternel de génération. Mais comme nous l'avons fait remarquer dans notre deuxième page sur la Très Sainte Trinité, cet acte unique et éternel exclut tout changement dans la Vie de Dieu. Par conséquent, en Dieu, la puissance ne peut exister en elle-même, mais seulement dans la dépendance exclusive et absolue de cet acte unique et éternel de Vie. Autrement dit, en Dieu, la puissance existe totalement hors d'elle-même : elle n'existe que dans la mesure où elle se donne pleinement à cet acte unique de génération divine. C'est pourquoi le propre de l'Esprit-Saint, ou Puissance de Dieu, est d'exister en tant que Personne-Don, ou Don en plénitude : «Par l'Esprit-Saint, Dieu "existe" sous le mode du don ; c'est l'Esprit-Saint qui est l'expression personnelle d'un tel don de soi.» (S.S. le Pape Jean-Paul II , Encyclique sur l'Esprit-Saint "Dominum et vivificantem", première partie, n. 10). Ainsi, du fait de l'infinité de Dieu, c'est-à-dire en vertu de son essence même, la puissance de Dieu est absolument inséparable de l'acte de la génération divine : la Vie de Dieu est tout à la fois et éternellement acte et puissance.
Si l'Esprit-Saint, en tant que Personne-Don, est entièrement donné à Marie-Médiatrice, son Epouse dans le Christ (et c'est ce qu'il faut penser et croire pour que l'un et l'autre soient véritablement époux entre eux), alors, étant donné que la communion eucharistique est l'acte par lequel et dans lequel Marie-Médiatrice reçoit mystiquement l'existence (ainsi que nous l'avons évoqué dans notre première page), l'Esprit-Saint doit être considéré comme la Puissance du Très-Haut qui permet, non seulement l'acte éternel de la génération du Fils par son Père, mais encore et tout en même temps l'existence en acte de son Epouse mystique, Marie, médiateur d'ordre corporel entre le Christ-Tête et le Christ-Corps. Ceci permet alors d'affirmer nettement que la substance de la relation de spiration active consiste dans la conception éternelle du corps spiritualisé de Marie-Médiatrice, Mère du Christ total, c'est-à-dire Tête et Corps tout ensemble, conception qui est l'acte unique de la «Puissance du Très-Haut» (Lc. 1, 35), dans le Don de soi parfait et plein au Père qui engendre son Fils, le Verbe, Archétype de toute la Création.
Nous pourrions nous étendre sur ce sujet, mais ce serait entrer dans une discussion ecclésiologique, qui est hors de notre propos. Aussi, revenons à la Divine Trinité. «Dieu est esprit.» (Jn. 4, 24) Son acte éternel de vie ou acte de génération consiste donc à produire en lui une pensée. Comme Dieu est parfaitement simple, la pensée que Dieu engendre est nécessairement un retour sur soi, total et plein ; sa pensée est Dieu comme lui : c'est son Verbe ou Parole. Mais comme produire une pensée est proprement une action de l'intelligence, ainsi, le Père engendre le Verbe, son Fils, par mode d'intelligence ou de connaissance. La Vie de Dieu, considérée en tant que génération du Fils-Verbe par le Père, est donc fondée sur la notion de connaissance.
