L'EUCHARISTIE : L'ÉGLISE
DANS LE COEUR DU CHRIST
 
 
PAR
 
 
DANIEL MEYNEN, D.D.
 
 
CHANOINE DE SAINT-AUBAIN
 
 
 
 
 
 
 
© 1995-2012 - Daniel Meynen
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Comment l'Église s'offre
au Père - dans le Christ
avec l'Esprit-Saint
pour Marie-Médiatrice
 
 
 

 
 
 
 
 
TABLE DES MATIÈRES
 
 
 
 
 
 
En guise de préface
 
 
 
 
Introduction
 
 
 
 
Chapitre I
 
 
Principes fondamentaux de Marie-Médiatrice
 
 
 
 
Chapitre II
 
 
Jean 6:57 : La Vierge puissante de la Nativité
 
 
 
 
Chapitre III
 
 
Marie-Médiatrice : Mère de l'Église
 
 
 
 
Chapitre IV
 
 
Le Pape : Époux de Marie dans le Christ
 
 
 
 
Chapitre V
 
 
Le Salut éternel par Marie et pour Marie
 
 
 
 
Conclusion
 
 
 


 
 
 
 
EN GUISE DE PRÉFACE
 
 
 
 
L'Eucharistie: l'Église dans le Coeur du Christ, tel est le titre de ce livre. Assurément, tout le Christ est présent dans l'Eucharistie, son Coeur aussi bien que tout son corps, toute son âme, et toute la Divinité du Verbe de Vie qu'il est en personne. Mais le Coeur du Christ semble bien être le signe explicatif de toute l'Eucharistie: il est le symbole humain de tout l'Amour de Dieu pour son Église, qu'il a rachetée au prix de son Sang versé sur la Croix du Calvaire. Et l'amour n'a pas de raison, ou s'il en a, c'est l'amour lui-même qui est sa propre raison l'amour ne s'explique que par l'amour, qui est la plénitude de sa raison. Il n'y a donc pas de raison plus pleine et plus complète pour expliquer l'Eucharistie que l'Amour même de Dieu, symbolisé par le Coeur du Christ.
 
L'Église dans le Coeur du Christ, c'est une action de l'Église qui va au Christ et qui s'unit à lui au plus intime de son Etre, jusque dans sa Vie même, et dans son Amour. C'est donc l'action de l'Église qui, dans la communion eucharistique où elle ne fait qu'un avec le Christ, s'unit à l'Amour de Dieu pour devenir, elle-même, Amour des hommes qui sont ses frères dans le monde, et donc pour devenir Amour d'elle-même, pour participer à sa propre sanctification, à son édification personnelle dans la charité comme Corps du Christ. Et au fil des temps, d'Eucharistie en Eucharistie, de communion en communion, l'Église croît et s'édifie en allant au Christ et en s'unissant à lui, avec l'Amour même de Dieu qu'elle a reçu au jour de la Pentecôte et qu'elle ne cesse de recevoir chaque fois que se perpétue et se renouvelle ce grand Mystère du Christ et de l'Eglise.
 
 
 
*
*    *
 
 
Un mot sur la genèse de cet ouvrage: qu'est-ce qui m'a poussé à écrire un livre sur l'Eucharistie, qui - c'est évident pour tout le monde - n'est pas une matière facile à traiter ?
 
 
*
*    *
 
 
Un soir de novembre 1975, le mardi 11 novembre très exactement, jour célèbre et connu de tous en raison de l'Armistice de la Grande Guerre (11 novembre 1918), mais jour plus glorieux encore dans l'Église qui se souvient du repos éternel du grand Saint Martin (11 novembre 397), enfin jour intime et particulier qui rappelle le baptême du frère Mutien-Marie de Ciney (11 novembre 1895), neveu de Saint Mutien-Marie de Malonne, tous deux grands serviteurs de Marie; ce soir-là donc, je reçus la grâce de la vocation sacerdotale.
 
Le jour du 11 novembre 1975 était le quatrième d'une retraite spirituelle de cinq jours à laquelle je participais, retraite placée sous le patronage de Marie et, pour cette raison, intitulée les cinq jours avec Notre-Dame. Or, le soir de ce quatrième jour, les retraitants, agenouillés devant le Très Saint-Sacrement exposé, contemplaient en esprit la Passion du Seigneur. Et ce fut à ce moment précis que, attiré par Jésus-Hostie, je répondis à l'appel de la grâce venant par la Médiation de Marie. Ainsi, je peux dire que, ce soir-là, j'étais déjà conscient, quoiqu'encore confusément, que toute ma vie sacerdotale serait consacrée tout à la fois à l'Eucharistie par Marie, et à Marie par l'Eucharistie.
 
Entré le 2 octobre 1976 comme postulant dans une abbaye bénédictine, en France, je prononçai mes premiers voeux le 4 avril 1978. C'est ainsi que la grâce de la vocation sacerdotale reçue le 11 novembre 1975 acquit une toute première insertion dans la mission de l'Eglise universelle. Le 29 juin 1983, je fus ordonné prêtre et ministre du Seigneur Tout-Puissant: en ce jour inoubliable, la grâce de ma vocation sacerdotale, qui n'était encore qu'une grâce personnelle, devint réellement une grâce ecclésiale, car sacramentelle, par l'imposition des mains de l'Evêque. Mais, une dizaine d'années plus tard, le 25 novembre 1994, je quittai cette abbaye française et rentrai en Belgique. Il était en effet temps que la grâce de ma vocation sacerdotale recût une insertion plus large et plus ouverte dans la mission de l'Eglise. C'est ce qui advint par mon incardination, comme prêtre séculier, dans le diocèse de Namur, le 28 novembre 1997.
 
Revenons un peu en arrière. En septembre 1981, j'eus l'occasion de me rendre à Ciney, en Belgique, avec quelques confrères. Je ne savais pas à l'époque que ce serait le point de départ de mon attachement pour le diocèse de Namur, dont je fais aujourd'hui partie. En effet, j'avais déjà lu la vie du frère Mutien-Marie de Ciney, mais, une fois arrivé à Ciney, j'eus l'occasion de prendre connaissance de son manuscrit autobiographique. Et très vite, ce frère des Ecoles Chrétiennes, renommé par sa sainteté, m'est devenu très cher. Non seulement parce que ma visite en Belgique m'avait permis de me recueillir plusieurs fois sur sa tombe, mais aussi parce que, durant douze ans, j'ai fréquenté une école dirigée par des frères de la même Congrégation, et que, outre la coïncidence du 11 novembre citée plus haut, j'ai reçu le sacrement de confirmation et renouvelai ma profession de foi chrétienne le 15 mai 1969, c'est-à-dire au jour anniversaire de la mort bienheureuse du frère Mutien Marie de Ciney (15 mai 1940). Mais, tout récemment encore, ce cher frère manifesta sa présence dans ma vie, car le 15 mai 2002 fut le jour choisi par la Divine Providence pour mon installation comme Chanoine Titulaire du Chapitre cathédral Saint-Aubain à Namur: vraiment, Marie, par l'entremise de son serviteur, a fondé ma vocation sacerdotale dans la ville et le diocèse de Namur !
 
Par l'entremise de ce grand Apôtre de Marie que fut le Frère Mutien-Marie de Ciney, la date du 11 novembre 1975 me faisait souvenir, non seulement de ma vocation sacerdotale, mais aussi de ma confirmation dans la foi. Comme le sacrement de confirmation n'est autre que le baptême en sa perfection, je ne pouvais oublier non plus ce dernier sacrement qui est la source et le fondement de toute vie chrétienne, et, par le fait même, de toute vie sacerdotale. Né le 2 avril 1957, le sacrement de baptême m'a été conféré le 28 du même mois, et le seul prénom de Daniel m'a été imposé. Pour moi, donc, ce sacrement signifie deux choses: un nom, Daniel; une date, le 28 avril. Un nom d'abord. Daniel est un des quatre grands Prophètes de l'Ancienne Alliance: il annonce la victoire et le triomphe du Royaume de Dieu sur les royaumes de la terre. Pour les chrétiens de la Nouvelle Alliance, Daniel est donc le Prophète de l'Eucharistie, puisque, dans ce sacrement, le Christ anticipe sa venue glorieuse et triomphale de la fin des temps. Une date ensuite. Le 28 avril, l'Église célèbre la naissance au Ciel de Saint Louis-Marie Grignon de Montfort (1716), Docteur de l'Église, un des plus grands Apôtres de Marie. Aussi, entrer, un tel jour, dans l'Eglise, dont Marie est le type et le modèle, est un signe non équivoque d'un appel au service de Marie.
 
Aujourd'hui, je suis donc sûr - je le crois fermement - que ma mission sacerdotale est tout orientée vers l'Eucharistie et vers Marie: vers l'Eucharistie pour Marie, vers Marie pour l'Eucharistie. Mais il y a plus encore. Le 11 novembre 1975 me rappelant l'unique baptême auquel tous les chrétiens participent, ce jour envahit toute ma mémoire par le Mystère Trinitaire du Dieu unique dont l'extension à toute la création constitue le baptême lui-même. Le frère Mutien-Marie de Ciney avait en effet reçu la grâce mystique d'une union intime à la Trinité, grâce qui ne s'est développée en lui que par l'influence cachée et discrète de la bienheureuse Élisabeth de la Trinité, religieuse du carmel de Dijon (actuellement à Flavignerot, en France). Finalement, c'est particulièrement sous le patronage de cette même religieuse que ma mission sacerdotale envers l'Eucharistie et envers Marie s'inscrit dans le contexte propre du Mystère Trinitaire. Et il en est bien ainsi puisque ma première rencontre intime et personnelle avec Jésus-Eucharistie, ma première communion, a eu lieu le 19 avril 1964, jour anniversaire de la première communion de la bienheureuse Elisabeth de la Trinité (19 avril 1891).
 
Dans l'optique générale du Mystère Trinitaire, je crois donc être appelé à consacrer ma vie sacerdotale à l'Eucharistie, en raison de mon nom de baptême, et à Marie, en raison de la date à laquelle je reçus ce même sacrement. Or, d'une part, le nom, en tant qu'il exprime toute la réalité de la personne qui est, au cours d'une vie humaine, spécifiquement immuable, le nom possède un caractère permanent. D'autre part, la date, comme elle détermine un point précis dans le temps qui est, de soi, fugitif et insaisissable, la date possède un caractère transitoire. Ainsi, je peux dire que ma mission sacerdotale a pour fin constante et ultime l'Eucharistie; et pour moyen en vue de cette fin Marie. Autrement dit, ma vie sacerdotale doit être toute dévouée à Marie afin d'être entièrement consacrée à l'Eucharistie: je ne peux réaliser ma mission envers l'Eucharistie qu'en passant par Marie.
 
Toute oeuvre, toute étude que j'entreprenne au sujet de l'Eucharistie doit passer par Marie: je dois recourir à Marie, m'adresser à Elle et lui confier cette oeuvre. C'est Marie qui me guide, qui m'éclaire, qui m'instruit. C'est Marie qui me fait comprendre l'Eucharistie, c'est Elle qui me rompt le Pain de Vie. En un mot: c'est l'oeuvre de Marie. Mais comme les oeuvres d'une personne manifestent ce qu'est cette personne, ainsi Marie, en me révélant, par son oeuvre, ce qu'est l'Eucharistie, Marie se révèle et se manifeste aussi elle-même. Donc, toute étude sur l'Eucharistie que je puisse accomplir par Marie, me permet de comprendre et l'Eucharistie, et Marie.
 
Toute étude sur l'Eucharistie, je dois l'étudier, par Marie, dans le contexte du Mystère et de la Vie Trinitaire. Or, par l'Incarnation du Verbe ou Fils du Père, Marie devient Epouse de l'Esprit-Saint, Elle ne fait qu'un avec Lui au sein de la Trinité: Elle est tout entière donnée et livrée à ce Mystère d'Amour dans la Personne de l'Esprit-Saint. Donc, tout ce qui est confié à Marie est nécessairement et par le fait même confié à l'Esprit-Saint: toute oeuvre de Marie devient oeuvre de l'Esprit de Dieu, et donc Oeuvre de Dieu. Ainsi, l'étude de l'Eucharistie que j'entreprends par Marie, c'est-à-dire en la Lui confiant, cette étude n'est autre que l'Oeuvre de l'Esprit-Saint.
 
Après l'Incarnation du Verbe de Vie, après être devenue Épouse de l'Esprit-Saint, Marie épousa aussi, non plus un Dieu, mais un homme: Joseph, de la maison de David. Autrement dit, l'Esprit-Saint, qui est Dieu et qui a l'initiative de tout ce qui est à la fois divin et humain, l'Esprit-Saint confia son Epouse Marie et tout ce qu'Elle accomplit aux soins et à la prudence de Saint Joseph. En conclusion, je peux dire et je crois sans hésiter que ce travail, cette oeuvre de Dieu au sujet de l'Eucharistie, c'est l'oeuvre de Saint Joseph exécutant l'oeuvre de Marie sous la conduite de l'Esprit-Saint. Comme il s'agit ici non seulement d'expliquer l'Eucharistie, mais aussi d'expliquer Marie, cette étude sur l'Eucharistie, n'est autre qu'un don ou un présent offert à Marie par son Epoux Joseph, guidé et éclairé par l'Esprit de Dieu.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
PRÉLIMINAIRES
 
 
 
 
MARIE DANS LA TRINITÉ
 
POUR L'ÉGLISE
 
 
 
 
Aspect corporel de la médiation de Marie
 
 
 
 
 
 
 
 
chaque prophète a son message
particulier et sa propre théologie
 
les sacrements ont en propre une composante
prophétique, surtout l'Eucharistie
 
Dom Notker Füglister
 
 
 
 


 
 
 
 
INTRODUCTION
 
 
 
 
1. Un fait s'impose à nous: l'Eucharistie se présente sous forme de nourriture, soit solide, comme le pain, soit liquide, comme le vin; l'Eucharistie apparaît comme le sacrement parfait du Christ en personne, puisqu'il a dit: Ma chair est vraiment une nourriture, et mon sang est vraiment une boisson. (Jn. 6, 55) En tant que telle, l'Eucharistie est destinée à être mangée ou bue par l'Eglise, car, sans un acte de nutrition, toute nourriture reste absolument sans effet: Si vous ne mangez la chair du Fils de l'Homme et ne buvez son sang, vous n'aurez point la vie en vous-mêmes. (Jn. 6, 53) Aussi, toute étude adéquate de l'Eucharistie doit traiter, d'une manière propre et exclusive, de la manducation de l'Eucharistie par l'Eglise, acte nutritif et vital appelé communément communion eucharistique: ce sera l'objet précis de notre recherche. Or, pour Saint Thomas d'Aquin - le grand Docteur du Verbe incarné - l'Eucharistie, qui est le sacrement du Christ, porte ce nom, c'est-à-dire ce qui en exprime toute la réalité, parce qu'elle contient la plénitude de grâce de la divinité du Christ: «Dicitur Eucharistia, idest bona gratia, quia (...) realiter continet Christum, qui est plenus gratia.» On parle d'Eucharistie, c'est-à-dire de bonne grâce, parce que (...) elle contient réellement le Christ, qui est plein de grâce. (S. Thomas, Summa Theologica, IIIa, q. 73, a. 4, corp.) Ainsi, dans la mesure où l'unique objet de notre recherche est l'acte de la communion eucharistique, nous voyons que nous ne pouvons pas ne pas nous placer d'abord - dans la phase initiale que constituent ces Préliminaires - dans le domaine propre de la médiation de Marie: l'union du Christ-Eucharistie et de l'Église dans l'acte de la communion sacramentelle est nécessairement relative au ministère de la Vierge Marie dans son office unique et exclusif de Médiatrice entre la grâce du Verbe incarné et le libre arbitre de toute personne humaine.
 
2. L'office de médiateur, envisagé dans sa fonction d'unificateur - ce qui est le cas ici, puisqu'il s'agit de l'acte de la communion eucharistique - comporte, de soi, le rôle de transmettre les biens de l'un à l'autre, et réciproquement: «Conjungit mediator per hoc, quod ea quae unius sunt, defert ad alterum.» Le médiateur unifie par le fait que, les choses qui sont à l'un, il les communique à l'autre. (S. Thomas, Summa Theologica, IIIa, q. 26, a. 2, corp.) Par conséquent, la médiation de Marie s'exerce nécessairement dans un double sens: un sens descendant, selon lequel la grâce de Dieu est transmise du Christ à l'Église, et un sens ascendant selon lequel la liberté de l'homme est remise à Dieu, dans le Christ. La médiation de Marie considérée dans son sens descendant, du Christ vers l'Église, fait partie de la doctrine de l'Église qui peut être considérée comme certaine, ou quasi certaine. Le Pape Saint Pie X en témoigne lui-même: Du fait que Marie l'emporte sur tous en sainteté et en union avec Jésus-Christ et qu'elle a été associée par Jésus-Christ à l'oeuvre de la Rédemption (...), elle est le ministre suprême de la dispensation des grâces. (Encyclique Ad Diem illum, du 2 février 1904 -  Texte latin dans Denzinger, n° 3370). Par contre, il existe encore aujourd'hui quelqu'incertitude, ou une demi-obscurité quant à la portée dogmatique du sens ascendant de la médiation de Marie. Pour s'en convaincre, il suffit d'ouvrir le Catéchisme de l'Eglise Catholique, qui déclare simplement, d'une manière concise: La prière de l'Église est comme portée par la prière de Marie. (n° 2679), la prière étant alors l'expression pleine et entière de la liberté humaine. On le voit: ce texte, si beau et si précieux soit-il, ne nous dit pas si la prière de l'Eglise dont il s'agit recouvre aussi, de soi, cette grande Prière de l'Eglise qu'est la Prière eucharistique...
 