En vertu de la similitude existant entre la Vie divine trinitaire et la communion eucharistique, ce qui vient d'être dit au sujet de la Vie de Dieu reste vrai quant à l'acte sacramentel et vital de la communion : «Que signifient les chapitres 1 à 9 du livre des Proverbes, sinon ceci : qu'à tout homme est offerte la possibilité de communier à la Sagesse même de Dieu, pourvu seulement qu'il observe fidèlement les maximes de sagesse ? Le chapitre 6 du Quatrième Evangile prolonge et précise de la manière la plus étonnante cette intuition magnifique : «De même que le Père qui est vivant m'a envoyé et que je vis par le Père, ainsi celui qui me mange vivra, lui aussi, par moi.» (Jn. 6, 57) Le Fils de Dieu incarné est détenteur de toutes les richesses de la vie divine qu'il reçoit continuellement de son Père ; par le mystère eucharistique, cette vie est transmise à ses disciples qui participent ainsi véritablement en Jésus à la vie même de Dieu.» (A. Feuillet, Le discours sur le pain de vie , p. 122 )
Toute connaissance est un bien propre possédé par l'esprit qui connaît ; ici, comme Dieu se connaît pleinement lui-même, la connaissance de Dieu n'est autre que le Bien en plénitude, ou Bien parfait. Comme tout bien est donnable, et comme la connaissance de Dieu en plénitude, ou Bien parfait qu'il possède, est le fondement de la génération de la Parole parfaite du Père, laquelle génération dépend en tout de la Personne-Don ou Puissance de Dieu, ainsi, la Connaissance de Dieu en plénitude est nécessairement le propre absolu et exclusif de l'Esprit-Saint : «Nul ne connaît ce qui est en Dieu, si ce n'est l'Esprit de Dieu.» (1 Co. 2, 11) Cependant, affirmer, comme nous venons de le faire, que la Connaissance de Dieu est le propre absolu et exclusif de l'Esprit-Saint suppose deux faits, que nous allons établir à l'aide de la similitude existant entre l'acte de Vie trinitaire et celui de la communion eucharistique : l'un, que tout attribut divin, quel qu'il soit, puisse être considéré de soi comme distinct de l'essence divine elle-même ; l'autre, que la Connaissance de Dieu soit le propre - d'une manière directe - de l'Esprit-Saint, à l'exclusion du Père et du Fils.
Quant au premier fait, savoir que tout attribut divin peut être considéré comme essentiellement distinct de l'essence divine, il nous faut rappeler que l'acte vital de la communion eucharistique est proprement celui dans lequel coexiste la puissance en vertu de laquelle ce même acte reçoit l'existence, puissance qui doit toujours être comprise tant d'une manière passive que d'une manière active. A ce sujet, il n'est pas inutile de produire un témoignage tout à fait éloquent, celui que voici : « Ame pieuse, vous vous recueillez profondément, vous formulez dans votre coeur un désir ardent. Touché, pressé par ce désir, Jésus s'élance vers son épouse bien-aimée : le voilà dans votre coeur ! ... Ce n'est plus Dieu qui est le souverain Maître ; ce n'est plus la créature qui est la servante. Mais la créature devient maîtresse souveraine de Dieu ; et Dieu se fait, de la créature, le serviteur le plus docile et le plus empressé. "Je ne suis pas venu au milieu de vous, disait Jésus, pour être servi, mais pour servir." La communion spirituelle est vraiment une toute-puissance donnée à la créature sur le Créateur, à l'âme pieuse sur Jésus ! Et le Père Faber a raison : "La communion spirituelle est une des plus grandes puissances de la terre !" » (Mgr. de Gibergues , La Sainte Communion, pp. 208-209).
Ainsi, la notion de connaissance étant le fondement même de la Vie divine trinitaire, on doit affirmer nettement, en vertu de la similitude simple entre l'acte de Vie divine et l'acte sacramentel de la communion, que l'attribut divin de la connaissance, et par là même tout attribut divin, est, d'une part, pleinement relatif à la Vie divine en acte, et, d'autre part, pleinement relatif à la Vie divine en puissance. Par le fait même, tout ceci permet de dire absolument que, relativement à la Vie divine en acte, tout attribut divin ne peut aucunement être distingué de l'essence divine, mais que, relativement à la Vie divine en puissance, tout attribut divin doit être distingué de l'essence divine, et ce, en vertu du mode - celui de la puissance - selon lequel la Vie divine trinitaire est envisagée.