3. Pour que la médiation de Marie, entendue dans ses deux sens, soit un jour définissable comme un dogme de foi, ce point de doctrine doit encore être approfondi et explicité davantage: c'est le but que nous nous proposons dans ces Préliminaires. D'ailleurs, le lecteur attentif aura découvert dans le titre de ce livre L'Eucharistie: l'Église dans le Coeur du Christ, l'expression du mouvement ascendant de l'Église vers le Coeur du Christ par Marie-Médiatrice: pour se nourrir de l'Eucharistie, l'Eglise doit porter la main sur le pain et le vin consacrés, en confiant ainsi, par la médiation de Marie, sa liberté à l'Amour misécordieux du Coeur de Jésus... Mais avant d'entrer en matière, nous voudrions, dans cette introduction, donner une rapide synthèse doctrinale de la médiation de Marie, ainsi qu'un exposé succinct de l'évolution historique, dans une continuité de pensée, du plus grand des dogmes vécus dans l'Église.
 
 
*
*    *
 
 
4. Tout le contenu doctrinal de la médiation de Marie est résumé dans le sous-titre que nous avons donné à ce livre: Comment l'Église s'offre au Père, dans le Christ, avec l'Esprit-Saint, pour Marie-Médiatrice. C'est-à-dire que la communion d'offrande - faite dans la prière - du Christ et de l'Église, unis sacramentellement dans la communion eucharistique, s'accomplit, tout aussi bien et d'une manière indissociable, et pour le Père éternel, source de l'Esprit-Amour, et pour Marie-Médiatrice, Épouse de l'Esprit-Saint. Ce sous-titre renferme deux principes indissociables, que nous aurons l'occasion de développer tout au long de ce livre. Le premier principe est que la prière du fidèle chrétien, dans la mesure où elle est unie à la grande Prière eucharistique de la Liturgie, est le moyen unique et particulier par lequel la personne humaine peut s'offrir elle-même tout entière, et principalement sa liberté, à Dieu: quand l'Eglise va vers le Christ, quand elle va dans le Coeur du Christ, l'Eglise s'offre à Dieu, dans le Christ, rendant avec l'Esprit-Saint Amour pour Amour. Le second principe est que, la notion propre de médiateur étant d'être au milieu exact entre les deux éléments de la médiation, l'élément médiateur ne peut exister qu'en vertu de l'existence des termes extrêmes qu'il unit: quand, sur une feuille de papier, nous traçons une ligne droite, nous allons d'un bout à l'autre de la ligne, en passant par le milieu, mais, ce milieu, nous ne pouvons le connaître avec précision qu'après avoir tracé toute la ligne, d'un bout à l'autre; en résumé, pour tout médiateur d'ordre corporel, le point milieu dépend en tout de l'union des points extrêmes. Dans le cadre d'une recherche du sens ascendant de la médiation de Marie, c'est-à-dire dans le cas de l'Eglise qui va vers le Christ-Eucharistie par Marie-Médiatrice, la notion de médiateur d'ordre corporel est absolument fondamentale et essentielle: c'est par l'intermédiaire de Marie considérée comme médiateur d'ordre corporel que l'Eglise peut mettre la main sur l'Eucharistie, dans un acte spirituel d'offrande au Père dans l'Esprit-Saint.
 
5. Ainsi, l'essentiel de la médiation de Marie tient en deux notions complémentaires: l'une, d'ordre corporel, qui consiste dans le fait que les deux éléments extrêmes de la médiation de Marie, qui sont le Christ et l'Eglise, donnent naissance, par leur union commune et réciproque, au terme médiateur ou milieu, qui est Marie-Médiatrice; l'autre, d'ordre spirituel, qui consiste dans le fait que l'élément médiateur, ou Marie-Médiatrice, en vertu de son action médiante et unifiante, donne naissance à l'union conjointe et simultanée des termes extrêmes de la médiation, qui sont le Christ - et en Lui, le Père dans l'Esprit-Saint - et l'Eglise. Notons bien que ces deux notions de la médiation de Marie, l'une d'ordre corporel, et l'autre d'ordre spirituel, sont non seulement complémentaires, mais aussi indissociables l'une de l'autre, puisque, l'Eucharistie étant une nourriture, ce sacrement est nécessairement mangé par la personne humaine tout entière, c'est-à-dire considérée corps et âme simultanément et inséparablement. C'est pourquoi, lorsque nous envisagerons l'aspect corporel de la médiation de Marie, l'aspect spirituel y sera aussi traité, et ce, nécessairement et conjointement; il en ira de même lorsque nous considérerons l'aspect spirituel de la médiation de Marie, où l'aspect corporel apparaîtra également, quoique sous un autre jour et selon une autre approche.
 
6. Afin de montrer au lecteur la continuité dans le temps de la médiation de Marie comprise selon la double notion décrite ci-dessus (voir n° 5), nous allons citer plusieurs auteurs, divers par leur fonction dans l'Église ou par les expériences spirituelles qu'ils ont vécues. Nous les citerons en commençant par les personnages contemporains (XXe siècle) et nous remonterons ainsi jusqu'au XVIe siècle; bien que Saint Alphonse-Marie de Liguori (XVIIIe siècle), que nous citerons, évoque lui-même Saint Bernard (XIIe siècle), nous n'irons cependant pas au-delà de l'époque protestante, c'est-à-dire l'époque où Martin Luther manifesta son doute et son incompréhension vis-à-vis de l'attitude du chrétien qui invoque Marie, «ut Beatam Virginem colat mediatricem loco Christi», de sorte qu'il honore la Bienheureuse Vierge médiatrice à la place du Christ (Martin Luther, lettre du 19 août 1523 au Chapitre de l'Église de Wittenberg - Werke, Briefwechsel, 3. Band, nr. 648, 45); en effet, c'est d'ordinaire à partir du moment où une doctrine de l'Église est contredite ou mise en doute qu'elle commence à recevoir, sous la conduite de l'Esprit-Saint, son plein essor et son parfait développement. Précisons encore que les auteurs cités ci-dessous évoquent davantage tantôt l'un, tantôt l'autre aspect de la médiation de Marie, dans une unité de vue.
 
7. Il est impossible de commencer cette rétrospective mariale sans citer tout d'abord le plus actuel des auteurs entièrement dévoués à Marie et à son Fils Jésus: le Pape Jean-Paul II, à qui d'ailleurs ce livre est dédié. Nombreux sont les discours et autres écrits que ce digne Successeur de Pierre a consacrés à Marie. Parmi eux, il faut mentionner tout d'abord l'encyclique «Dominum et vivificantem» (Il est Seigneur et Il donne la vie) sur l'Esprit-Saint dans la vie de l'Eglise et du monde (18 mai 1986); mais surtout cette autre encyclique, qui fait suite à la précédente, et qui s'intitule «Redemptoris Mater» (La Mère du Rédempteur) sur la Bienheureuse Vierge Marie dans la vie de l'Eglise en marche (25 mars 1987). Cependant, pour célébrer avec Marie la vingt-cinquième année de son Pontificat, Jean-Paul II a voulu consacrer à la Mère de Jésus une année du Rosaire, allant du mois d'octobre 2002 au mois d'octobre 2003. Au cours de cette année mariale, voici ce que dit un Pape tout dévoué à la cause de Marie: Marie «mit au monde son fils premier-né; elle l'emmaillota et le coucha dans une mangeoire» (Lc. 2, 7). Telle est l'icône de Noël: un fragile nouveau-né, que les mains d'une femme protègent de pauvres vêtements et déposent dans une mangeoire. Qui peut penser que ce petit être humain est le «Fils du Très-Haut» (Lc. 1, 32) ? Elle seule, sa Mère, connaît la vérité et en garde le mystère. En cette nuit, nous pouvons, nous aussi, «passer» par son regard pour reconnaître en cet Enfant le visage humain de Dieu. A nous aussi, hommes du troisième millénaire, il est possible de rencontrer le Christ et de le contempler avec les yeux de Marie. (S. S. Jean-Paul II, Homélie de la Messe de la Nuit de Noël 2002) Passer par les yeux et le regard de Marie pour connaître et reconnaître Dieu en Jésus ! Il s'agit là d'une très belle synthèse de la médiation de Marie considérée dans son acte principal, d'ordre corporel, savoir: la Nativité du Seigneur, ainsi que nous le verrons au cours de ces Préliminaires (voir Chapitre Deuxième).
 
8. Polonais comme le Pape Jean-Paul II, Saint Maximilien Kolbe, un des plus récents théologiens de la médiation de Marie, et aussi un des plus connus, exprime ainsi sa pensée: La Médiatrice de toutes les grâces, c'est Marie. C'est vers elle que nous allons comme les enfants à leur mère. (Saint Maximilien Kolbe, Conférence - sans date - dans L'Immaculée révèle l'Esprit-Saint, p. 69) Ce qu'il explique ainsi: Assurément la source de tout bien, tant au plan naturel que surnaturel (la grâce), c'est Dieu le Père qui agit toujours par le Fils et le Saint-Esprit, c'est-à-dire la très Sainte Trinité. En vérité, le seul Médiateur auprès du Père, c'est le Fils incarné, Jésus-Christ, Dieu et homme, par qui tous les hommages que nous rendons à Dieu, d'humains deviennent divins, acquièrent alors une valeur infinie et deviennent dignes de la majesté du Père. En vérité, nous aimons le Père dans le Fils, Jésus-Christ, et nous devons Lui donner tout notre amour afin que le Père reçoive en Lui et par Lui tout notre amour. Mais pourtant, il est vrai que toutes nos actions, même les plus saintes, ne sont pas sans taches, et si nous voulons les offrir au Seigneur Jésus pures et immaculées, nous devons les donner directement à l'Immaculée pour qu'elle en fasse sa propriété et qu'elle les donne comme telles à son Fils. C'est alors qu'elles deviendront sans taches, immaculées. En obtenant par la divinité de Jésus une valeur infinie, elles glorifieront Dieu le Père. (Lettre au Frère Matthieu Spolitakiewicz, 10 octobre 1935, dans L'Immaculée révèle l'Esprit-Saint, p. 71).
 
9. Vers 1920, un religieux belge, le frère Mutien-Marie de Ciney, des Ecoles Chrétiennes, neveu de Saint Mutien-Marie de Malonne, écrivait les sentences suivantes prises comme résolutions spirituelles: Ma vocation, c'est l'amour !... l'amour envers Marie ! (...) J'imiterai Dieu dans son amour pour Marie: la Très Sainte Trinité a tout fait pour glorifier Marie. J'aimerai Marie par Jésus dans la Sainte Communion. J'aimerai Marie par Mes Trois. Je serai le Jésus de Marie, n'aimant Marie que par Jésus !... Je serai l'amour de la Très Sainte Trinité pour Marie, n'aimant Marie que par Mes Trois. (Manuscrit autobiographique complet inédit, p. 111 - Ne pas confondre ce document avec les Extraits dont nous reproduisons un passage ci-après). Parlant de la Sainte Communion pour obtenir la glorification de Marie, le même frère explique: La Sainte Communion, pratiquée de cette manière, aurait donc pour but de glorifier Dieu en rappelant à Jésus et à Marie leur amour réciproque et en perpétuant, pour ainsi parler, la vie de Jésus aimant Marie, sa Mère (...) Non certes que Jésus soit un moyen d'aimer Marie, que le Créateur soit un moyen et la créature une fin, mais encore une fois, dans l'intention délicate de faire plaisir à Jésus et à Marie qui ont mis l'un dans l'autre toutes leurs complaisances. (Extraits de l'autobiographie du Frère Mutien-Marie de Ciney, page 76 de l'édition de Tournai, année 1951)
 
10. A sa manière, qui est tout intérieure, Bienheureuse Elisabeth de la Trinité, religieuse carmélite dijonnaise, exprime comment elle conçoit, pareillement et sans presque de différence, la vie de louange et d'offrande à la Très Sainte Trinité et à Marie tout ensemble: Dans le ciel de notre âme, soyons louange de gloire de la Sainte Trinité, louange d'amour de notre Mère immaculée. (Bienheureuse Élisabeth de la Trinité, Souvenirs, p. 117) Et l'auteur anonyme des Souvenirs ajoute plus loin: L'appartenance de Soeur Élisabeth aux trois divines Personnes accroissait encore sa tendre dévotion envers la très Sainte Vierge et lui donnait comme une liaison de grâce plus intime avec celle qui, selon son expression, fut la grande louange de gloire de la Sainte Trinité. Son âme est si simple, les mouvements en sont si profonds, (disait Soeur Élisabeth), que l'on ne peut les surprendre; elle semble reproduire sur la terre cette vie qui est celle de l'Être divin: l'Être simple; aussi est-elle si transparente, si lumineuse, qu'on la prendrait pour la lumière: pourtant elle n'est que le miroir du soleil de justice. (ibid. p. 139) Et ailleurs, dans une lettre à un prêtre récemment ordonné, Bienheureuse Élisabeth se complaisait à comparer le ministre du Christ - l'unique Médiateur - avec Marie, prêtre et médiatrice de la grâce divine: Avec la Vierge vous pouvez chanter votre Magnificat et tressaillir en Dieu votre Sauveur, car le Tout-Puissant fait en vous de grandes choses et sa miséricorde est éternelle... Comme Marie, conservez tout en votre coeur, approchez-le tout près du sien, car cette Vierge sacerdotale est aussi Mère de la divine Grâce... (ibid. p. 143)
 
11. D'un tout autre genre, quoique possédant autant de chaleur, est le témoignage suivant: L'idée de la Mère de Dieu est profondément distincte de celle du Dieu Incarné. Jésus-Christ, c'est Dieu qui s'abaisse; Marie, c'est une femme élevée entre toutes (...) Celui qui nous accuse de faire de Marie une divinité méconnaît la divinité de Jésus; il ne sait pas ce qu'est la Divinité ! Notre-Seigneur ne peut pas prier pour nous comme prie Marie. Il ne peut pas inspirer les sentiments qu'inspire une créature. Marie, en sa qualité de créature, possède un droit naturel à notre sympathie, à notre familiarité, par la raison qu'elle est notre semblable (...) Nous nous tournons vers elle, sans la crainte, le remords, le tremblement intérieur qui nous saisissent devant Celui qui lit en nous, qui nous juge et nous punit. Notre coeur s'élance vers cette Vierge sans tache, vers cette douce Mère; nous la saluons avec joie et reconnaissance quand elle s'élève, à travers les choeurs des Anges, jusqu'à son trône de gloire. Si modeste et si puissante, elle a tracé pour nous son portrait dans le Magnificat: «Il a regardé la bassesse de sa servante, et désormais toutes les nations m'appelleront bienheureuse.» (Cardinal John Henry Newman, cité par Pie Régamey, O.P., dans Les plus beaux textes sur la Vierge Marie, p. 408-409)
 
12. Dans la nuit du 18 au 19 juillet 1830, la Très Sainte Vierge Marie apparut à une religieuse française, fille de la Charité: Sainte Catherine Labouré. Dans cette apparition, c'est Marie qui, plus par ses gestes que par ses paroles, se décrit elle-même comme Médiatrice de grâce et d'offrande entre le Christ et l'Église. Voici ce que rapporte un biographe de la Sainte: Catherine transmet la requête intérieure, telle qu'elle s'impose à elle, principalement l'autel: «Maintenant, je me sens pressée, depuis deux ans, de vous dire de faire bâtir ou élever un autel de la Sainte Vierge dans l'endroit même où elle a apparu.» Mais surtout, cet autel doit comporter une statue de la Sainte Vierge, telle qu'elle l'a vue, en cet endroit. Elle insiste sur un détail inédit: Notre-Dame tient «une boule dans ses mains, qui représentait le globe. Elle tenait les mains élevées à la hauteur de l'estomac, d'une manière très aisée, les yeux élevés vers le Ciel» (...) C'est un regard d'imploration et un geste d'offrande pour ce monde: ses enfants qu'elle aime protéger. «Ici sa figure était de toute beauté. Je ne pourrais la dépeindre, et puis, tout à coup, j'ai aperçu des anneaux à ses doigts, revêtus de pierreries, plus belles les unes que les autres, les unes plus grosses et les autres plus petites, qui jetaient des rayons plus beaux les uns que les autres (...)» La voix lui a fait comprendre qu'on n'espère pas assez: «Les pierreries d'où il ne sort pas de rayons, ce sont les grâces qu'on oublie de me demander.» (...) Catherine elle-même avait précisé, dans l'autographe du 10 avril (...): «La Vierge offrait le globe à Notre-Seigneur. Cela est impossible à rendre. Il me serait impossible de l'exprimer.» (René Laurentin, Vie authentique de Catherine Labouré, pages 184 et 268)
 
13. Le grand prophète et interprète de Marie-Médiatrice est, sans nul doute, Saint Louis-Marie Grignon de Montfort. Quoique tout son enseignement soit fort utile et précieux, nous nous bornerons cependant à ne citer qu'un court extrait, celui qui nous a paru le plus important. Ainsi, Saint Louis-Marie nous recommande de faire toutes nos actions - dont la plus excellente est certes la communion eucharistique - PAR MARIE, AVEC MARIE, EN MARIE et POUR MARIE, afin de les faire plus parfaitement par Jésus-Christ, avec Jésus-Christ, en Jésus et pour Jésus. (Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge, n° 257) Ce qu'il développe en ces termes: Il faut faire toutes ses actions pour Marie. Car, comme on s'est tout livré à son service, il est juste qu'on fasse tout pour elle comme un valet, un serviteur et un esclave; non pas qu'on la prenne pour la dernière fin de ses services, qui est Jésus-Christ seul, mais pour sa fin prochaine, son milieu mystérieux, et son moyen aisé pour aller à lui. (ibid. n° 265) Et il conclut: GLOIRE À JÉSUS EN MARIE ! GLOIRE À MARIE EN JÉSUS ! GLOIRE À DIEU SEUL ! (ibid.)
 
14. A la même époque que Saint Louis-Marie, nous trouvons un autre grand Docteur: Saint Alphonse-Marie de Liguori. Citant un auteur ancien (sans référence), il nous dit: Saint Bernard nous exhorte à recourir toujours à cette divine Mère, parce que ses prières sont certainement exaucées par son Fils: «Recours à Marie, je le dis sans hésitation, le Fils exaucera certainement sa Mère.» Et il ajoute: «Mes petits enfants, c'est elle, l'échelle des pécheurs; elle, ma plus grande confiance; en elle toute ma raison d'espérer.» Le saint l'appelle l'échelle parce que, comme sur une échelle on ne monte au troisième échelon que si d'abord on ne met le pied sur le premier, ainsi on ne parvient à Dieu que par le moyen de Jésus-Christ, et on ne parvient à Jésus-Christ que par le moyen de Marie. (Le grand moyen de la prière, ch. 1, n° 27) Et il continue sur le même sujet: En conformité de sentiment avec Saint Bernard, parlent d'autres docteurs (...) Saint Bernardin de Sienne dit quelque part (...): «Par la Vierge, les grâces vitales sont transfusées du chef, le Christ, dans son corps mystique. Dès l'instant que la Vierge-Mère conçut dans son sein le Verbe divin, elle obtint, si j'ose ainsi parler, une certaine juridiction sur toute procession temporelle du Saint-Esprit. De la sorte, nulle créature n'obtiendra de Dieu une grâce qui ne relève de la distribution faite par cette tendre Mère.» (...) Saint Bonaventure écrit de même: «La nature divine tout entière s'étant renfermée dans le sein de la Vierge, je ne crains pas de dire que cette vierge n'ait obtenu une certaine juridiction sur toutes les grâces qui en découlent. Dans son sein, comme dans un océan divin, prennent leur source les fleuves de toutes les grâces.» (ibid.)
 
 
*
*    *
 
 
15. Pour terminer, voici le témoignage d'un jésuite espagnol, le Vénérable Louis du Pont (ou de la Puente), qui vécut aux XVIe et XVIIe siècles: Notre perte ayant commencé par un homme et par une femme, la Providence a voulu que notre salut commençât de même par un homme et par une femme; par Jésus-Christ principalement qui est notre chef, notre unique médiateur, et le Père du siècle à venir, et par sa bienheureuse Mère. Tous les hommes peuvent s'adresser avec confiance à l'un et à l'autre, comme à leur Père et à leur Mère. Car l'intention de Notre-Seigneur en choisissant Marie pour sa mère, a été qu'elle fût aussi la Mère et l'avocate des pécheurs; et que si les pécheurs, par une crainte assez naturelle, n'osaient recourir à lui parce qu'il est non seulement homme comme eux et leur avocat, mais encore leur Dieu et leur juge, ils eussent recours à Marie, qui ne doit point faire à leur égard l'office de juge, mais seulement celui d'avocate, de médiatrice et de Mère (...) Je vous rends grâces, ô Père Éternel, de ce que vous nous avez donné un Père et une Mère de même nature que nous, par l'entremise desquels nous sommes sûrs de ménager notre réconciliation avec vous. Je vous rends grâces pareillement, ô Verbe divin, de ce que vous avez voulu que votre Mère fut aussi la nôtre, et qu'elle nous servît de médiatrice pour nous présenter devant le trône de votre miséricorde, et pour nous garantir des rigueurs de votre justice. (Vén. P. Louis du Pont, Méditations, Tome I, IIe Partie, IIIe Méditation, pp. 400-401)
 
16. Nous venons de citer le Vénérable Père Louis du Pont; comme nous aurons encore recours à ses lumières dans le courant de cette étude, et afin de convaincre le lecteur de sa grande autorité en matière de doctrine, voici quelques traits de sa vie et de sa physionomie: Louis du Pont, espagnol, naquit à Valladolid, le 10 de novembre de l'an 1554 (...) Il fut reçu dans la Compagnie de Jésus, à l'âge de vingt ans (...) Ses infirmités s'augmentant de plus en plus, il fut obligé de renoncer tout à fait et à la régence et aux charges. Il se mit donc à écrire, et à donner au public ce qu'il avait appris jusqu'alors, moins par la lecture des livres spirituels, que par sa propre expérience, par l'exercice de l'oraison, et par une continuelle mortification de sa volonté, de ses appétits et de ses sens (...) Sa dévotion particulière était envers le Saint-Sacrement. Il passait les nuits entières dans une profonde contemplation, prosterné à terre, devant le corps de son Dieu et de son Sauveur. Durant le jour, il allait souvent l'adorer; et c'est dans ces sortes de visites que l'Esprit-Saint l'éclairait extraordinairement, et qu'il lui remplissait le coeur de consolations (...) Il mourut à Valladolid, le 17 de février de l'an 1624 (...) Le Père du Pont apparut depuis sa mort à quelques personnes éclatant de gloire (...) Il se fit voir avec plusieurs marques de la gloire dont il jouissait, mais particulièrement avec la couronne de docteur, pour avoir laissé à l'Église une doctrine salutaire, qu'il avait reçue du Saint-Esprit. (Notice sur la vie du Père Louis du Pont, dans les Méditations, Tome I, pages I, II et IV)
 
17. Nous avons parcouru rapidement cinq siècles de la médiation de Marie: ce bref coup d'oeil sur la pensée de ceux qui nous ont précédés sur le chemin de la foi nous a permis d'étoffer, par avance, la longue suite de raisonnements que nous allons aborder et qui sont nécessaires à toute démonstration rigoureuse. Ainsi, la Tradition de l'Église est toujours la référence fondamentale quant à la réalité objective de la médiation de Marie.
 
Mais ce que la Tradition affirme, la Sainte Écriture le confirme: les cinq chapitres de ces Préliminaires nous le montreront.
 
Principalement, nous verrons que, si Marie est Médiatrice (selon le témoignage de la Tradition), alors Marie exerce sa médiation d'une manière proprement corporelle, et ce, par le biais de la Sainte Ecriture, qui affirme explicitement qu'il n'y a qu'un seul médiateur, le Christ (cf. 1 Tm. 2, 5). Ceci revient à dire que notre propos principal sera d'établir que la médiation de Marie se réalise fondamentalement par le biais de la Sainte Écriture, et parallèlement par le biais de la communion eucharistique, laquelle médiation possédant alors et d'une manière tout à fait propre un aspect véritablement corporel. Finalement, dans notre conclusion, nous produirons le témoignage de trois Pères de l'Église, afin de sceller et de défendre avec autorité tout ce que nous aurons dit, en général, touchant la médiation de Marie entendue dans son aspect corporel.
 

 
 
 
 
Chapitre I
 
 
 
 
PRINCIPES FONDAMENTAUX
 
DE MARIE-MÉDIATRICE
 
 
 
 
18. Ces Préliminaires consacrés à la médiation de Marie dans son aspect corporel ont pour but d'étudier et de rechercher quels sont les différents aspects et les caractéristiques principales du rôle accompli par Marie lorsqu'elle guide et conduit l'Église, par voie de médiation, au sein de la Trinité, là où elle est déjà et selon un mode tout à fait personnel, c'est-à-dire d'une manière première et parfaite, ou encore comme membre suréminent et absolument unique de l'Église, modèle et exemplaire admirables pour celle-ci dans la foi et dans la charité. (Concile Vatican II, Lumen gentium, n° 53) Autrement dit, il s'agit de considérer Marie aidant, par volonté divine, et la Trinité, et l'Église, puisque, dans la mesure où elle est Médiatrice entre le Christ et l'Eglise, Marie permet, par son aide efficace, l'union de la Trinité et de l'Église dans le Christ: Toute influence salutaire de la part de la bienheureuse Vierge sur les hommes a sa source dans une disposition purement gratuite de Dieu; elle ne naît pas d'une nécessité objective, mais découle de la surabondance des mérites du Christ, elle s'appuie sur sa médiation dont elle dépend en tout et d'où elle tire toute sa vertu: l'union immédiate des croyants avec le Christ ne s'en trouve en aucune manière empêchée, mais au contraire aidée. (Concile Vatican II, Lumen gentium, n° 60)
 
19. Dire que Marie, dans le Christ, est médiatrice entre la Trinité et l'Eglise, et dire que, par le fait même, Marie permet, par son aide, l'union de la Trinité et de l'Église dans le Christ, suppose nécessairement, d'une part, que Marie est dans la Trinité et dans l'Église, et d'autre part, que la Trinité et l'Église sont en Marie. Aussi, quant à la première de ces deux propositions, Saint Maximilien Kolbe enseigne expressément, parlant de Marie dans la Trinité: Elle est une créature si élevée que l'un des Pères n'hésite pas à la nommer complément de la Sainte Trinité. (Lettre au Frère Salezy Mikolajczyk, 28 juillet 1935, dans L'Immaculée révèle l'Esprit-Saint, p. 51; Saint Hésychius de Jérusalem dit en effet que Marie-Médiatrice est OLON TES TRIADOS TO PLEROMA: le complément total de la Trinité; Patrologie Grecque 93, 1461) Plus tard, Saint Maximilien Kolbe développe sa pensée en disant: Elle, insérée dans l'amour de la très Sainte Trinité, devient dès le premier moment de son existence et pour toujours le complément de la Sainte Trinité. (Sur l'Immaculée Conception, 17 février 1941, ibid., p. 50) Et parlant de Marie dans l'Église, il déclare: L'Immaculée sait tout et dirige tout. ll faut consentir à ce qu'elle nous conduise de mieux en mieux, et c'est elle-même, à travers nous, qui fera le plus pour le salut des âmes, pour les conquérir à elle et à travers elle au Coeur de Jésus. (Lettre au Frère Salezy Mikolajczyk, 28 décembre 1934, ibid., p. 113-114) Ce qu'il avait déjà exprimé d'une autre manière quelques temps plus tôt: Ouvrons-lui notre coeur et l'âme et le corps et tout sans restriction et sans limites; consacrons-nous à elle totalement pour être ses serviteurs, ses fils, sa propriété inconditionnelle, pour que, d'une certaine façon, nous devenions elle-même vivant, parlant et agissant dans ce monde. (Lettre aux Clercs de l'Ordre, 28 février 1933, ibid., p. 113)
 
20. Quant à la seconde proposition, que la Trinité et l'Église sont en Marie, Saint Maximilien Kolbe nous dit, d'abord quant à la présence de la Sainte Trinité en Marie: «Le Seigneur est avec vous !» O vraiment, Dieu est toujours avec elle, et d'une façon si étroite, si parfaite. N'est-elle pas comme «une partie de la Sainte Trinité» ? Dieu le Père son Père, le Fils de Dieu son Fils, l'Esprit-Saint son Époux ! Et partout où elle va, elle apporte avec elle toute la Trinité Sainte (...) Là où elle est absente, Dieu, Jésus est absent aussi; et là où elle est, il y a la Sainte Trinité.» (Méditation, 14 avril 1933, ibid., p. 50) Ensuite quant à la présence de l'Église en Marie, il n'hésite pas à déclarer expressément: Il faut s'en remettre à l'Immaculée, elle est complètement divine. Il faut se dépouiller complètement de soi, ne rien garder pour soi, absolument rien: il faut que ce soit elle qui fasse tout. (Conférence, 17 février 1938, ibid., p. 114-115) Et il développe le dernier point en ces termes: Pour y arriver, nous devons vivre dans son âme, penser par ses pensées, etc., pour qu'il n'y ait pas de différence avec nos manières de voir, de même qu'il n'y a pas de différence entre ses désirs et la Volonté de Dieu. (Conférence, 24 novembre 1938, ibid., p. 115)
 
21. Au témoignage de Saint Maximilien Kolbe, ajoutons d'abord celui du Vénérable Père Louis du Pont. Parlant de la Conception Immaculée de Marie, il s'exclame: Oh ! quel plaisir c'était à la très sainte Trinité de voir cette Vierge si accomplie en toutes sortes de vertus ! Le Père Éternel se glorifiait d'avoir mis au monde une fille si digne de lui. Le Verbe divin considérait avec joie tant de beauté et de grâce en celle qui devait être sa Mère. Le Saint-Esprit était ravi d'avoir trouvé une telle épouse. En un mot, les trois Personnes prirent possession de cette âme sainte, et y établirent leur demeure. (Méditations, Tome I, IIe Partie, IIIe Méditation, p. 409) Et il poursuit, au sujet de la nativité de Marie: Si plusieurs se réjouirent de la naissance de Saint Jean, parce qu'il était le précurseur de Jésus-Christ, à combien plus forte raison tout le monde devait-il être dans la joie à la naissance de Marie, que Dieu destinait pour être sa Mère ? Cette considération doit produire dans nos coeurs une joie sainte, et nous exciter à louer Dieu, et à féliciter la très sainte Trinité de ce que cette Vierge bien-aimée est venue au monde; le Père de ce qu'il lui est né une fille; le Fils, de ce qu'il lui est né une Mère; et le Saint-Esprit, de ce qu'il lui est né une épouse. O admirable Trinité, qu'heureuse mille fois soit la naissance de cette fille qui vous est si chère ! Communiquez-moi les mêmes sentiments de joie que vous donnez à tant d'autres en cet heureux jour, puisque Marie est née pour moi aussi bien que pour tous les autres. (ibid., IVe Méditation, p. 410-411) Ensuite, pour résumer toute la Tradition de l'Eglise jusqu'à nos jours, citons le Pape Jean-Paul II, dans son Encyclique Redemptoris Mater, sur la Bienheureuse Vierge Marie dans la vie de l'Eglise en marche. Le Successeur de Pierre présente ainsi le rôle de Marie-Médiatrice entre la Sainte Trinité, où Marie est l'Epouse de l'Esprit-Saint, et l'Eglise, au sein de laquelle Marie occupe la première place: Le jour de la Pentecôte (...), commence le cheminement de la foi, le pèlerinage de l'Eglise à travers l'histoire des hommes et des peuples. On sait qu'au début de ce cheminement Marie est présente, nous la voyons au milieu des Apôtres dans le Cénacle «appelant de ses prières le don de l'Esprit» (Concile Vatican II, Constitution Lumen Gentium, n° 59). Son cheminement de foi est, en un sens, plus long. L'Esprit-Saint est déjà descendu sur elle; elle est devenue son épouse fidèle à l'Annonciation, elle accueille le Verbe du vrai Dieu et rend «un complet hommage d'intelligence et de volonté à Dieu qui révèle dans un assentiment volontaire à la révélation qu'il fait», et même s'en remet tout entière à Dieu par «l'obéissance de la foi» (Concile Vatican II, Constitution Dei Verbum, n° 5), ce pourquoi elle répond à l'ange: «Je suis la servante du Seigneur; qu'il m'advienne selon ta parole.» (Lc. 1, 38) L'itinéraire de la foi de Marie, que nous voyons en prière au Cénacle, est donc plus long que celui des autres rassemblés là: Marie les «précède», «occupe la première place» (Concile Vatican II, Constitution Lumen Gentium, n° 63). (S.S. Jean-Paul II, "Redemptoris Mater", n° 26) Et le Pape ajoute peu après: Dès le premier moment, l'Eglise regardait Marie à travers Jésus, comme elle regardait Jésus à travers Marie. (ibidem)
 
22. Dans la mesure où Marie, considérée dans la Sainte Trinité, exerce, dans le Christ, l'office de médiatrice entre la Sainte Trinité et l'Eglise; et si l'on envisage, non pas les Personnes mises en relation par l'intermédiaire de Marie, mais bien le don - qui est la grâce - que Marie a la charge de transmettre de la Sainte Trinité - dans le Christ - à l'Église; alors on peut dire que Marie n'a pas de fonction plus haute et plus digne que celle de transmettre à l'Église, dans le Christ, tout le Mystère qu'est la Sainte Trinité elle-même, c'est-à-dire le Mystère propre de la Divinité une et trine, qui est, de par sa nature, la Grâce incréée. Autrement dit, Marie-Médiatrice dans la Sainte Trinité révèle à l'Église cette même Trinité divine dont elle fait, d'une certaine manière, partie. Aussi, à Rome, le 12 avril 1947, lors d'une apparition à un chrétien protestant, Bruno Cornacchiola, Marie proclama clairement qu'elle est, pour toujours, Médiatrice du Mystère du Dieu un et trine dans le Christ, disant: Je suis Celle qui est dans la divine Trinité. Je suis la VIERGE DE LA REVELATION. (cf. Mgr Fausto Rossi, La Vierge de la Révélation, p. 18) Mais ce qui est tout aussi important à remarquer, c'est que Marie, au cours de cette même apparition, adressa à ce chrétien des paroles toutes maternelles et remplies de force et d'encouragement pour l'aider dans son mouvement de conversion vers le souverain Bien qui est Dieu un et trine; ainsi, elle lui dit, après les paroles citées plus haut: Tu me persécutes; arrête maintenant ! Entre dans le troupeau élu, cour céleste sur la Terre. La promesse de Dieu est, et reste immuable: les neuf vendredis du Sacré-Coeur, que tu as observés pour faire plaisir à ta fidèle épouse avant de suivre le chemin de l'erreur, t'ont sauvé ! (ibid.) Voilà donc un premier principe, tout entier contenu dans le titre de nos Préliminaires: Marie dans la Trinité, pour l'Église.
 