Quant au second fait, savoir que la Connaissance de Dieu est, directement, le propre et l'exclusif de l'Esprit-Saint, commençons par rappeler que c'est proprement par mode vital (celui de la nourriture) que la Connaissance de Dieu est communiquée à l'homme dans l'acte de la communion eucharistique. Or, ce même acte de la communion est et ne peut pas ne pas être, de soi, l'acte vital de Marie-Médiatrice en personne. Par conséquent, il est tout à fait clair que la Connaissance de Dieu communiquée dans l'acte de la communion eucharistique possède essentiellement une dimension proprement personnelle. En vertu de la similitude existant entre l'acte de Vie trinitaire et celui de la communion sacramentelle, la Connaissance de Dieu, dans la Trinité, possède, de soi, une dimension véritablement et fondamentalement personnelle. Autrement dit, en Dieu-Trinité, le fait de connaître est totalement relatif au sujet qui connaît ; la Connaissance est un acte proprement personnel : «Personne ne connaît le Fils, sinon le Père, et personne ne connaît le Père, sinon le Fils.» (Mt. 11, 27)
Et tout ceci nous permet d'affirmer sans hésiter que la Connaissance de Dieu est nécessairement le propre absolu et exclusif de l'Esprit-Saint. En effet, la Connaissance de Dieu, qui s'accomplit par mode de Révélation, et donc d'une manière tout à fait libre et gratuite, est de l'ordre du don : dans l'acte de la communion eucharistique, la Connaissance de Dieu est un don libre et gratuit fait à l'homme par la Divine Trinité. De plus, humainement parlant (et c'est ce qu'il faut faire dans le contexte de la médiation de Marie, qui est régie par la règle d'association simple et une entre la Révélation divine et la philosophie humaine, celle-ci étant la référence de base de ladite règle ; voir EECC, n. 39 et 40), c'est seulement et uniquement dans le mariage qu'un homme (l'époux) ou une femme (l'épouse) s'unit au don personnel de son conjoint : librement, l'époux se donne d'une manière personnelle à son épouse, et réciproquement. Donc, puisque Marie-Médiatrice n'est l'Epouse de toute la Divine Trinité que parce qu'Elle est directement l'Epouse de l'Esprit-Saint, on ne peut pas ne pas déclarer certainement que la Connaissance de Dieu est le propre absolu et exclusif de l'Esprit-Saint.
Nous continuerons cette étude trinitaire la fois prochaine, s'il plaît à Dieu...
Page n° 4 sur la Très Sainte
Trinité
Chers amis,
Dans les pages qui prédèdent, nous avons vu comment l'Esprit-Saint est entièrement donné au Père et au Fils-Verbe dans l'acte unique de Vie divine ou acte de génération, et ce, par mode de connaissance. Aussi, le Père et le Fils possèdent chacun, d'une manière absolue et pleine, l'Esprit en tant que Connaissance de Dieu. Autrement dit, par le fait même qu'ils sont en acte de Vie, le Père et le Fils sont en acte de connaissance. C'est ce que le Christ a enseigné lui-même par ces paroles : «La vie éternelle consiste en ce qu'ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ.» (Jn. 17, 3) Et : «Père juste, le monde ne t'as pas connu, mais moi, je t'ai connu, et ceux-ci ont reconnu que c'est toi qui m as envoyé.» (Jn. 17, 25)
Pour illustrer notre propos, lisons ensemble ces quelques notes, très profondes, et fort spirituelles, au sujet de la Sagesse et de la Connaissance de Dieu : «Le huitième fruit de l'Eucharistie, c'est le trésor de toutes les richesses : Dieu enrichit l'âme du don ou du trésor de la Sagesse, et cette Sagesse fait que l'âme, quoi qu'elle fasse, n'a jamais à se repentir de ce qu'elle a posé. Or, la Sagesse en Dieu est cette lumière par laquelle il se connaît lui-même, lumière inaccessible à toute créature. Cependant, dans la mesure où l'âme participe à la connaissance et à l'amour de Dieu, dans cette même mesure, ni plus ni moins, elle est unie à Dieu et Dieu s'unit à elle. Dans cette union de l'amour, l'âme n'est pas seulement avec Dieu, par la grâce, mais elle devient en quelque sorte Dieu en Dieu, par cette même grâce. Prenons garde toutefois de bien comprendre. Certes, celui en qui la Sagesse elle-même habite est comme le temple de Dieu Tout-Puissant où Lui-même demeure. Dieu, en effet, aime celui en qui la Sagesse réside ; Il satisfait à tous ses désirs, puisqu'Il est lui-même la Sagesse. Car Dieu se connaît et s'aime en tout. C'est même cette Sagesse qu'il recommande en tout, car elle n'est pas seulement la source de toute béatitude ; elle est la béatitude elle-même. Non, Dieu ne peut pas faire à l'homme un don plus précieux que la Sagesse. N'est-elle pas la joie souveraine, la suprême béatitude dont jouit éternellement la Très Sainte Trinité ?» (Maître Eckard, dans les Oeuvres complètes de Jean Tauler, Tome VIII, p. 389-390 - Traduction littérale de la version latine du Chartreux Surius).
Résumons ce qui a été développé précédemment. «Nul ne connaît ce qui est en Dieu, si ce n'est l'Esprit de Dieu» (1 Co. 2, 11) : la Connaissance de Dieu en plénitude est le propre absolu et exclusif de l'Esprit-Saint. Or, c'est nécessairement en tant qu'Epoux de Marie dans le Christ que l'Esprit-Saint peut être ainsi considéré comme le possesseur exclusif et absolu de la Connaissance de Dieu. Par conséquent, étant donné que l'Epoux et l'Epouse «ne font plus qu'une chair» (Gn. 2, 24), la Connaissance de Dieu, pour pouvoir être le propre absolu et exclusif de l'Esprit-Saint, ne peut pas ne pas posséder, de soi, une dimension d'ordre proprement corporel, et ce, d'une manière tout à fait surnaturelle et mystique, c'est-à-dire pleinement relative à la médiation de Marie.
Tout ceci se retrouve pleinement dans l'acte sacramentel de la communion eucharistique : la Connaissance de Dieu, et donc la Vie de Dieu - puisque, pour Dieu, vivre et connaître, c'est tout un - possède, dans l'acte sacramentel de la communion, un aspect véritablement corporel. A ce propos, il n'est pas inutile de citer le passage qui suit, où l'aspect en question est particulièrement bien décrit, surtout quant à la dimension sponsale de l'acte de la communion eucharistique : «Il est écrit : "Le corps de l'épouse n'est pas en sa puissance, mais en celle de l'époux" (1 Co. 7, 4) ; et je l'ai déjà médité, toute âme qui porte en soi la grâce, est pour Jésus-Christ une épouse. Donc mon corps, si j'ai le bonheur de posséder sa grâce en mon coeur, appartient à Jésus-Christ : il est à lui par le baptême où s'est nouée l'alliance en des engagements réciproques ; il l'est plus parfaitement par le don mutuel qui se fait dans l'Eucharistie. L'épouse, les serments une fois échangés devant les autels, est à l'époux ; mais qui ne sait quelle force donne à leur union la consommation de leur alliance ? Ainsi la communion resserre et parfait l'union de notre corps au corps du Seigneur. Ceci est mon corps, prenez-le, dit Jésus. Et le fidèle qui le reçoit pour en jouir, répond à son tour par l'acceptation qu'il en fait et par la donation de soi-même qui l'accompagne : A vous aussi mon corps avec tous ses membres et tout ce que je suis. "Mon bien-aimé est à moi, et je suis à mon bien-aimé." (Cant. 2, 16) L'union principale se fait par l'esprit ; mais comme l'union des corps est le principe de cette union spirituelle, il faut aussi qu'elle en soit la conséquence.» (J.-B. Terrien, S.J. , La grâce et la gloire, Tome II, pp. 115-116)
Relativement à l'Esprit-Saint et à Marie-Médiatrice considérés comme époux l'un de l'autre, la Connaissance de Dieu possède essentiellement une dimension d'ordre proprement corporel. Comme il s'agit ici du contexte de la médiation de Marie, nous devons envisager cette dimension d'ordre corporel tant d'une manière naturelle (en premier lieu) que d'une manière surnaturelle (en second lieu). Or, naturellement parlant, l'Esprit-Saint - comme son nom l'indique - est uniquement spirituel, tandis que Marie-Médiatrice - qui est une personne humaine - est tout à la fois spirituelle et corporelle. De plus, quant à Marie-Médiatrice, c'est proprement la foi corporelle (c'est-à-dire la foi dans sa relation au Corps mystique du Christ) de cette même personne humaine qui permet de considérer la Connaissance de Dieu dans sa dimension d'ordre proprement corporel. Finalement, étant donné que la foi est, de soi, un moyen ou un intermédiaire, il faut conclure, de tout ce qui précède, que, si l'on doit admettre une dimension proprement corporelle de la Connaissance de Dieu, alors, cette même Connaissance de Dieu - c'est-à-dire la Vie même de Dieu - possède un quelconque milieu, et ce, par le moyen et par l'intermédiaire de la foi corporelle de Marie-Médiatrice.