 
*
*    *
 
 
23. Si nous supposons que Marie est médiatrice entre Dieu - dans le Christ - et l'Eglise, cela revient à envisager la médiation de Marie comme le moyen par lequel le Dieu un et trine se révèle à l'Église: Marie-Médiatrice est alors Celle par laquelle le Mystère de la Sainte Trinité est transmis, par mode de révélation, à l'Église, dans le Christ. Or, de son côté, le Christ est lui aussi médiateur entre Dieu, qu'il est lui-même, et l'Eglise: le Christ est Celui qui révèle Dieu à l'Église, selon l'enseignement du Concile Vatican II, qui déclare que le Christ (...) est à la fois le médiateur et la plénitude de toute la Révélation (Dei Verbum, n° 2). Ainsi, selon notre supposition, nous sommes en présence de deux médiateurs: le Christ et Marie. Ces deux médiateurs sont essentiellement différents et distincts, puisque le Christ et Marie sont tous deux des personnes et que la personne est, de soi, totalement incommunicable. De plus, le Christ est médiateur d'une manière première, ou encore principale, puisqu'il possède et la nature divine, et la nature humaine, alors que Marie ne possède que la seule nature humaine. Donc, selon le témoignage de la Tradition, il existe certainement deux médiateurs, qui sont les deux personnes, distinctes et incommunicables, du Christ et de Marie, le Christ étant médiateur principal, et Marie médiateur secondaire. Or, à tout cela, s'oppose, ou plutôt semble s'opposer ce passage de l'Ecriture, qui déclare, par la bouche de Saint Paul: Il n'y a qu'un Dieu, et qu'un seul médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus. (1 Tm. 2, 5) Aussi, il nous faut introduire une notion qui permette de concilier ces deux affirmations: celle de la Tradition qui enseigne qu'il y a deux médiateurs, le Christ et Marie; et celle de l'Ecriture, qui déclare qu'il n'y a qu'un seul médiateur: le Christ. Or, la notion permettant une telle conciliation ne peut être que celle de mystère, c'est-à-dire ce qui dépasse la raison créée, car seule la notion de mystère permet de concilier le fait qu'une même réalité - ici celle de médiateur - soit, tout à la fois et sous le même rapport, une et double, ou encore, une et multiple. Par conséquent, si Marie est vraiment médiatrice (et c'est ce que nous voulons démontrer), ce ne peut être que d'une manière mystique ou mystérieuse.
 
24. La médiation de Marie est d'ordre mystique, Marie est Médiatrice si on la considère comme un Mystère par rapport au Christ-Médiateur. Or, ainsi que nous venons de l'établir, ce mystère de la Médiation de Marie repose entièrement sur la notion de personne: il y a deux médiateurs parce que le Christ et Marie sont deux personnes différentes et distinctes. Donc, comme l'homme est essentiellement composé d'une âme spirituelle et d'un corps organique et matériel, il s'ensuit que la médiation de Marie - si on considère Marie comme un Mystère - possède nécessairement deux aspects absolument essentiels, l'un spirituel, l'autre corporel. Mais, quant à l'aspect spirituel de la Médiation de Marie, comme ce qui est spirituel est simple et un, nous sommes réduits, de soi, à ne considérer que l'unique médiation du Christ, avec laquelle se confond alors la médiation de Marie dans son aspect spirituel. C'est ce que Saint Paul met en évidence lorsqu'il associe l'unicité de Dieu, qui est esprit (Jn. 4, 24), avec l'unicité du Médiateur, qui est le Christ (voir 1 Tm. 2, 5 cité au n° 23). Par conséquent, par mode d'exclusion, nous pouvons conclure, de ce qui précède, que seul l'aspect corporel de la médiation de Marie permet de considérer Marie comme Médiatrice - d'une manière mystique - avec et dans l'union au Christ-Médiateur.
 
25. Marie-Médiatrice, considérée d'une manière mystique, et donc, par le fait même, dans son union au Christ-Médiateur, ne peut être conçue comme telle que selon l'aspect corporel de sa médiation. Or, quant au Christ-Médiateur, toujours premier en tant que Dieu, Saint Paul l'appelle, mystiquement, et d'une manière corporelle, la tête du corps, de l'Église (Col. 1, 18), ou encore le chef de tout homme (1 Co. 11, 3). Ainsi, comme Marie-Médiatrice est nécessairement différente et distincte du Christ-Médiateur, on ne peut appeler Marie-Médiatrice, d'une manière mystique et corporelle, que par la partie de la personne humaine qui n'est pas la tête, c'est-à-dire par tout ce qui est alors proprement le corps: Marie-Médiatrice est donc mystiquement, d'une manière corporelle, le corps du Christ (1 Co. 12, 27). Mais la notion de corps du Christ, en vertu de l'aspect multiple et composé du corps humain, se rapporte nécessairement, non pas à une seule personne qui serait Marie-Médiatrice, mais bien à plusieurs, ainsi que Saint Paul le confirme, disant: Nous ne formons, à plusieurs, qu'un seul corps. (1 Co. 10, 17) Il s'ensuit donc que Marie-Médiatrice, en tant qu'elle est appelée mystiquement le «corps du Christ», doit être considérée comme un des membres de l'Église, comme une simple fidèle, à qui s'appliquent ces autres paroles de l'Apôtre: Nul n'a jamais haï sa propre chair; au contraire, chacun la nourrit et la soigne ainsi que le Christ fait pour l'Église, puisque nous sommes les membres de son corps. (Ep. 5, 29-30)
 
26. Selon l'aspect corporel de sa médiation, Marie-Médiatrice doit être considérée comme un membre de l'Église, Corps du Christ. Cela revient à dire que, dans la mesure où la fonction propre de Marie-Médiatrice consiste à révéler à l'Église tout le Mystère du Dieu un et trine dans le Christ, alors Marie-Médiatrice exerce, auprès d'elle-même, l'office de Médiatrice: Marie, simple membre du Corps mystique du Christ, se révèle à elle-même, par voie de médiation, tout le Mystère de la Sainte Trinité. Et ceci ne peut s'accomplir que dans et par l'acte sacramentel de la communion eucharistique. En effet, selon l'aspect corporel de la médiation du Christ et de Marie, comprise dans un sens mystique, le Christ et Marie sont corporellement distincts et différents l'un de l'autre: le Christ est Tête, et Marie est Corps. Ainsi en est-il dans la communion eucharistique où, d'une part, le Christ, agissant comme Chef et Tête en décidant lui-même de son mode d'existence, est présent sous les apparences corporelles du pain et du vin; et d'autre part, Marie, agissant corporellement lors de la manducation du sacrement, manifeste son existence ordinaire de personne humaine. De plus, le Christ-Eucharistie étant nécessairement passif si on le considère comme vraiment une nourriture (Jn. 6, 55) et comme vraiment une boisson (ibid.), il faut affirmer que c'est réellement Marie qui agit lorsqu'elle porte la main sur le sacrement pour le porter à sa bouche et s'en nourrir: c'est donc vraiment Marie qui, en vertu de la Volonté divine manifestée par l'institution de l'Eucharistie sous forme de nourriture ou de boisson, se révèle à elle-même, d'une manière sacramentelle, la Parole de Dieu incarnée dans le Christ. Autrement dit, dans la communion eucharistique, Marie, par son action humaine, permet au Dieu un et trine de se révéler sacramentellement à elle.
 
27. L'aspect corporel de la médiation de Marie consiste, pour Marie, à se révéler à elle-même le Mystère de la Sainte Trinité par l'action sacramentelle de la communion eucharistique. Or, premièrement, comme tout ce qui concerne la divinité est essentiellement caractérisé par la notion de plénitude, il s'ensuit que Marie, en communiant à l'Eucharistie, réalise son office de médiatrice selon un mode de plénitude qualitative, c'est-à-dire une plénitude relative à l'objet de sa médiation, qui est le Mystère de la Sainte Trinité. Deuxièmement, Marie, en communiant à l'Eucharistie, réalise son office de médiatrice selon un mode de plénitude quantitative, c'est-à-dire une plénitude relative à la totalité des sujets propres de sa médiation. En effet, nous savons que, pour communier à la divinité, il est nécessaire d'être agréable à Dieu: il faut posséder le don divin de la grâce sanctifiante. Or, d'une part, la médiation de Marie - en tant que Mystère - est fondée sur la notion de personne (voir n° 23); et d'autre part, le nom propre de Marie, c'est-à-dire l'expression de toute sa personne, est pleine de grâce (Lc. 1, 28). Par conséquent, relativement au sujet de sa médiation, c'est-à-dire toute personne humaine appelée à faire partie du Corps du Christ, qui est l'Eglise, Marie exerce cette même médiation selon un mode de plénitude quantitative: parce qu'elle est personnellement pleine de grâce, Marie est médiatrice entre le Christ, qui est Dieu, et toute et chacune des personnes qui composent l'Eglise. Finalement, tout ceci permet de dire que, lorsque, en vertu de sa plénitude de grâce, Marie communie à l'Eucharistie, elle le fait nécessairement et directement en tant que médiatrice, dans le Christ, entre la Sainte Trinité et l'Église considérée dans toute sa plénitude, ou encore envisagée selon la totalité des élus de Dieu dans le Christ; et que, par le fait même, ce n'est que d'une manière indirecte que Marie communie à l'Eucharistie pour se révéler à elle-même - en tant que simple membre de l'Église - tout le Mystère de la Sainte Trinité. En résumé, Marie, en communiant à l'Eucharistie en vertu de sa plénitude de grâce, réalise son office de médiatrice selon un mode de plénitude qualitative et quantitative, c'est-à-dire une plénitude relative tant à l'objet qu'à la totalité des sujets propres de sa médiation.
 
28. En communiant à l'Eucharistie, Marie réalise sacramentellement, d'une manière absolument pleine, aussi bien qualitativement que quantitativement, l'office de sa médiation, qui est de révéler à l'Église, dans le Christ, tout le Mystère du Dieu un et trine. Mais, comme, d'une part, le Christ-Médiateur est Celui dont le corps humain vivant, visible et matériel, sert d'intermédiaire et de moyen pour permettre à l'Église de voir le Dieu invisible (Col. 1, 15), ainsi que le Christ lui-même l'a expressément déclaré, disant: Nul ne vient au Père que par moi (...) Celui qui m'a vu, a vu le Père (Jn. 14, 6 et 9); et comme, d'autre part, le sacrement de l'Eucharistie, en tant qu'il contient réellement le pain de Dieu (Jn. 6, 33) fait chair (Jn. 1, 14), est appelé, et est vraiment, sous mode sacramentel, le corps du Christ (1 Co. 10, 16) nous pouvons conclure, de tout ce qui précède, que Marie-Médiatrice révèle à l'Église le Mystère de la Sainte Trinité au moyen du Corps sacramentel du Christ, tout comme le Christ-Médiateur accomplit la même action au moyen de son Corps personnel et historique. Voici donc un deuxième principe, tout entier contenu dans le sous-titre de nos Préliminaires: Aspect corporel de la médiation de Marie.
 
 
*
*    *
 
 
29. La Révélation divine consiste, pour Dieu, à se révéler lui-même en personne: Il a plu à Dieu, dans sa sagesse et sa bonté, de se révéler en personne. (Concile Vatican II, Dei Verbum, n° 2) Par le fait même, comme il y a trois personnes divines, la Révélation divine est fondamentalement un acte trinitaire. C'est pourquoi le Christ, qui est le Fils éternellement engendré par le Père dans l'Esprit-Saint, est appelé «la plénitude de toute la Révélation (ibid.). Or, Marie-Médiatrice, ainsi que nous l'avons vu ci-dessus (voir n° 22), est Celle qui est dans la Divine Trinité. Donc, on peut dire que lorsque Dieu se révèle en tant que Trinité, il révèle aussi, implicitement, la personne de Marie-Médiatrice.
 
Mais, comme Marie exerce sa fonction de médiatrice par l'intermédiaire du sacrement de l'Eucharistie envisagée comme communion (voir n° 28), la Révélation que Dieu fait de lui-même en tant que Trinité ne peut contenir en elle la révélation de Marie-Médiatrice que dans la mesure où cette même révélation témoigne du Mystère de la Communion eucharistique, et ce, d'une manière tout à fait explicite et ouverte, puisqu'il s'agit ici d'un sacrement, et que tout sacrement comporte essentiellement un aspect sensible et apparent.
 
30. Étant donné que nous traitons de la médiation de Marie dans son aspect corporel (voir nos 24 et 28), la Révélation trinitaire de Dieu, par rapport à l'Eucharistie, et concernant Marie-Médiatrice, ne peut pas se trouver ailleurs que dans la Sainte Écriture, qui est l'aspect corporel de la Révélation divine, ou encore, la parole de Dieu en tant que, sous l'inspiration de l'Esprit divin, elle est consignée par écrit. (Concile Vatican II, Dei Verbum, n° 9) Or, dans la Sainte Écriture, au verset 57 du chapitre sixième de l'Évangile de Saint Jean, nous trouvons, en une seule et même phrase, la Révélation que Dieu fait de lui-même, en tant que Trinité, et, dans une commune relation, la Révélation explicite du Mystère de la Communion eucharistique. Donc, ce verset de la Sainte Écriture (Jn. 6, 57) peut être donné comme un fondement sûr de la médiation de Marie dans son aspect corporel. Mais, par le fait même, c'est-à-dire, étant donné que ce passage scripturaire traite implicitement de la médiation de Marie dans son aspect corporel (puisqu'il en possède toutes les caractéristiques propres), nous devons nécessairement lire et comprendre ce texte à l'aide de notions essentiellement humaines, c'est-à-dire non pas directement comme étant la Parole de Dieu, simple et unique (car spirituelle), mais bien comme étant humainement - car corporellement - les paroles de Dieu (Jn. 3, 34 - cf. Concile Vatican II, Dei Verbum, n° 4), qui sont toujours multiples en elles-mêmes.
 
31. Si nous avons choisi le texte de Jean 6, 57 (que nous analyserons en détail ci-dessous), c'est parce qu'il correspond pleinement aux caractéristiques propres de la médiation de Marie dans son aspect corporel (voir nos 29 et 30). En effet, d'une part, la médiation de Marie dans son aspect corporel possède les caractéristiques suivantes: la première, qui est absolument essentielle, est sa dimension corporelle; la deuxième, qui est relative à son mode d'exercice, est qu'elle s'accomplit par le moyen de la communion eucharistique; la troisième, qui est relative à son objet, est qu'elle permet à la Très Sainte Trinité de se révéler en personne. D'autre part, le passage scripturaire de Jean 6, 57 possède les caractéristiques suivantes: la première est sa dimension corporelle, puisqu'il s'agit d'un texte écrit; la deuxième est que ce texte utilise le moyen de la communion eucharistique pour nous parler, puisqu'il décrit la communion de vie, par mode de nutrition, entre le Christ et l'Eglise; la troisième est qu'il permet à la Très Sainte Trinité de se révéler au lecteur, puisqu'il décrit la comparaison entre la Vie divine trinitaire et la communion eucharistique. Aussi, de tout ceci, étant donné que la Sainte Écriture, en tant qu'elle contient les paroles de Dieu (Jn. 3, 34 - voir n° 30), est pleinement incluse et comprise dans le mystère eucharistique, qui est celui de l'unique Parole de Dieu communiquée à l'homme, on peut affirmer que la Sainte Écriture en général, et le passage de Jean 6, 57 en particulier, est le moyen exclusivement corporel, qui est parallèle au mystère de l'Eucharistie et inclus en lui, moyen par lequel Marie-Médiatrice révèle à l'Église, dans le Christ, le Mystère de la Sainte Trinité. Par le fait même, en vertu des deux sens de la médiation de Marie, le passage de Jean 6, 57, s'il vient de Dieu par Marie, doit de même être lu et interprété par l'Église au moyen et par l'intermédiaire de Marie.
 
32. Comme nous venons de le rappeler (voir n° 31), l'objet de la médiation de Marie est la Sainte Trinité elle-même. Cela veut dire que Marie est médiatrice, par mode de révélation, entre la Sainte Trinité et l'Église. Mais, comme nous avons vu que Marie se révèle à elle-même, par le biais de la communion eucharistique, tout le Mystère de la Sainte Trinité (voir n° 26); et en vertu du rapport d'inclusion entre la Sainte Écriture et le mystère eucharistique (voir n° 31); nous pouvons dire aussi que Marie, par le biais de la Sainte Écriture, se révèle à elle-même le Mystère de la Sainte Trinité, Mystère contenu, non pas directement dans l'unique Parole de Dieu, mais bien indirectement dans les multiples paroles de Dieu qui composent la Sainte Écriture. Autrement dit, par rapport à l'objet de sa médiation, Marie est médiatrice entre la Sainte Trinité et sa propre personne. Or, d'une part, Marie, en tant que médiatrice, est Celle qui est dans la Divine Trinité: Marie ne peut être médiatrice entre la Sainte Trinité et sa propre personne que si cette dernière fait partie, d'une certaine manière, de la Sainte Trinité (voir n° 19). D'autre part, la Sainte Trinité, en tant qu'objet de la médiation de Marie entre la même Sainte Trinité et la personne même de Marie, est Celle qui est en Marie; c'est-à-dire que la Sainte Trinité, révélée dans le Christ par le biais de la Sainte Écriture composée de multiples paroles divines, est dans toute personne humaine qui accueille librement en elle cette Révélation, ainsi que le Seigneur le confirme, disant: Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole et mon Père l'aimera, et nous viendrons à lui, et nous ferons chez lui notre demeure. (Jn. 14, 23) De plus, comme il s'agit ici de la médiation de Marie s'exerçant par le biais de la Sainte Écriture, et comme la même Écriture Sainte est, de soi, uniquement corporelle et matérielle - puisqu'elle est de l'ordre du signe - nous devons considérer que la médiation de Marie ne s'exerce, dans le cas présent de la Révélation par le biais de la Sainte Ecriture, que d'une manière corporelle. Autrement dit, Marie-Médiatrice, quoiqu'étant - par mode de médiation - en communion corporelle et spirituelle avec la Sainte Trinité par le biais du mystère eucharistique, cependant, ici, elle n'est qu'en communion corporelle avec ce même mystère de la Sainte Trinité; par le fait même, Marie, dans l'acte de la Révélation par le biais de la Sainte Écriture ne peut et ne doit être envisagée que selon son corps, et non pas selon toute sa personne, c'est-à-dire corps et âme. Par conséquent, de tout ce qui précède, nous pouvons aisément conclure, premièrement, que ce qui est uniquement corporel - c'est-à-dire Marie - est dans ce qui est uniquement spirituel - c'est-à-dire Dieu - et deuxièmement, que ce qui est uniquement spirituel - toujours Dieu - est dans ce qui est uniquement corporel - Marie. Par le fait même, nous pouvons dire que, considérée comme médiatrice entre la Sainte Trinité et l'Eglise, Marie, qui possède un corps, est semblable à Dieu, qui est esprit (Jn. 4, 24): elle est la nouvelle Éve, qui a été créée, ainsi qu'Adam, à la ressemblance de Dieu (Gn. 5, 1).
 