Surnaturellement parlant, étant donné que la philosophie humaine est la référence de base de l'association simple et une entre la philosophie humaine et la Révélation divine (association qui régit de soi la médiation de Marie), nous devons nécessairement aboutir à la même conclusion qu'il existe un véritable milieu au sein même de la Vie de Dieu, un intermédiaire dans l'acte de génération du Fils par le Père, acte accompli par mode de Connaissance.
En effet, surnaturellement parlant, la dimension corporelle de la Connaissance de Dieu est pleinement relative à l'Esprit-Saint et à Marie-Médiatrice considérés ensemble comme «une chair» (Gn. 2, 24), ou un corps. Or, tout ceci suppose que la Connaissance de Dieu est, en Dieu-Trinité, un acte proprement personnel : «Personne ne connaît le Fils, sinon le Père, et personne ne connaît le Père, sinon le Fils.» (Mt. 11, 27) Donc, surnaturellement parlant, pour pouvoir parler d'une dimension corporelle de la Connaissance de Dieu, il faut admettre que, quant à l'acte de Vie trinitaire de la génération du Verbe, lorsque le Père et le Fils sont en acte de connaissance, le Père connaît relativement à sa personne de Père, et le Fils connaît relativement à sa personne de Fils. Comme la notion de connaissance est le fondement de la génération du Fils par le Père, ainsi, le Père connaît en tant qu'il est personnellement celui qui engendre, et le Fils connaît en tant qu'il est personnellement celui qui est engendré.
Dieu est esprit ; par le fait même, sa connaissance est absolument simple et non-composée. Donc, comme le Père et le Fils sont un seul Dieu, la connaissance du Père et la connaissance du Fils sont identiques. Or, en elles-mêmes, la connaissance du Père, qui est la connaissance de celui qui engendre, et la connaissance du Fils, qui est la connaissance de celui qui est engendré, ne sont nullement identiques, mais bien différentes et totalement opposées. Il est donc nécessaire que, dans la Vie de Dieu, intervienne un élément médiateur entre le Père et le Fils, capable de les concilier et de les unir sur le rapport de la génération. Or, comme l'Esprit-Saint, en tant que Connaissance de Dieu, est possédé pleinement et par le Père, et par le Fils, la connaissance du Père et la connaissance du Fils, c'est-à-dire la connaissance de celui qui engendre et la connaissance de celui qui est engendré, réside, d'une manière pleine et entière, dans la personne de l'Esprit-Saint qui, seul, «connaît ce qui est en Dieu.» (1 Co. 2, 11) Ainsi, nous pouvons affirmer que le médiateur nécessaire dans la Vie de Dieu n'est autre que l'Esprit de Dieu lui-même : l'Esprit-Saint est la personne qui unit le Père et le Fils dans la vie intime trinitaire.
Nous continuerons cette étude trinitaire la fois prochaine, s'il plaît à Dieu...
Page n° 5 sur la Très Sainte
Trinité
Chers amis,
Résumons ce que nous avons établi précédemment. Toute la Personne de l'Esprit-Saint ou Puissance de Dieu n'existe que dans la dépendance de l'acte unique de la Vie divine, et la notion de connaissance est la seule qui nécessite un médiateur dans la génération du Fils par son Père. De cela, il suit que toute la personne de l'Esprit-Saint ne peut être comprise en dehors de cette même notion de connaissance : la personne de l'Esprit-Saint est la Connaissance de Dieu en plénitude. Ainsi donc, dans la Vie de Dieu, apparaît un médiateur ou un lien entre le Père et le Fils, en la personne de l'Esprit-Saint, qui est alors la Personne-Connaissance ou encore la Personne-Vie : «Il est Seigneur et il donne la Vie» (Credo).
Ce que nous venons de dire permet d'affirmer, premièrement, que, en tant que termes extrêmes de la médiation de l'Esprit-Saint, le Père et le Fils sont parfaitement semblables et identiques entre eux quant à l'acte de Vie divine par mode de Connaissance. Autrement dit, relativement à la médiation de Marie quant à l'acte de Révélation divine trinitaire, le Père engendre le Fils (parce que le Père connaît le Fils), et, semblablement, le Fils engendre le Père (parce que le Fils connaît le Père) : «Personne ne connaît le Père, sinon le Fils et celui à qui le Fils veut bien le révéler.» (Mt. 11, 27) Deuxièmement, tout ce qui précède nous autorise à déclarer sans hésiter que l'Esprit-Saint n'est médiateur entre le Père et le Fils que dans la mesure où il est personnellement «la Puissance du Très-Haut» (Lc. 1, 35) qui permet l'acte de génération du Verbe par voie de connaissance, puisque le fait, selon lequel l'Esprit-Saint - étant seul, comme médiateur, au milieu de la Divine Trinité - est plus parfait que le Père et le Fils pris conjointement et ensemble, ne peut être en aucun cas dissocié de cet autre fait - fondement du précédent, par mode d'équilibre et d'harmonie - fait selon lequel l'Esprit-Saint, en tant que puissance ordonnée à l'acte de la génération du Verbe, est moins parfait que le Père et le Fils, qui sont en acte de Vie par voie de Connaissance. Autrement dit l'Esprit-Saint Epoux de Marie, et donc, par le fait même, Marie-Médiatrice elle-même, est, de soi, le Médiateur Tout-Puissant, ou encore le Médiateur-Type.
Pour illustrer quelque peu tout notre propos, voici un beau texte où l'Esprit-Saint apparaît comme notre chemin (ou notre médiateur) pour aller du Père à Jésus, et de Jésus au Père : «C'est dans l'Esprit-Saint, ô Père, que vous me menez à Jésus. C'est dans l'Esprit-Saint, ô Jésus, que vous me conduisez à notre Père : il est votre Don... "Il m'enseigne tout." (Jn. 14, 26) Il achève de tout me livrer... C'est par lui qu'achève de se réaliser votre prière suprême, ô Jésus, Maître adoré : "Père Saint... je leur ai donné la gloire que vous m'avez donnée, afin qu'ils soient un comme nous sommes un, moi en eux et vous en moi, qu'ils soient consommés en un et que le monde connaisse... que vous les avez aimés comme vous m'avez aimé". (Jn. 17, 20-23)» (M.-V. Bernadot, De l'Eucharistie à la Trinité, p. 28)
Au coeur de la Très Sainte Trinité, apparaît la Personne-Vie : l'Esprit-Saint, lien et médiateur entre le Père et le Fils dans l'acte unique et éternel de la Vie divine. Autrement dit, la notion de Médiateur est fondamentale pour comprendre intimement, selon la Révélation que Dieu fait de sa propre Vie, la personne même de l'Esprit-Saint en tant que Connaissance de Dieu.
Et ceci nous permet trois considérations relatives aux appellations propres à la troisième Personne de la Divine Trinité. Premièrement, nous voyons que la nécessité d'un médiateur entre le Père et le Fils est fondée sur l'aspect spirituel, et, par le fait même, simple et un, de la divinité : un médiateur entre le Père et le Fils ne devient nécessaire qu'en vertu du fait selon lequel l'attribut divin de la Connaissance - et d'ailleurs tout attribut divin - peut ne pas être distingué de l'essence divine elle-même. D'ou' il suit que le Médiateur de la Vie de Dieu porte le nom personnel d'Esprit.
Deuxièmement, nous constatons que le rôle de médiateur est propre à l'Esprit-Saint parce que, seul, il connaît toute la Vie de Dieu, aussi bien l'aspect de celui qui engendre que l'aspect de celui qui est engendré ; mais il ne connaît pas ces deux aspects de la génération sous le mode de l'acte, car alors il serait ou le Père ou le Fils, et il ne pourrait pas être le médiateur entre le Père et le Fils ; l'Esprit-Saint connaît donc ces deux aspects de la génération sous le mode de la puissance. Cependant, pour l'Esprit-Saint, connaître sous le mode de la puissance n'est nullement une ignorance complète et totale, mais bien une connaissance parfaite et pleine, puisque la puissance dont il s'agit est une puissance infinie, entièrement donnée à l'acte éternel auquel elle est ordonnée et dans lequel elle coexiste en plénitude. Donc, pour cette raison, l'Esprit-Saint est proprement appelé «la Puissance du Très-Haut» (Lc. 1, 35) qui permet au Père d'engendrer éternellement son Fils.