33. En Jean 6, 57, Dieu-Trinité se révèle lui-même à l'Église par Marie-Médiatrice. Or, nous venons de voir que, en tant que médiatrice entre la Sainte Trinité - dans le Christ - et l'Église, Marie est semblable à Dieu-Trinité. Donc, lorsque Dieu-Trinité se révèle lui-même, il ne peut pas - parce qu'il l'a voulu ainsi - ne pas révéler, par le fait même, la personne humaine de Marie qui lui est semblable: la Révélation de Dieu-Trinité, dans la Sainte Écriture, est absolument inséparable de la Révélation de Marie-Médiatrice, et ce, d'une manière simple et une, en vertu du caractère simple de la divinité, toujours première pour ce qui concerne le fait de la Révélation. Mais comme Marie n'est semblable à Dieu-Trinité que parce qu'elle est médiatrice, c'est-à-dire intermédiaire entre la Sainte Trinité et l'Église, nous devons affirmer nettement que, lorsque Dieu-Trinité se révèle lui-même dans la Sainte Écriture, Marie-Médiatrice, en tant que personne humaine semblable à Dieu-Trinité, sert de point de comparaison et de lieu de passage obligé pour lire et pour interpréter, dans l'union de l'Esprit de Dieu, la Révélation trinitaire de Jean 6, 57. Par conséquent, par mode de principe, nous pouvons conclure que, lorsque Dieu se révèle lui-même en tant que Trinité, dans Jean 6, 57, on ne peut pas ne pas appliquer aux notions divines contenues dans ce texte toutes les notions pleinement humaines qui se rapportent directement à ces mêmes notions divines. Cela veut dire que nous devons nécessairement comparer la vie trinitaire - qui est essentiellement une et triple, une par l'essence divine, triple par les personnes - à la vie humaine - qui est elle aussi, et elle seule, une et triple, puisque une et multiple, une par l'âme spirituelle sanctifiée par la grâce, et multiple par le corps animal, organique, et matériel. C'est là notre troisième principe - conséquence des deux premiers (voir nos 22 et 28) - qui va nous permettre d'analyser en détail le passage scripturaire de Jean 6, 57.
 


 
 
 
 
Chapitre II
 
 
 
 
JEAN 6, 57
 
LA VIERGE PUISSANTE DE LA NATIVITÉ
 
 
 
 
34. Le passage scripturaire de Jean 6, 57 contient des paroles du Christ lui-même: en tant que tel, ce texte est l'expression de la Parole de Dieu adressée aux hommes par l'intermédiaire du Christ en personne. Mais en tant que l'Église lit ces paroles de Jean 6, 57 au moyen du livre inspiré qui s'appelle Bible, ou Écriture Sainte, il s'agit aussi, et tout en même temps, de la Parole de Dieu adressée aux hommes par l'intermédiaire de Marie-Médiatrice, puisque premièrement, le rédacteur de ce texte est Saint Jean, un des membres de l'Église, et que deuxièmement, l'Église reçoit toute Révélation trinitaire d'ordre exclusivement corporel - c'est-à-dire par le biais de la Sainte Écriture - par l'intermédiaire de Marie-Médiatrice (voir n° 31). Donc, comme d'une part, Marie-Médiatrice, dans le cadre de sa médiation touchant la Sainte Écriture, doit être considérée uniquement selon son corps; et comme d'autre part, ce qui est exclusivement corporel est nécessairement composé et multiple; il s'ensuit que le passage de Jean 6, 57, envisagé comme la Parole de Dieu adressée aux hommes par l'intermédiaire de Marie-Médiatrice, ne peut pas - en tant que Révélation trinitaire révélant Marie-Médiatrice (voir n° 33) - ne pas posséder plusieurs (au moins deux) versions écrites de l'unique Parole de Dieu révélée par le Christ. Autrement dit, le passage scripturaire de Jean 6, 57, quoique ne possédant qu'une seule et unique formulation humaine dans l'esprit du Christ qui est Dieu, possède cependant, et nécessairement au moins deux formulations différentes, écrites par l'homme - ici Saint Jean - guidé dans la foi, par l'Esprit de Dieu. Par le fait même, dans notre interprétation de Jean 6, 57 par l'intermédiaire de Marie-Médiatrice, nous aurons à tenir compte des diverses expressions que nous pourrons rencontrer dans les différentes versions ou traductions de la Sainte Écriture.
 
35. Dans la Bible de Maredsous, nous trouvons la traduction française suivante: Tout comme le Père, qui m'a envoyé, est vivant, et comme je vis par le Père, ainsi celui qui me mange vivra par moi. (Jn. 6, 57 - Bible de Maredsous, édition 1990 - Cette version de la Bible a été établie par les moines de l'Abbaye de Maredsous, en Belgique, avec la collaboration des moines de l'Abbaye de Hautecombe, en France.) Cette première traduction, pour ce qui regarde la première proposition de la phrase, met l'accent sur la Vie du Père et du Fils dans l'Esprit-Saint; elle est donc proche de celle donnée par le Catéchisme de l'Eglise Catholique, où on lit: De même qu'envoyé par le Père, qui est vivant, Moi, Je vis par le Père, de même, celui qui Me mange, vivra, lui aussi, par Moi. (n° 1391) La seconde traduction est celle de la Vulgate latine. Saint Jérôme traduit ainsi l'original grec: Sicut misit me vivens Pater, et ego vivo propter Patrem; et qui manducat me, et ipse vivet propter me. (Jn. 6, 58 - Dans la Vulgate latine, le verset 57 est numéroté 58) Cette seconde traduction donne un autre sens à la première proposition de la phrase: l'accent est mis ici sur l'envoi du Fils par le Père, envoi accompli dans la relation à la Vie divine trinitaire; ainsi, cette seconde traduction est voisine de celle donnée par le Lectionnaire liturgique français, où il est écrit: De même que le Père, qui est vivant, m'a envoyé, et que moi je vis par le Père, de même aussi celui qui me mangera vivra par moi. (Il faut toutefois noter une différence entre cette dernière traduction et le texte de la Vulgate, car le verbe manducat doit se traduire par le présent mange, et non pas par le futur mangera.) Ainsi, le passage scripturaire de Jean 6, 57, quant à la première proposition de la phrase, apparaît clairement comme la révélation du Père et du Fils agissant trinitairement (le Saint-Esprit étant sous-entendu lorsqu'on parle communément du Père et du Fils), laquelle révélation peut être décrite deux manières conjointes: ou bien le Père et le Fils, au Ciel comme sur la terre où ce même Fils a été envoyé, vivent relativement l'un à l'autre dans l'union de l'Esprit-Saint (comme il est dit dans la conclusion de l'Oraison Collecte de la Messe); ou bien le Père envoie son Fils tout en demeurant uni à Lui par le lien de la Vie, qui est celui de l'Esprit vivifiant (Credo).
 
 
*
*    *
 
 
36. Si nous comparons et expliquons le texte de Jean 6, 57 à l'aide des concepts propres de la personne humaine, c'est-à-dire si nous comparons la vie divine trinitaire à la vie humaine qui est tout à la fois spirituelle et corporelle, alors nous allons voir que les deux manières différentes par lesquelles s'exprime l'action du Père et du Fils décrite en Jean 6, 57 s'harmonisent entre elles et s'unissent d'une manière absolument simple, et ce, en vertu de la notion même de personne humaine, laquelle est simplement semblable au sujet connaissant - c'est-à-dire nous - et à l'objet connu qui est Dieu (voir nos 32 et 33). Notre propos sera donc de montrer ci-après que l'acte de vie du Père et du Fils dans l'Esprit-Saint, acte de vie considéré ad extra, c'est-à-dire sous l'angle de vue de la Révélation, est absolument la même réalité qui s'accomplit lorsque le Père envoie dans le monde son Fils porteur de l'Esprit-Saint. Ainsi, quoique l'acte de vie de Dieu - puisqu'il est éternel - est unique en lui-même, qu'on le considère ad intra ou ad extra (l'acte de Dieu ad intra, c'est l'acte de Dieu en lui-même; l'acte de Dieu ad extra, c'est l'acte de Dieu en dehors de lui-même); cependant, si on se base sur la ressemblance existant entre Dieu et la personne humaine, ressemblance qui atteint sa plénitude dans l'hypostase du Christ, alors l'acte de vie de Dieu est un acte de génération, si on le considère ad intra: il est semblable à l'acte de la femme qui conçoit en elle un enfant dans sa relation conjugale avec l'homme. Il s'agit donc ici de l'acte par lequel le Père, dans l'Esprit qu'il est lui-même de par sa nature (cf. Jn. 4, 24), engendre son Fils, le Verbe de vie (1 Jn. 1, 1); autrement dit, l'acte de vie de Dieu ad intra consiste dans la génération de la Parole divine, une, éternelle et indivisible, ainsi qu'il est écrit: Tu es mon fils, c'est moi qui t'ai engendré aujourd'hui. (Ps. 2, 7) Mais, selon la même comparaison avec la personne humaine, l'acte de vie de Dieu est aussi, et tout en même temps - puisqu'il s'agit d'un acte absolument unique - un acte de naissance ou de mise au monde, si on le considère ad extra: il est alors semblable à l'acte par lequel la femme met au monde et au grand jour l'enfant qu'elle tenait caché en elle durant le temps de la grossesse. Ainsi, l'acte de vie de Dieu envisagé sous cet angle de la naissance n'est autre que l'acte, accompli dans l'Esprit-Saint, qui consiste dans l'envoi, dans le monde, du Fils par le Père; autrement dit, la Parole cachée dans le secret de l'Esprit du Père est alors dévoilée et manifestée au monde dans ce même Esprit-Saint porté par le Fils sur l'Ordre et sur la mission du Père, selon ce que dit Saint Paul: Lorsque vint la plénitude du temps, Dieu a envoyé son Fils, né d'une femme. (Ga. 4, 4)
 
Ceci est d'ailleurs confirmé par le fait que le baptême - sacrement d'initiation à la Vie divine participée - est appelé le sacrement de la régénération par l'eau et dans la parole (Catéchisme de l'Église Catholique, n° 1213), mais aussi le sacrement qui signifie et réalise cette naissance de l'eau et de l'Esprit sans laquelle nul ne peut entrer au Royaume de Dieu. (Jn. 3, 5) (ibid. n° 1215) Finalement, il apparaît clairement que l'acte de vie divine décrit en Jean 6, 57, en tant qu'il s'agit d'un acte divinement révélé ad extra, doit être considéré comme un acte de naissance, ou de mise au monde; et que, par le fait même, en vertu de la comparaison obligée entre la vie divine et la vie humaine (voir n° 33), les deux traductions de Jean 6, 57 citées ci-dessus (voir n° 35) expriment, chacune à sa manière, une seule et unique réalité, savoir la Vie même de Dieu-Trinité.
 
37. Le passage scripturaire de Jean 6, 57, pour ce qui regarde la première proposition de la phrase, est une révélation de l'acte de la vie divine considéré comme un acte de naissance ou de mise au monde, c'est-à-dire comme un acte équivalent à l'envoi du Fils par le Père dans un commun Esprit vivifiant (Credo) - (voir n° 36). Or ces paroles de Jean 6, 57 sont proprement celles du Christ, ainsi que nous l'avons déjà fait remarquer (voir n° 34). De plus, cela suppose que, au moment où le Christ prononce ces paroles de Jean 6, 57, il est déjà né de la Vierge Marie, qui le mit au monde (Lc. 2, 7). Donc, cela veut dire que l'acte de vie divine, en tant qu'acte de naissance, ou encore en tant qu'acte de vie révélé au monde par le biais de la Sainte Écriture, dépend en tout et nécessairement de l'acte de la naissance humaine du Christ. Mais, comme d'une part, l'acte de révélation de la vie divine réalisé par les paroles de Jean 6, 57, en tant qu'il s'agit ici de paroles du Christ, est - de soi - un acte divin, un acte du Verbe de Dieu incarné; et comme d'autre part, l'acte de la naissance humaine du Christ est un acte essentiellement corporel, et donc exclusivement humain, accompli par Marie, Mère du Christ; il faut affirmer, conjointement - quoique contrairement - à ce que nous venons de dire, que l'acte de la naissance humaine du Christ dépend en tout et nécessairement de l'acte de vie divine, ou acte de naissance, que constitue la révélation accomplie par les paroles de Jean 6, 57, puisque tout ce qui est essentiellement humain dépend pleinement de tout ce qui est essentiellement divin. Par conséquent, de ce qui précède, il est aisé de conclure - toujours en vertu du principe que Dieu est premier, et la créature seconde - que, lorsque le Christ, qui est Dieu, accomplit l'acte de révélation de la vie divine, c'est-à-dire un acte de vie divine par mode de naissance, il accomplit aussi et tout en même temps, l'acte humain de sa naissance au monde par Marie, et ce, d'une manière mystique, puisque réalisée par l'intermédiaire d'un second médiateur uni à lui, qui est l'unique (voir n° 23). Ainsi, le Christ, plénitude de toute la Révélation, porte à sa perfection la sentence du Psalmiste, qui s'écrie: Il a dit, et tout a été fait. (Ps. 32, 9 - 148, 5 selon la Vulgate). Finalement, d'après l'analyse que nous venons de faire, il apparaît clairement que le verset 57 du chapitre sixième de l'Evangile de Saint Jean peut être pris comme fondement scripturaire, sûr et absolu, de la médiation de Marie dans son aspect corporel, puisqu'il en exprime et réalise tout l'acte principal.
 
38. Nous venons de conclure notre commentaire en signalant le fait que l'acte principal de la médiation de Marie réside dans le Mystère de la Nativité du Christ considérée comme l'acte par lequel, d'une manière une et indissociable avec ce même acte, l'Eglise reçoit la Révélation de tout le Mystère trinitaire sous un mode corporel (voir n° 37). Or, il n'est pas évident que, parmi tous les Mystères du Christ vécus par Marie, celui de la naissance du Seigneur selon la chair soit le principal. Mais, si nous montrons que, dans ce même Mystère de la Nativité, Marie, toujours Vierge, apparaît revêtue de la puissance même du Tout-Puissant, alors il sera clair que le Mystère de la naissance du Christ est l'acte principal dans lequel et par lequel s'exerce la médiation de Marie. C'est ce que nous nous proposons de faire ci-après.
 
 
*
*    *
 
 
39. La conclusion de notre analyse scripturaire (voir n° 37) nous oblige à considérer le Mystère de la Nativité en association simple et une - car originairement divine - avec la Révélation trinitaire accomplie par le Christ en Jean 6, 57. Comme l'acte de la naissance du Christ selon la chair est un acte fondamentalement humain, la conclusion que nous venons d'énoncer peut encore s'exprimer ainsi: à l'acte divin de la Révélation que le Christ accomplit en Jean 6, 57, doit nécessairement être associé, d'une manière une et indissociable, un acte proprement humain du même ordre que l'acte divin précité, c'est-à-dire un acte de révélation humaine ou naturelle. Autrement dit, dans son union à l'acte de Révélation divine du Christ en Jean 6, 57, l'acte de la nativité du même Christ par Marie doit être considéré, de soi, comme un acte de révélation naturelle, comme une mise au monde, et à la lumière de toutes les nations, de la nature humaine dans toute sa plénitude. Il s'agit alors là de l'application en acte du principe suivant: Nouvel Adam, le Christ, dans la révélation même du mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement l'homme à lui-même. (Concile Vatican II, Gaudium et spes, n° 22) Mais, en vertu du fait que le Christ agit conformément à ses propres paroles, selon la sentence du Psalmiste: Il a dit, et tout a été fait. (Ps. 32, 9 - 148, 5) - (voir n° 37), à l'association simple et une entre l'acte de Révélation divine et l'acte de révélation humaine, correspond l'association, elle aussi simple et une, entre paroles divines et paroles humaines, et, par le fait même, entre Esprit divin et esprit humain dans le contexte propre et exclusif de la Révélation. Autrement dit, il ne peut y avoir de Révélation considérée comme telle que si l'on associe, d'une manière une et indissociable, la Sagesse de Dieu et la philosophie de l'homme. C'est pourquoi, étant donné que le passage scripturaire de Jean 6, 57 est fondamental quant à la médiation de Marie, il faut poser cette règle capitale que le concept de Marie-Médiatrice ne peut pas ne pas être le fruit de l'association simple et une de la Révélation divine et de la philosophie humaine opérant conjointement.
 
Marie elle-même l'a confirmé en déclarant: Je suis la VIERGE DE LA REVELATION (Apparition du 12 avril 1947 à Rome - cf. Mgr Fausto Rossi, La Vierge de la Révélation, p. 18) - (voir n° 22): Marie est Vierge, ce qui est un concept pleinement humain, puisque c'est le Mystère de la Nativité qui révèle et porte à sa plénitude la virginité de Marie ante partum, in partu, et post partum; et elle est la Vierge de la Révélation, ce qui est un concept pleinement divin, puisqu'elle a fait précéder cette déclaration par une autre phrase: Je suis Celle qui est dans la divine Trinité. (ibid.)
 