Troisièmement, en tant que médiateur, l'Esprit-Saint nous apparaît comme la Personne-Connaissance ou Connaissance de Dieu en plénitude, qui est en elle-même l'unique et simple connaissance de la divinité. Or, la connaissance, en tant que bien possédé par le sujet connaissant, procure le repos et le bonheur à ce même sujet. Donc, l'Esprit-Saint, en tant que Bien possédé en plénitude, procure le repos parfait à toute la divinité, c'est-à-dire au Père, au Fils, et à lui-même. Or, d'une part, le Père et le Fils sont en acte de connaissance ; d'autre part, l'Esprit-Saint est en puissance de connaissance. Donc, seuls, le Père et le Fils possèdent le repos parfait en eux-mêmes ; et l'Esprit-Saint ne possède ce même repos parfait que dans la mesure où ce même Esprit existe totalement dans le Père et dans le Fils, et non en lui-même, c'est-à-dire dans la mesure où il est entièrement donné au Père et au Fils dans cet acte unique et éternel de génération divine par mode de connaissance : «Dans l'Esprit-Saint, la vie intime du Dieu un et trine se fait totalement don.» (S. S. Jean-Paul II, Encyclique "Dominum et vivificantem", première partie, n° 10)
Au sujet des appellations de l'Esprit-Saint, voici un texte éloquent, et plein d'audace : «Ne jugerions-nous pas, selon nos petites lumières, que ce serait un surcroît de gloire, et un parfait accomplissement à cette bonté infinie du Saint-Esprit, si elle [cette bonté du Saint-Esprit] était aussi le principe d'une Personne divine ; mais cela est impossible dans l'enclos de la Très Sainte Trinité. Pourquoi disons-nous cela ? La foi nous l'enseigne, et cela suffit pour nous tenir fermes dans cette croyance ; mais si après nous être captivés à la croire, il nous était permis de lever les yeux de notre faible raison pour la regarder, nous verrions que cette bonté infiniment féconde, qui se termine au Saint-Esprit, est toute épuisée par le Père et par le Fils en le produisant, ne pouvant pas moins que de l'employer toute entière à produire un terme si noble. Il est vrai qu'il a cette même bonté féconde, qui est au Père et au Fils, mais il l'a toute épuisée, en étant lui-même, s'il faut ainsi dire, tout l'épuisement.» (Louis-François d'Argentan, Conférences théologiques et spirituelles sur les Grandeurs de la Très Sainte Vierge Marie Mère de Dieu, page 20 de l'édition d 'Avignon, année 1755)
Nous continuerons cette étude trinitaire la fois prochaine, s'il plaît à Dieu...
Page n° 6 sur la Très Sainte
Trinité
Chers amis,
L'Esprit-Saint, en tant que Médiateur de Vie entre le Père et le Fils, est le Don ou la Personne-Don propre au Père et au Fils : il est tout à la fois le Bien propre du Père et le Bien propre du Fils, étant celui qui est commun au Père et au Fils. Mais, comme Médiateur entre le Père et le Fils, l'Esprit-Saint doit être entendu tant d'une manière corporelle, en premier lieu, que d'une manière spirituelle, en second lieu : l'Esprit-Saint ne peut être considéré comme Médiateur-Type que dans la mesure où il est l'Epoux de Marie, c'est-à-dire simplement semblable à Elle, ne faisant avec son Epoux - dans le Christ - qu'un corps spiritualisé médiateur, ou encore, un unique médiateur corporel et spirituel. Ainsi, entendu en ce sens, l'Esprit-Saint procède et du Père, et du Fils (si on considère l'Esprit-Saint comme médiateur d'ordre corporel) tout en permettant, en tant que puissance, l'acte d'union du Père et du Fils par voie de génération (si on considère l'Esprit-Saint comme médiateur d'ordre spirituel).
Cependant,
comme
le Père est celui qui «est vivant» (Jn. 6,
57), c'est-à-dire qu'il est la source de la Vie divine,
nous pouvons considérer la Personne-Don (l'Esprit-Saint)
comme le Bien propre et personnel du Père en tant que ce
dernier est celui qui donne la Vie. De même, comme le Fils
est celui qui «vit par le Père» (Jn. 6, 57),
c'est-à-dire qu'il est celui qui reçoit la Vie de
son Père, nous pouvons dire que le Fils ne possède
la Personne-Don que dans la mesure où il est uni au
Père par le lien de la Vie. Autrement dit, le Fils
communie au Don propre et personnel du Père en tant que
Bien en plénitude reçu de lui : «Toutes
choses m'ont eté remises par mon Père.» (Mt.
11, 27) Ainsi, l'Esprit-Saint, en tant que Médiateur de
Vie entre le Père et le Fils, doit être
envisagé sous un double aspect :
Par définition, tout don est gratuit : tout don suppose l'amour, qui est le motif pour lequel une personne donne ou se donne. Ainsi, la relation dans laquelle l'Esprit-Saint, en tant que Personne-Don, est donné par le Père et reçu par le Fils-Verbe, c'est-à-dire la relation de génération ou acte éternel et unique de vie divine, suppose une relation préalable d'amour entre le Père et le Fils. Comme la puissance divine ne peut exister que dans la dépendance de la relation de génération, et non pas dans la dépendance d'une autre relation, il s'ensuit que ladite relation préalable d'amour doit être comprise en dehors de toute notion de puissance. Or, tout être dépourvu de puissance est réduit à ne posséder qu'une seule perfection, qui est d'exister. Ainsi, la relation préalable d'amour entre le Père et le Fils ne peut trouver son fondement que dans la notion d'existence.
Une relation fondée sur la seule notion d'existence ne peut avoir lieu parmi les créatures. Mais en Dieu, la chose est possible ; elle est même essentielle à la divinité : les trois Personnes divines ne sont qu'un seul Dieu, l'unique nature divine est commune aux trois Personnes. Ainsi, dans la relation d'amour préalable à la relation de génération, nous devons considérer le Père, le Fils, et l'Esprit-Saint identiques selon leur unique nature, quoique différents selon leur personne. Autrement dit, le Père est proprement l'Etre ou Celui qui est ; le Fils est proprement identique et semblable au Père, ou encore «l'Image» du Père (Col. 1, 15) ; l'Esprit-Saint est proprement l'Etre-Amour. Comme le Don de Dieu est parfait et plein, la relation préalable d'amour entre le Père et le Fils n'est autre que l'Amour parfait entre l'Etre parfait et son Image parfaite.
Dans l'analyse de la Vie de Dieu, nous avons donc établi qu'il existe une relation de génération qui est l'Acte unique de Dieu : c'est Dieu agissant ; et une relation préalable d'amour qui est l'Existence de Dieu : c'est Dieu étant. Comme pour Dieu être et agir sont une seule et même chose, ainsi, ces deux relations sont identiques, sauf que la relation de génération s'accomplit avec puissance, et que la relation préalable d'amour s'accomplit sans puissance. Enfin, comme Dieu est éternel, ces deux relations sont nécessairement co-éternelles et le mot «préalable» est une distinction de notre esprit avec fondement dans la chose. La Vie de Dieu doit donc être considérée uniquement sous l'angle de la relation de génération, laquelle doit toujours être envisagée sous ses deux aspects, c'est-à-dire avec et sans puissance. Aussi, la Vie de Dieu nous est présentée sous ses deux aspects par la Révélation divine transmise aux Apôtres. Saint Jean nous dit en effet que «Dieu est lumière» ( 1 Jn. 1, 5) : c'est la Vie de Dieu avec puissance, aspect fondamental de la vie divine en tant que source de vie de l'Eglise ; et que «Dieu est amour» (1 Jn. 4, 16) : c'est la Vie de Dieu sans puissance, aspect premier et préalable de la vie de Dieu et de l'Eglise.
A la lumière du texte eucharistique de Jean 6, 57, l'Esprit-Saint, qui est notre sujet particulier dans cette étude trinitaire, nous est apparu comme la Connaissance ou la Vie de Dieu personnifiée : il est ainsi le Bien en plénitude que le Père donne sans cesse à son Fils, héritier unique et absolu, celui qui est «toujours vivant.» (Hb. 7, 25) Et ceci nous éclaire encore davantage sur l'acte de la communion eucharistique : la Vie de Dieu manifestée et communiquée dans l'Eucharistie est finalement le Don personnel du Christ à son Eglise. Le grand Apôtre de la Vie divine est là pour en témoigner, disant : «Dieu nous a donné la vie éternelle, et cette vie, elle est dans son Fils. Celui qui a le Fils a la vie ; celui qui n'a pas le Fils de Dieu n'a pas la vie. Je vous ai écrit tout ceci afin que vous sachiez que vous avez la vie éternelle, vous qui croyez au Nom du Fils de Dieu.» (1 Jn. 5, 11-13)