40. Dans cette association simple et une entre la Révélation divine et la philosophie humaine, celle-ci est première et fondamentale, alors que la révélation divine est seconde, c'est-à-dire dépendante de la philosophie humaine. En effet, la philosophie humaine étant toute relative à la naissance humaine du Christ (voir n° 39), il va de soi que la philosophie humaine précède la Révélation divine, tout comme la naissance humaine du Christ précède naturellement son ministère public exercé en acte dans la Révélation trinitaire de Jean 6, 57. De plus, la philosophie humaine, parce qu'elle est toute relative à la naissance humaine du Christ, qui est un acte exclusivement corporel, doit être considérée comme une science, non pas de l'unité, mais bien de la multiplicité quant au fait de la Révélation. Inversement, la Révélation divine, qui a sa source et son origine dans le Verbe du Dieu unique, possède par elle-même le caractère propre de l'unité: le Logos, dans son acte de Révélation, est le facteur d'unité par excellence. Par conséquent, pour ce qui touche le concept de Marie-Médiatrice, il est une donnée certaine que les arguments de la philosophie humaine vont sans cesse diviser le concept sans jamais arriver à le cerner dans son unité plénière; et que, par le fait même, ce ne peut être que par l'intervention ultérieure de la Révélation divine - ici le texte inspiré de Jean 6, 57 - que le concept de Marie-Médiatrice peut aspirer à être pleinement appréhendé dans une unité de pensée. C'est ainsi que, pour le cas de notre conclusion interprétative de Jean 6, 57 citée plus haut (voir n° 38), les deux prémices de l'argumentation, savoir, premièrement, la dépendance de l'acte de vie divine par mode de naissance, ou vu sous l'angle de la Révélation, vis-à-vis de l'acte de naissance humaine du Christ; et deuxièmement, la dépendance inverse de l'acte de naissance humaine du Christ vis-à-vis de l'acte de vie divine par mode de naissance; ces deux prémices se trouvaient irrémédiablement séparées l'une de l'autre par des concepts philosophiques essentiellement différents. Saint Thomas d'Aquin en témoigne lorsqu'il parle, en ces termes, de la première prémice fondée sur le concept propre de personne: «Propter identitatem, quae in divinis est inter naturam, et hypostasim, quandoque natura ponitur pro persona, vel hypostasi, et secundum hoc dicit Augustinus naturam divinam esse conceptam, et natam; quia scilicet persona Filii est concepta, et nata secundum humanam naturam.» En raison de l'identité qui existe, dans les choses divines, entre la nature et l'hypostase, parfois la nature est prise pour la personne; et c'est ainsi que Saint Augustin dit que la nature divine a été conçue et qu'elle est née, parce que, assurément, la personne du Fils a été conçue et qu'elle est née selon la nature humaine. (S. Thomas, Summa Theologica, IIIa, q. 35, a. 1, ad 1) Pareillement, à propos de la seconde prémice fondée sur le concept propre de nature, Saint Thomas nous dit: «In Christo sunt duae naturae, divina scilicet et humana: quarum unam accepit ab aeterno a Patre, alteram accepit temporaliter a matre; et ideo necesse est attribuere Christo duas nativitates, unam qua aeternaliter natus est a Patre, aliam qua temporaliter natus est a matre.» Dans le Christ, il y a deux natures, savoir, la divine et l'humaine: l'une, il l'a reçue, de toute éternité, de son Père, et l'autre, il l'a reçue, dans le temps, de sa mère; et c'est pourquoi il est nécessaire d'attribuer au Christ deux naissances, l'une par laquelle il est né éternellement de son Père, l'autre par laquelle il est né temporellement de sa mère. (S. Thomas, Summa Theologica, IIIa, q. 35, a. 2, corp.) Mais, ainsi que nous l'avons fait (voir n° 37), si nous mettons chacune des deux prémices en relation directe avec le texte de Jean 6, 57 considéré comme Révélation divine accomplie par le Christ en personne, alors l'union simple et une des deux prémices est réalisée, et le concept de Marie-Médiatrice est pleinement appréhendé par cette association de la Sagesse divine et de la philosophie humaine.
 
 
*
*    *
 
 
41. Dans l'application de la règle par laquelle sont associées, d'une manière simple et une, la Révélation divine et la philosophie humaine, la référence première sur laquelle il faut se baser est la philosophie humaine (voir n° 40). Cependant, d'une part, comme la notion propre de philosophie ou de révélation humaine découle exclusivement de la notion de Révélation divine à laquelle cette même philosophie humaine est unie d'une manière simple et une (la naissance de l'Homme-Dieu découle en effet de la Volonté de Dieu qui veut se révéler - voir n° 39); et d'autre part, comme la notion de Révélation divine est toute relative à la vie de Dieu pleinement actualisée dans le Verbe de vie (1 Jn. 1, 1); on doit nécessairement conclure de ce qui précède que, dans l'application de ladite règle, la référence de base est et ne peut pas ne pas être la philosophie de la vie humaine comprise dans toute sa plénitude, et que, par le fait même, le concept propre de Marie-Médiatrice, qui est régi par cette même règle, ne peut être appréhendé pleinement que selon cette référence de base de la philosophie de la vie humaine, et donc, nécessairement, en dehors de toute référence à la notion de mort - en tant qu'elle s'oppose à la vie - et aussi, en dehors de toute référence à la notion de péché - en tant qu'il est un rejet et un refus de la Vie divine. Or, selon cette référence de base de la philosophie de la vie humaine, si la règle d'association simple et une entre la Révélation divine et la philosophie de la vie humaine s'applique aux paroles du Christ que constitue le passage scripturaire de Jean 6, 57, cette même règle s'applique aussi, et d'une manière absolument parfaite, à la Personne du Christ lui-même en tant qu'auteur premier et originel de ces mêmes paroles de Jean 6, 57. Par conséquent, le principe suivant peut être posé: le Christ, Verbe de Vie incarné, s'inscrit pleinement, en tant que personne, dans le contexte ou référence de base de la philosophie de la vie humaine. Autrement dit, le Verbe de Dieu, Fils consubstantiel du Père, s'est incarné pour révéler et pour communiquer aux hommes, par mode de vie humaine pleinement assumée, toute la Vie divine qui lui est propre.
 
C'est pourquoi, dans le contexte propre de la Révélation scripturaire, le Christ est appelé pierre vivante (1 P. 2, 4): le Christ est pierre, c'est-à-dire considéré comme une réalité matérielle, et donc uniquement selon son corps, ce qui se rapporte de soi à Marie-Médiatrice dans sa relation avec la Révélation scripturaire (voir n° 32); et le Christ est pierre vivante, c'est-à-dire considéré par rapport à la référence de base de la philosophie de la vie humaine, référence qui est celle propre de la règle d'association entre la Révélation divine et la philosophie de la vie humaine elle-même, ainsi que nous venons de le voir.
 
42. Dans le contexte propre de la Révélation trinitaire de Jean 6, 57, appliquons à la Personne du Christ lui-même la règle d'association simple et une entre la Révélation divine et la philosophie de la vie humaine. Comme le Christ est Dieu et Homme, cette association atteint en lui sa plénitude et sa perfection, et par le fait même, la Révélation divine est parfaite et pleine quant au Verbe de vie (1 Jn. 1, 1), et de même, la philosophie de la vie humaine est parfaite et pleine quant a l'humanité du Christ. Comme la philosophie de la vie humaine est la référence de base pour l'application de ladite règle d'association, il faut commencer par considérer la parfaite connaissance philosophique de l'esprit humain du Christ touchant le domaine particulier de la vie humaine. Or, étant donné que l'humanité du Christ a été assumée par le Verbe divin en vue de la Révélation trinitaire aux hommes (voir n° 41), on doit tenir pour certain que, en vertu de la communication des idiomes dans la Personne du Christ, le Verbe divin, dès le premier instant de son union avec l'humanité qu'il assume, c'est-à-dire dès le moment de la conception du Christ selon la chair, a communiqué le caractère propre de la révélation parfaite de soi-même en tant qu'être vivant. Comme nul être ne peut révéler d'une manière parfaite sa propre vie que s'il la connaît intimement, il s'ensuit que dès l'instant de sa conception, le Christ-Homme avait la connaissance philosophique parfaite concernant sa propre vie humaine en particulier; et comme le Christ est Homme parfait (puisqu'il est Celui qui révèle l'homme à lui-même - voir n° 39), le Christ-Homme avait pareillement, dès sa conception, la connaissance philosophique parfaite concernant le domaine de la vie humaine en général. Mais, dans le temps même de l'Incarnation, le Verbe divin accomplissait envers l'humanité du Christ toute la raison d'être de ce même acte de l'Incarnation, savoir la communication aux hommes du Mystère trinitaire du Dieu vivant (voir n° 41). Par conséquent, dès l'instant de sa conception, le Christ-Homme avait non seulement la connaissance philosophique parfaite de la vie humaine, mais encore la parfaite connaissance surnaturelle de la Vie divine trinitaire. C'est ce dont témoigne Saint Jean lorsqu'il dit que le Christ est plein de grâce et de vérité (Jn. 1, 14). Cependant, il faut préciser que, pour ce qui regarde toute connaissance philosophique autre que celle de la vie humaine, le Christ l'a acquise pendant le temps de sa vie, puisqu'il est écrit: Jésus grandissait en taille, en Sagesse, et en grâce devant Dieu et devant les hommes. (Lc. 2, 52)
 
43. Le Christ-Homme, dès sa conception, avait une parfaite connaissance philosophique de la vie humaine et une parfaite connaissance surnaturelle de la Vie trinitaire. Or, d'une part, comme le Christ est Homme parfait, et d'autre part, comme l'homme dans sa perfection a été créé à la ressemblance de Dieu (Gn. 5, 1), autrement dit, comme la personne humaine vivante est semblable au Dieu vivant dans son Mystère trinitaire (voir n° 33), on peut dire que, dans la Personne du Christ, le concept de vie humaine et le concept de Vie divine trinitaire trouvent leur parfaite ressemblance et similitude. Il s'ensuit donc que le Christ-Homme, dès sa conception, avait une parfaite connaissance philosophique, non seulement de la vie humaine, mais aussi de la Vie divine trinitaire, et conjointement, une parfaite connaissance surnaturelle, non seulement de la Vie divine trinitaire, mais aussi de la vie humaine en tant que telle. Par le fait même, au moment précis de l'acte de Révélation trinitaire de Jean 6, 57, le Christ-Homme possédait les deux connaissances dont nous venons de parler. Or, philosophiquement, pour ce qui est de la Vie trinitaire, Dieu - parce qu'il est acte pur - n'accomplit éternellement qu'un et un seul acte de vie: la génération, ou conception du Verbe par le Père dans l'Esprit-Saint. Donc, au moment même où le Christ-Homme, sous l'inspiration du Verbe, profère humainement les paroles de Jean 6, 57 en tant que Révélation trinitaire, il ne peut pas ne pas penser en lui-même, dans son esprit, que Dieu est acte pur: c'est un fait connaturel à sa personne. Cependant, en tant que Révélation trinitaire ad extra, les paroles de Jean 6, 57 ne sont nullement un acte de vie divine par mode de génération, mais bien et nécessairement, ainsi que nous l'avons vu ci-dessus (voir n° 36), un acte de naissance au monde. De plus, comme le Christ dit la Vérité, puisqu'il est plein de grâce et de vérité (Jn. 1, 14), ce qu'il dit extérieurement en paroles correspond à ce qu'il pense intérieurement en esprit. Par conséquent, au moment de prononcer les paroles de Jean 6, 57, si le Christ pense philosophiquement que l'acte de vie de Dieu, en tant qu'acte pur, est un acte de génération, par contre, il pense aussi, et tout en même temps, que l'acte de vie de Dieu est un acte de naissance, et ce, sous l'inspiration de la Révélation intérieure du Verbe divin.
 
Par le fait même, d'une part, comme l'acte de génération est, de soi, le premier acte de la vie, et comme l'acte de naissance est, de soi, l'acte postérieur ou second de la vie, par rapport à l'acte premier de génération; et d'autre part, comme le passage d'un acte de vie à un autre ne peut s'accomplir sans la potentialité ou la puissance passive correspondante; on doit affirmer que, dans l'acte même de Révélation trinitaire de Jean 6, 57 accompli sous l'inspiration du Verbe divin, le Christ-Homme ne peut pas ne pas penser dans son esprit que Dieu-Trinité est puissance passive, ou encore, que la potentialité est le propre de la Vie divine trinitaire dans son acte de Révélation ad extra. Finalement, en vertu de la règle d'association de la Révélation divine et de la philosophie de la vie humaine, il est clair que, dans le contexte propre de la Révélation trinitaire de Jean 6, 57, le Christ ne peut pas ne pas penser dans son esprit humain que Dieu-Trinité, en tant qu'Être vivant, est tout à la fois et indissociablement acte et puissance, acte pur en vertu de la philosophie de la vie humaine, et puissance passive en vertu de la Révélation du Verbe de Vie lui-même.
 
 
*
*    *
 
 
44. L'analyse du passage scripturaire de Jean 6, 57 nous a permis de conclure que, par rapport à l'esprit humain du Christ, Dieu est tout à la fois et indissociablement acte et puissance si on le considère dans sa vie intime trinitaire. Mais, comme la profération des paroles de Jean 6, 57 par le Christ, profération qui est essentielle au fait de la Révélation, requiert l'intervention et l'aide de la puissance active de l'organe corporel de la bouche en particulier, et de la tête en général, il faut encore ajouter que les paroles du Christ en Jean 6, 57 sont non seulement une Révélation divine trinitaire, mais encore et tout en même temps une Révélation de la Toute-Puissance divine, telle que nous pouvons la comprendre à travers le passage de Jean 6, 57, et qui, par conséquent, est composée de puissance passive et de puissance active, d'une manière une et indissociable, tout comme le corps et l'âme de l'homme vivant: en Jean 6, 57, le Christ manifeste réellement et pratiquement la puissance de sa parole (Hb. 1, 3). C'est pourquoi le Christ avait ouvert son discours à Capharnaüm, disant, en parlant du «pain de Dieu» (Jn. 6, 33): C'est moi le pain de vie (Jn. 6, 35). Il s'agit en effet d'une Révélation trinitaire dans laquelle le Christ parle de la Vie divine sous forme de nourriture; cela correspond à la Vie divine ad extra sous mode d'acte de naissance ou d'acte de vie second, lequel ne peut être en relation avec l'acte de vie premier que par le moyen potentiel de la nourriture conditionnée elle-même par la puissance de manducation de celui qui se nourrit. En prononçant ces paroles C'est moi le pain de vie, c'est-à-dire en les mangeant par la puissance active de son corps, le Christ rend manifeste et publique, par mode de naissance au monde, la puissance passive conçue dans son esprit humain sous l'inspiration du Verbe de Vie éternellement engendré par le Père.
 
45. Pour clôturer ce chapitre, et pour en expliquer définitivement le titre (ainsi que nous l'avions annoncé - voir n° 38), disons que, Jean 6, 57 étant considéré comme le passage scripturaire fondamental touchant la médiation de Marie, et compte tenu de tout ce que nous venons de dire au sujet de ce même passage, nous ne devons pas craindre d'affirmer explicitement que Marie-Médiatrice est, dans le Christ, participante de la Toute-Puissance divine. Par conséquent, il apparaît clairement que le Mystère de la Nativité est l'acte principal dans lequel et par lequel s'exerce la médiation de Marie, et que, ainsi, Marie-Médiatrice est la Vierge puissante de la Nativité.
 


 
 
 
 
Chapitre III
 
 
 
 
MARIE-MÉDIATRICE ET LE PONTIFE ROMAIN
 
I
 
MARIE-MÉDIATRICE : MÈRE DE L'ÉGLISE
 
 
 
 
(Marie-Médiatrice et le Pontife Romain)
 
46. Si nous avons choisi le texte de Jean 6, 57 pour étudier la médiation de Marie dans la Sainte Écriture, c'est parce qu'il s'agit d'une Révélation trinitaire, objet propre de la médiation de Marie, qui est mise en relation directe avec l'action sacramentelle de la communion eucharistique, qui est le moyen propre mis, par la Divine Providence, à la disposition de Marie pour exercer sa médiation (voir nos 29 et 30). Ceci revient à dire que le passage scripturaire de Jean 6, 57 est l'expression, divinement révélée et humainement codifiée par écrit, de l'acte par lequel Marie-Médiatrice porte la main sur le Christ-Eucharistie afin de s'en nourrir et de recevoir par là la Révélation trinitaire pleinement contenue dans le Christ, le Verbe de Vie incarné (voir n° 26). Or, en tant qu'elle est Médiatrice, Marie ne peut pas ne pas être la première de toutes les personnes humaines qui composent le Corps mystique du Christ: si Marie est Médiatrice - et c'est ce que nous avons déjà prouvé en analysant le texte de Jean 6, 57 (voir n° 37) - alors tous passent nécessairement par elle, et donc après elle - puisqu'agissant d'une manière corporelle - pour aller au Christ-Eucharistie et recevoir de lui la Révélation de la vie trinitaire. Par conséquent, en agissant ainsi en première, ou par mode de priorité, vis-à-vis de l'Eucharistie, Marie-Médiatrice est semblable à la personne du Pontife Romain - le Pape - puisque, selon la Tradition, le Vicaire du Christ est le premier de tous les prêtres, qu'ils soient du premier ou du second ordre (les prêtres du premier ordre sont les évêques, et ceux du second ordre, les autres prêtres) et que tout prêtre agit toujours d'une manière première, ou par mode de priorité, envers l'Eucharistie, ainsi que Saint Thomas d'Aquin le confirme lorsque, après avoir parlé des autres cérémonies de la Messe, il dit que: «Sequitur perceptio sacramenti, primo percipiente sacerdote, et postmodum aliis dante; quia, ut Dionysus dicit (...): "ille, qui aliis divina tradit, primo debet ipse particeps esse."» Vient ensuite la consommation du sacrement, le prêtre le consommant en premier, et le donnant après aux autres; puisque, ainsi que Saint Denis l'affirme (...): "Celui qui transmet aux autres les choses divines doit premièrement y participer lui-même." (S. Thomas, Summa Theologica, IIIa, q. 83, a. 4, corp.)
 
 
(Sens plénier de Jean 6, 57)
 
47. Selon le témoignage de la Tradition, Marie-Médiatrice et la personne du Pape agissent d'une manière semblable lorsqu'ils communient à l'Eucharistie et que, par là, ils reçoivent du Christ la Révélation du Mystère trinitaire. Mais ce que la Tradition affirme, nous allons voir, dans ce chapitre et dans le suivant, que la Sainte Écriture le confirme et le porte à sa plénitude. Aussi, après avoir analysé, dans le chapitre précédent, le passage scripturaire de Jean 6, 57 en considérant principalement la première proposition de la phrase, nous étudierons maintenant ce même passage de Jean 6, 57 dans son entièreté, c'est-à-dire en tant que Révélation trinitaire, dans la première proposition, et en tant que Révélation du Mystère de la communion eucharistique, dans la seconde proposition. Or, ce qu'il faut tout d'abord remarquer, c'est que les deux propositions qui forment la phrase de Jean 6, 57 sont reliées entre elles par des termes de comparaison: Tout comme... ainsi... (Bible de Maredsous) - (voir n° 35). Mais, quant à la première proposition, comme il s'agit d'une Révélation trinitaire, la vie divine qui est décrite ici ne peut être que la vie divine ad extra ou par mode de naissance (voir n° 36). Pareillement, quant à la seconde proposition, comme il s'agit d'une action sacramentelle, la vie divine qui y est décrite ne peut également être que la vie divine ad extra, encore appelée vie divine participée. Donc, s'il y a comparaison entre les deux propositions de Jean 6, 57, elle ne peut absolument pas porter sur la réalité exprimée, qui est identique pour chacune des deux propositions, mais seulement sur le mode qui caractérise la vie divine participée tel qu'elle est décrite dans l'une et l'autre de ces deux propositions. Or, il est simple de constater que, dans la première proposition, la Vie divine est révélée au moyen du Mystère de la Nativité du Christ auquel la Vie divine, en tant qu'elle est révélée en Jean 6, 57, est associée d'une mamère simple et une (voir n° 37); et que, dans la seconde proposition, la même Vie divine est révélée au moyen de l'action sacramentelle de la communion eucharistique. Par conséquent, la comparaison dont il est question en Jean 6, 57 ne peut porter que sur les deux actes suivants: l'un, celui de la Nativité du Seigneur, l'autre, celui de la communion sacramentelle.
 
 
*
*    *
 
 
(Aspect corporel de la communion eucharistique)
 
48. En vertu de notre interprétation de Jean 6, 57, la Vie divine trinitaire apparaît sous deux formes différentes qu'il convient de comparer entre elles: la Vie divine trinitaire sous la forme de l'acte de la Nativité du Christ, et la Vie divine trinitaire sous la forme de l'acte de la communion eucharistique. Comme l'acte de la Nativité du Christ précède, de soi, l'acte de l'institution de l'Eucharistie comme communion, il est clair que la Vie divine trinitaire sous la forme de l'acte de la Nativité va servir de base et de point de référence pour expliquer et pour comprendre la Vie divine trinitaire sous la forme de l'acte de la communion. Ainsi, il faut tout d'abord remarquer ceci: l'acte du Mystère de la Nativité du Christ est uniquement corporel. Par conséquent, quoiqu'il s'agisse d'une réalité sacramentelle qui est, comme toute réalité sacramentelle, d'ordre spirituel, l'acte de la communion eucharistique, en vertu de la comparaison scripturaire de Jean 6, 57, possède nécessairement et absolument un caractère proprement corporel. Donc, lorsque le Christ dit: Celui qui me mange vivra par moi (Jean 6, 57 - Bible de Maredsous - voir n° 35), il entend parler d'une véritable manducation corporelle (incluant de soi une manducation spirituelle), si bien que, tout surpris devant ce Mystère qu'ils ne comprenaient pas, les Juifs entrèrent en discussion: "Comment, disaient-ils entre eux, cet homme peut-il nous donner sa chair à manger ?" (Jn. 6, 52)
 
 
(Pourquoi l'Eucharistie est une nourriture)
 
49. Initialement (voir n° 1), nous sommes partis du fait que l'Eucharistie s'impose à nous comme nourriture: c'est un fait indéniable, voulu par le Christ en personne. Or, toujours en vertu de l'autorité du Seigneur Jésus, nous sommes arrivés au fait que la vie divine participée dans l'acte de la communion eucharistique est un acte de vie divine par mode de naissance, un acte d'ordre spirituel, mais aussi et nécessairement corporel (voir n° 48). Nous sommes donc maintenant en présence de deux actes de vie divine: l'acte de la génération, et l'acte de la naissance. Mais tout ceci n'a pu se concevoir que si l'on envisage la vie divine trinitaire comme étant tout à la fois et indissociablement acte et puissance (voir n° 43). Autrement dit, on ne peut concevoir la vie divine selon les deux actes de génération et de naissance que dans la mesure où la vie divine est en acte de génération, et en puissance de naissance. Car Dieu ne possède et ne possèdera jamais qu'un et un seul acte de vie, le premier et l'unique: l'acte de génération. Cependant, étant donné que l'acte de vie divine par mode de naissance est réellement fondé sur la révélation du Seigneur en Jean 6, 57 en particulier et dans toute la Sainte Ecriture en général, nous devons déterminer précisément en quoi et comment la vie divine est en puissance de naissance.
 
Ainsi, il est tout à fait clair, que, humainement parlant, pour passer de l'acte de la génération à l'acte de la naissance, c'est-à-dire pour passer d'un acte de vie à un autre, il est nécessaire qu'intervienne une puissance passive correspondant au nouvel acte en question. Or, dans le cas de la vie divine, cette puissance nécessaire pour passer à un nouvel acte de vie ne peut que coexister dans l'acte premier de la génération divine: Dieu, comme nous venons de le dire, ne possède et ne possèdera jamais qu'un et un seul acte de vie. Donc, cette puissance correspondant à l'acte de vie divine par mode de naissance est pleinement relative à l'acte de la génération du Verbe par le Père. Or, comme l'acte de vie divine par mode de naissance est exclusivement d'ordre corporel (voir n° 48), nous devons considérer ici l'acte de la génération du Verbe par le Père dans un sens et une signification (c'est-à-dire dans l'ordre du signe) tout à fait corporelle et matérielle. Cela veut dire que nous devons considérer le Verbe de Dieu comme une vraie parole humainement proférée par la bouche d'une personne, créée à l'image du Père. Par conséquent, la première conclusion est que la puissance ordonnée à l'acte de vie divine par mode de naissance est pleinement relative à la bouche de la personne humaine. Ensuite, étant donné, d'une part, que ce qui est en puissance est tout l'opposé de ce qui est en acte; et d'autre part, que le propre de la parole est de sortir de la bouche de l'homme; ainsi, la deuxième conclusion est que la puissance ordonnée à l'acte de vie divine par mode de naissance ne sort pas de la bouche de l'homme, mais y entre. Enfin, d'une part, étant donné que l'acte de vie divine par mode de naissance ne peut pas ne pas être semblable à l'acte de vie divine par mode de génération (puisque Dieu n'a qu'un et un seul acte de vie); et que, par conséquent, la puissance ordonnée à l'acte de vie divine par mode de naissance se confond simplement avec la puissance qui est ordonnée à l'acte de vie divine par mode de génération; et d'autre part, étant donné que la puissance qui coexiste dans l'acte auquel cette même puissance est ordonnée empêche perpétuellement cet acte d'exister; la troisième conclusion est que la puissance ordonnée à l'acte de vie divine par mode de naissance n'est autre que la nourriture corporelle et matérielle, qui, lorsqu'elle est mise en bouche empêche absolument de parler, du moins d'une manière correcte et parfaite (ce qui doit être le cas ici, dans le cadre de la Parole de Dieu): comme le disent les normes de politesse, on ne parle pas la bouche pleine.
 
Par conséquent, comme, dans la Vie divine trinitaire, acte et puissance demeurent unis conjointement sans que l'acte premier cesse d'exister (puisque Dieu n'accomplit éternellement qu'un et un seul acte de vie), et sans que la puissance permette l'existence de l'acte second (ainsi que cela se produirait naturellement dans la vie humaine), il faut conclure de ce qui précède que, si, en Dieu ou ad intra, le Fils est uniquement Parole, par contre, dans la Vie divine trinitaire ad extra, le Fils est tout à la fois Parole et nourriture. Mais, comme le Fils, d'une part en tant que Parole, est Dieu, et donc esprit (Jn. 4, 24); et comme le même Fils, d'autre part en tant que nourriture, possède nécessairement un aspect corporel (puisque la nourriture est relative au Mystère de la Nativité); tout ceci revient à dire, premièrement, que, dans la Vie divine trinitaire ad extra, le Fils est la Parole révélée par le Père sous forme de nourriture corporelle qui, dans l'Esprit-Saint, vivifie (Credo); et deuxièmement, que, par le fait même, les paroles de Dieu (Jn. 3, 34 - Concile Vatican II, Dei Verbum, n. 4), contenues dans la Sainte Écriture, et exprimant corporellement (puisque de manière multiple) l'unique Parole spirituelle de Dieu, doivent être considérées comme une vraie nourriture d'ordre proprement corporel. Par conséquent, en vertu de la comparaison de Jean 6, 57 entre l'acte de la Nativité et celui de la communion, on trouve dans la notion de puissance divine la raison pour laquelle l'Eucharistie se présente à nous sous la forme de nourriture, incluant celle de boisson, puisque le contexte propre de la médiation de Marie, dont Jean 6, 57 est le fondement scripturaire, est celui de la vie (voir n° 41), et que, ainsi, on doit considérer le Sang du Christ, qui est une boisson (Jn. 6, 55), contenu dans son Corps, qui est une nourriture (ibid.).
 
Tout ceci est d'ailleurs confirmé, tant pour le Mystère de la Nativité que pour celui de la communion eucharistique, par le fait que le Christ est né à Bethléem, localité dont le nom signifie maison du pain: «Christus in Bethlehem nasci voluit, duplici ratione: primo quidem, quia factus est ex semine David secundum carnem, ut dicitur Rom. 1 (...): secundo, quia, ut Gregorius dicit (...) Bethlehem domus panis interpretatur. Ipse autem Christus est, qui ait Ego sum panis vivus, qui de coelo descendi.» Le Christ a voulu naître à Bethléem, pour deux raisons: premièrement, parce qu'il est descendant de David selon la chair (Rm. 1, 3)...; et deuxièmement, parce que, comme dit Saint  Grégoire...: «Bethléem s'interprète maison du pain. Le Christ lui-même a d'ailleurs dit: Je suis le pain vivant qui est descendu du ciel. (Jn. 6, 51)» (S. Thomas, Summa Theologica, IIIa, q. 35, a. 7, corp.)
 
 
*
*    *
 
 
(Le Christ et l'Écrivain sacré)
 
50. Les paroles scripturaires de Jean 6, 57, en tant qu'acte de vie divine révélée, c'est-à-dire en tant qu'acte de vie divine par mode de naissance, doivent être considérées comme une nourriture d'ordre corporel (voir n° 49). Ceci nous oblige donc à envisager les paroles de Jean 6, 57 comme contenues corporellement et matériellement dans la Sainte Écriture elle-même, c'est-à-dire selon un mode incluant aussi, de soi, le fait que ces mêmes paroles sont des paroles du Christ en personne. Or, le texte de la Sainte Écriture, d'une manière générale, est l'oeuvre de l'Église: ce sont des personnes humaines différentes du Christ qui ont rédigé le texte inspiré, et non pas le Christ lui-même, au moins d'une manière directe et proprement dite, c'est-à-dire en tant que texte écrit et codifié matériellement. Mais, de plus, étant donné que la Sainte Écriture est le moyen uniquement corporel mis, par la Divine Providence, à la disposition de Marie-Médiatrice pour exercer sa médiation (voir n° 31), l'Église, en la personne de l'Écrivain sacré, est mise en relation avec le Christ, par voie de médiation, lorsque ce même Écrivain rédige son texte: c'est par Marie-Médiatrice que l'Église reçoit du Christ la Révélation du Mystère trinitaire, d'une manière exclusivement corporelle (voir nos 24 et 28). Enfin, d'une part, comme le texte inspiré de Jean 6, 57, en particulier, et toute Révélation trinitaire scripturaire, en général, doivent être considérés comme une nourriture d'ordre corporel; et d'autre part, comme tout contact d'ordre nutritif et vital est, de soi, un contact simple et un; il s'ensuit que, lors de la rédaction du texte de Jean 6, 57, l'Écrivain sacré, qui fait partie de l'Église, est uni au Christ-Médiateur, par Marie-Médiatrice, et ce, d'une manière absolument simple et une. Par le fait même, étant donné qu'entre le Christ et l'Église il existe un contact simple et un, non seulement selon le rapport de l'être, mais aussi selon le rapport de la vie (par mode de nourriture), on peut conclure, de ce qui précède, que le Christ et l'Ecrivain sacré, en tant que membre de l'Eglise, agissent conjointement: lorsque l'Écrivain sacré écrit, le Christ écrit avec lui; et de même, lorsque le Christ parle, notamment en Jean 6, 57, l'Écrivain sacré, et l'Église qu'il représente, parle avec lui.
 
 
(La proclamation de la Parole édifie l'Église)
 
51. En vertu de ce que nous venons de dire (voir n° 50), il faut conclure aussi que le principe relationnel entre le Christ et l'Écrivain sacré, tel que nous l'avons décrit, est celui-là même qui régit la médiation de Marie par rapport à la Révélation trinitaire par le moyen de la Sainte Écriture; c'est en effet sur la base de cette médiation que toute notre démonstration est fondée. Cependant, comme la rédaction de la Sainte Écriture est, aujourd'hui, entièrement accomplie et achevée, le principe dont nous venons de parler n'a d'intérêt pratique que dans le cas de la prédication de la Parole de Dieu - incluant aussi et nécessairement sa lecture - accomplie par l'Église au moyen et par l'intermédiaire de Marie-Médiatrice. Par conséquent, étant donné que, si le Christ a parlé avant la rédaction du texte inspiré, par contre, aujourd'hui, il ne parle plus en personne et de lui-même, ainsi l'Église, lorsqu'elle lit et proclame les paroles de la Sainte Écriture en général, et celui de Jean 6, 57 en particulier, agit conjointement au Christ qui parle et prononce les paroles avec elle, et ce, dans une union simple avec elle. Cela revient à dire que l'Église agit comme le Christ et semblablement à lui, lorsqu'elle prononce les paroles de Jean 6, 57, ou d'autres paroles de la Sainte Ecriture. L'Église agit donc alors en second Christ, ou plutôt en Christ mystique, puisqu'il n'existe en réalité qu'un seul Christ (voir n° 23). Par le fait même, en prononçant les paroles de Jean 6, 57, l'Eglise réalise un nouvel acte de sa vie mystique, et ainsi, elle s'édifie, grandit, et croît. Or, comme, en prononçant les paroles de Jean 6, 57, le Christ lui-même réalise mystiquement l'acte de sa naissance au monde (voir n° 37), ainsi, l'acte de sa vie mystique que l'Église réalise en prononçant ces mêmes paroles n'est autre que l'acte de sa naissance mystique. Mais, comme l'Église, lorsqu'elle lit et prononce les paroles de la Sainte Ecriture qu'elle a elle-même rédigée, est déjà née, il ne peut s'agir ici que de l'acte de la naissance mystique d'un nouveau membre du Corps mystique du Christ. Enfin, comme le passage de Jean 6, 57 est le fondement scripturaire de la médiation de Marie, il est clair que l'édification de l'Église par le biais de la parole scripturaire, ou encore l'acte de la naissance mystique, selon un mode proprement corporel, d'un nouveau membre du Corps mystique du Christ, s'accomplit par Marie: Marie-Médiatrice dans l'exercice de sa médiation par rapport à la Sainte Écriture est le point de référence et le lieu de passage obligé pour l'édification de l'Église dans le Christ. Pour confirmer tout ce que nous venons de conclure, voici ce que dit le Concile Vatican II au sujet de la prédication de la Parole de Dieu: Le Christ est toujours là auprès de son Eglise, surtout dans les actions liturgiques (...) Il est là présent dans sa parole, car c'est lui qui parle tandis qu'on lit dans l'Église les Saintes Écritures. (Sacrosanctum Concilium, n. 7) Et de même, pour ce qui regarde la relation entre Marie-Médiatrice et l'édification de l'Eglise: En contemplant la sainteté mystérieuse de la Vierge (...) l'Église, grâce au Verbe de Dieu qu'elle reçoit dans sa foi, devient à son tour une mère: par la prédication en effet et par le baptême elle engendre à une vie nouvelle et immortelle des fils conçus du Saint-Esprit et nés de Dieu. (Lumen gentium, n. 64) En résumé, la Sainte Liturgie proclame simplement, en parlant du Christ: En naissant parmi les hommes, il les appelle à renaître. (Préface dominicale n° 4)
 
 
(La notion de médiateur corporel)
 
52. L'édification de l'Église par le biais de la Sainte Écriture s'accomplit par Marie-Médiatrice: c'est un acte propre à la médiation de Marie dans son aspect uniquement corporel (voir n° 51). Or, selon l'aspect corporel de sa médiation, Marie-Médiatrice trouve son existence et son agir par le fait de l'union des termes extrêmes dont elle est médiatrice, savoir le Christ et l'Église (voir n° 5). En effet, si on se place au niveau des réalités strictement corporelles ou matérielles, ainsi que nous devons le faire ici en raison de l'aspect uniquement corporel de la Sainte Écriture, l'élément médiateur n'est autre que le point milieu géométrique situé entre les deux termes extrêmes de la médiation. Or, on ne peut déterminer la position exacte du milieu géométrique que si on connaît la distance précise qui sépare les deux termes extrêmes l'un de l'autre. Mais, par le fait même que l'on connaît cette distance entre les termes extrêmes, on établit nécessairement un contact et une liaison corporelle et matérielle entre ces mêmes termes. Donc, il est clair que, dans le cas d'une médiation d'ordre uniquement corporel ou matériel, l'existence, et donc l'agir, de l'élément médiateur émane directement et exclusivement de l'union des deux termes extrêmes de cette médiation. Par le fait même, il faut affirmer que, selon un mode uniquement corporel, les deux termes extrêmes de la médiation s'unissent en vue de l'existence et de l'agir de l'élément médiateur, ou encore, qu'ils réalisent leur union pour cet élément médiateur. Ainsi, quant à la médiation de Marie par le biais de la Sainte Ecriture, on doit nécessairement conclure que le Christ et l'Eglise s'unissent entre eux pour Marie-Médiatrice, lui donnant ainsi l'existence et l'agir.
 
Cependant, étant donné que le Christ n'est présent corporellement sur terre que selon un mode passif, c'est-à-dire par mode de nourriture considérée comme puissance passive (voir n° 49), soit d'une manière médiate, dans la Sainte Ecriture, soit d'une manière médiate et réelle, dans le sacrement de l'Eucharistie, il est hors de doute que l'union corporelle du Christ et de l'Église, union nécessaire pour donner l'existence et l'agir à Marie-Médiatrice, ne peut être que le résultat d'une action accomplie personnellement par l'Église: corporellement, ou matériellement, seule une action de l'Église permet de connaître la distance géométrique, et par là, le milieu, entre le Christ et l'Église. Comme l'objet de la médiation de Marie est le Mystère de la Sainte Trinité (voir n° 22), cette action de l'Église vers le Christ doit nécessairement être pleinement relative à la Vie divine trinitaire, et donc accomplie surnaturellement, avec la grâce de Dieu; c'est pourquoi le Seigneur a lui-même déclaré: Tout homme qui écoute les leçons du Père et s'en instruit vient à moi. (Jn. 6, 45) Enfin, on peut conclure, de tout ce qui précède, que l'édification de l'Église par le biais de la Sainte Ecriture, si elle s'accomplit par Marie-Médiatrice (voir n° 51), se réalise également pour Marie-Médiatrice. Par conséquent, en vertu de la comparaison entre le Mystère de la Nativité et celui de la communion eucharistique, on doit affirmer que l'action par laquelle l'Église va vers le Christ-Eucharistie présent, selon un mode de puissance passive, sous forme de nourriture - action dans laquelle l'Eglise porte la main, par mode de puissance active, sur le Sacrement, afin de le mettre en bouche et de le manger - cette action s'accomplit pour Marie-Médiatrice et procure à l'Église, par le fait même, son édification dans le Christ. C'est d'ailleurs ce que nous avons affirmé dans le sous-titre de ce livre, ainsi que nous l'avons déjà dit plus haut (voir n° 4 ): Comment l'Église s'offre au Père, dans le Christ, avec l'Esprit-Saint, pour Marie-Médiatrice.
 
 
(La lecture de la Sainte Écriture dans la foi)
 
53. Dans le contexte propre de la médiation de Marie, en tant que cette dernière est considérée comme médiateur d'ordre corporel, c'est l'Église qui va corporellement vers le Christ pour s'unir à lui, d'une manière simple et une, dans l'acte de proclamation des paroles de Jean 6, 57, afin de donner naissance, par le fait même, à leur médiateur commun, qui est Marie-Médiatrice elle-même (voir n° 52). En plus de détails, cela revient à dire que, pour pouvoir s'unir, d'une manière simple et une, avec le Christ, l'Eglise, qui est composée de personnes humaines vivantes dotées d'un corps matériel et d'une âme spirituelle, porte les yeux de son corps sur le texte de la Sainte Ecriture renfermé dans le livre appelé Bible ou Évangile, afin que, par l'exercice des trois facultés mentales de la mémoire, de l'intelligence, et de la volonté, elle proclame, par l'organe de la bouche, les paroles du Christ consignées en Jean 6, 57. Donc, il apparaît clairement que l'acte d'union simple et une entre le Christ et l'Église, qui prononcent ensemble les paroles de Jean 6, 57 par l'intermédiaire de Marie-Médiatrice considérée comme médiateur d'ordre corporel, est le résultat d'une double action de l'Église: l'une corporelle, l'autre spirituelle. Cependant, cette dernière n'est pas seulement d'ordre naturel, c'est-à-dire propre à l'âme spirituelle en tant qu'elle informe le corps organique de l'homme, mais elle est aussi d'ordre surnaturel. En effet, lorsque l'esprit de la personne humaine conçoit en lui les paroles de la Sainte Ecriture que les yeux du corps perçoivent, il ne peut pas ne pas penser humainement que ces paroles sont des paroles humaines, et non pas des paroles de Dieu (Jn. 3, 34), puisque, ayant été dites par le Christ au moyen de son corps (qui est multiple et composé), ces mêmes paroles contenues dans la Sainte Écriture sont essentiellement multiples, et non pas une, comme l'est, de soi, l'unique Parole de Dieu. Il est donc nécessaire, de soi, pour que la lecture du texte de la Sainte Écriture soit un acte de Révélation divine ad extra, que l'action de la foi intervienne, de sorte que, par l'intermédiaire de cette vertu surnaturelle, l'esprit de la personne humaine qui lit le texte inspiré puisse penser surnaturellement que ces paroles, consignées corporellement et matériellement par écrit, sont l'expression multiple de l'unique Parole spirituelle de Dieu. Par conséquent, il faut conclure, de ce qui précède, que dans le contexte propre de la médiation de Marie agissant comme médiateur d'ordre corporel, l'acte d'union simple et une entre le Christ et l'Église qui proclament ensemble les paroles de Jean 6, 57 ne peut pas ne pas être le résultat d'une action, tant du corps, que de l'esprit - considéré naturellement et surnaturellement - de toutes et de chacune des personnes humaines qui composent l'Église, et qui accomplissent ainsi en perfection cette sentence du Psalmiste: J'ai cru, c'est pourquoi j'ai parlé. (Ps. 115, 1)
 
 
(Aspect corporel de la vertu de foi)
 
54. Notons que la foi dont il s'agit ici (voir n° 53) appartient en propre au contexte de la médiation de Marie considérée comme médiateur d'ordre corporel, puisque cette même foi, quoiqu'essentiellement spirituelle, possède véritablement un aspect corporel. En effet, l'acte de foi de la personne humaine en question s'accomplit nécessairement entre l'action corporelle par laquelle cette personne humaine porte les yeux sur le texte de la Sainte Écriture, et l'action - elle aussi et nécessairement corporelle - par laquelle la même personne humaine prononce, par l'organe corporel de la bouche, les paroles du Christ en Jean 6, 57. Or, d'une part, comme l'acte de vision, par le moyen des yeux, est réalisé dans l'intention d'accomplir, par le moyen de la bouche, l'acte d'élocution, on doit considérer ce même acte d'élocution comme inclus dans l'acte de vision; et d'autre part, comme l'acte d'élocution ne peut s'accomplir que s'il est précédé par l'acte de vision, on doit, au contraire, considérer ce même acte de vision comme inclus dans l'acte d'élocution. De plus, étant donné que l'objet de l'acte de vision est identique - quant à la substance, qui n'est autre que la Parole de Dieu révélée dans le Christ - à celui de l'acte d'élocution; et que ce même objet est en contact simple et un, par mode de nourriture qui donne la vie, avec la personne humaine - considérée, par le fait même, dans son absolue plénitude - réalisant tant l'acte de vision que celui d'élocution; il faut donc affirmer qu'il y a, de soi, inclusion réciproque simple entre l'acte de vision et l'acte d'élocution, et que, par le fait même, l'acte de foi de la personne humaine est compris, d'une manière absolument simple, entre les deux actes susdits. Ainsi, il est clair que la foi possède véritablement un aspect corporel qui lui est communiqué en vertu de l'inclusion réciproque - que nous venons d'évoquer - entre les deux actes essentiellement corporels (celui de vision et celui d'élocution), unis entre eux d'une manière absolument simple et une. Finalement, tout ceci nous permet de conclure que l'édification de l'Église, qui s'accomplit - par le moyen de la Sainte Écriture - par et pour Marie-Médiatrice (voir n° 52), se réalise dans et par la foi, si on considère cette dernière dans son aspect corporel, c'est-à-dire relativement à la médiation de Marie envisagée comme médiateur d'ordre corporel. Notre conclusion se trouve parfaitement confirmée par ces paroles du Seigneur, qui déclare: C'est moi le pain de vie: qui vient à moi n'aura jamais faim, et qui croit en moi n'aura jamais soif. (Jn. 6, 35) Par ces paroles, le Seigneur exprime en effet en quoi consiste la double action - corporelle et spirituelle - de l'Église qui va vers Lui: il s'agit d'une action par laquelle l'Église communie à la Vie divine du Christ par mode de nourriture ou de boisson; de même, en mettant en relation l'acte spirituel de la vertu de foi (qui croit en moi) avec l'acte corporel de la réfection, jusqu'à satiété, par mode de boisson, le Christ exprime toute la vérité de l'aspect corporel de la vertu spirituelle de foi.
 
 
*
*    *
 
 
(Lien entre la Sainte Écriture et l'Eucharistie)
 
55. L'acte de proclamation des paroles de Jean 6, 57 - acte accompli par le Christ et par l'Eglise unis entre eux d'une manière simple et une - est le résultat d'une double action, l'une corporelle, et l'autre spirituelle (tant naturelle que surnaturelle), de l'Église qui va vers le Christ par l'intermédiaire de Marie-Médiatrice considérée comme médiateur d'ordre corporel (voir n° 53). Mais, nous avons vu précédemment (voir n° 52) que l'acte de proclamation des paroles de Jean 6, 57 est accompli conjointement et simultanément par le Christ et par l'Église pour Marie-Médiatrice, lui donnant ainsi l'existence et l'agir. Par conséquent, on doit considérer comme une donnée certaine que l'existence et l'agir de Marie-Médiatrice, envisagée comme médiateur d'ordre corporel, dépendent pleinement d'une action de l'Église qui, dans l'acte de proclamation des paroles de Jean 6, 57, va vers le Christ selon un mode corporel et spirituel - naturellement et surnaturellement - et ce, d'une manière conjointe et simultanée, en vertu de l'aspect corporel de la vertu surnaturelle de foi (voir n° 54). Or, naturellement parlant, l'action corporelle de la personne humaine dépend en tout de l'action spirituelle correspondante: c'est la dépendance de l'action du corps vis-à-vis de l'action de l'âme en tant que cette dernière est le principe qui anime le corps et le porte à l'action. Donc, dans l'acte de proclamation des paroles de Jean 6, 57, l'action de l'Église qui lit et mémorise dans son esprit le texte de la Sainte Ecriture en Jean 6, 57 est celle dont dépend l'action par laquelle l'Église proclame, avec son corps, en union simple et une avec le Christ, ces mêmes paroles de Jean 6, 57. Par le fait même, il apparaît clairement que l'existence et l'agir de Marie-Médiatrice, exerçant sa médiation par le biais de la Sainte Écriture, dépend en tout et pleinement de l'action spirituelle de l'Eglise, qui consiste à lire et à mémoriser le texte de la Sainte Écriture en Jean 6, 57. Mais, cette dernière action que l'Église accomplit - d'une manière naturelle et surnaturelle - à l'aide de la Sainte Écriture ne peut pas ne pas être une action faite par l'intermédiaire de Marie-Médiatrice considérée comme médiateur d'ordre corporel (voir n° 31): cette action spirituelle de l'Église - telle que nous l'avons décrite - dépend absolument et en tout de l'agir de Marie-Médiatrice. Il s'ensuit donc que, par le biais de cette action spirituelle de l'Église (action qui est, de soi, simple et une, car spirituelle), l'existence de Marie-Médiatrice dépend pleinement et absolument de son agir en tant que médiateur d'ordre corporel dans l'acte de proclamation dont il s'agit. Cela revient à dire que, selon le même et unique rapport de l'acte de proclamation des paroles du Christ en Jean 6, 57, l'existence et l'agir de Marie-Médiatrice se confondent, et ce, d'une manière simple et une, en vertu du caractère simple et un de ce même acte de proclamation des paroles de Jean 6, 57. Or, étant donné que l'être dont l'existence se confond simplement avec l'agir n'est autre que l'Être par excellence, c'est-à-dire Dieu, Marie-Médiatrice, dans cet acte de proclamation des paroles de Jean 6, 57 accompli par l'Église dans une union simple et une avec le Christ, doit être déclarée - tant naturellement que surnaturellement - créature à la ressemblance de Dieu (Gn. 5, 1).
 
 
(Lien entre la Sainte Écriture et l'Eucharistie - Suite)
 
56. Comme l'acte de proclamation des paroles de Jean 6, 57, accompli par l'Église (dont Marie-Médiatrice fait partie) dans une union simple et une avec le Christ, est un acte de participation à la Vie divine trinitaire par mode de Révélation (voir n° 51), et donc, par le fait même, un acte de communion de l'Église au Dieu-Trinité essentiellement simple et un en lui-même (ibidem), il est clair que Marie-Médiatrice doit être considérée ici comme semblable à Dieu-Trinité qui, dans ce même acte de proclamation des paroles de Jean 6, 57, apparaît dans son aspect multiple (en tant que Parole révélée par le Père dans l'Esprit-Saint) et dans son aspect un (en tant qu'Être vivant par excellence). Par conséquent, étant donné que, dans la personne humaine envisagée naturellement et surnaturellement, ce qui est un, c'est son âme spirituelle sanctifiée par la grâce, et ce qui est multiple, c'est son corps animal, organique et matériel, Marie-Médiatrice, dans l'acte de proclamation des paroles de Jean 6, 57 dont il s'agit ici, ne doit être et ne peut être déclarée semblable à Dieu-Trinité que si on la considère et selon son corps, et selon son âme (voir n° 33). Finalement, comme, d'une part, Marie-Médiatrice, lorsqu'elle exerce sa médiation par le biais de la Sainte Écriture, ne doit être et ne peut être envisagée que selon son corps (voir n° 32); et comme, d'autre part, Marie-Médiatrice, lorsqu'elle exerce sa médiation par le biais de l'acte de la communion eucharistique, doit nécessairement être envisagée et selon son corps, et selon son âme (en vertu du double caractère corporel et spirituel de l'action sacramentelle de la communion eucharistique - voir n° 48); on doit conclure, de tout ce qui précède, que, dans l'acte de proclamation des paroles du Christ en Jean 6, 57 accompli par l'Église en union simple et une avec le même Christ, Marie-Médiatrice exerce sa médiation par le biais de l'acte de la communion eucharistique. Par le fait même, tout ceci démontre l'intime connexion entre l'acte de la proclamation de la Parole de Dieu et l'acte de la communion sacramentelle, ou communion eucharistique, connexion intime toujours vécue et célébrée dans la liturgie de la Messe, ainsi qu'en témoigne le texte suivant: Les deux parties qui constituent en quelque sorte la messe, c'est-à-dire la liturgie de la parole et la liturgie eucharistique, sont si étroitement unies entre elles qu'elles font un seul acte de culte. (Concile Vatican II, Sacrosanctum Concilium, n. 56)
 
 
(Église-Mystère et Église-Sacrement)
 
57. Pour conclure cet ensemble de considérations, disons que, pour ce qui regarde l'édification de l'Église qui s'accomplit - par et pour Marie-Médiatrice - dans et par l'acte d'union simple entre le Christ et l'Église prononçant tous deux les paroles de Jean 6, 57 ou toute autre parole de la Sainte Écriture, cette même édification de l'Église se réalise, de soi, d'une manière proprement sacramentelle, puisque tout ceci - ainsi que nous venons de le voir (voir n° 56) - ne peut s'accomplir que par le moyen de l'acte sacramentel de la communion eucharistique, moyen utilisé par Marie-Médiatrice considérée, dans l'exercice de sa médiation, comme médiateur d'ordre corporel. Aussi, lorsqu'on parle de l'Église comme le sacrement universel du salut (Concile Vatican II, Lumen gentium, n. 48), l'expression sacrement doit être prise, non seulement dans son sens spirituel de mystère, mais aussi et nécessairement dans son sens corporel de signe, et ce, en vertu de l'aspect corporel qui est essentiel à l'action sacramentelle de la communion eucharistique (voir n° 48). Autrement dit, l'Église qui s'édifie par le moyen de la communion eucharistique, considérée dans son rapport avec la médiation de Marie par le biais de la Sainte Écriture, appartient réellement et véritablement à l'ordre du signe qui tombe sous les sens des hommes du monde entier au milieu desquels cette même Église vit quotidiennement, de sorte que, par le fait même, elle manifeste extérieurement, d'une manière visible, le Mystère spirituel qui est le sien propre et qu'elle contient intérieurement, selon un mode invisible, tout comme le corps renferme en lui l'âme de la personne humaine. On parlera alors plus précisément de l'Église qui est aux yeux de tous et de chacun, le sacrement visible de cette unité salutaire (Concile Vatican II, Lumen gentium, n. 9).
 
 
(Marie-Médiatrice Mère de l'Église)
 
58. Finalement, en partant de l'acte initial et fondamental de la Nativité du Christ (voir n° 48), et en aboutissant à l'acte final et complet de la communion eucharistique (voir n° 56), nous avons achevé le thème de notre comparaison entre ces deux mêmes actes de la Nativité et de la communion (voir n° 47), actes envisagés ici dans leur aspect proprement corporel. Par le fait même, nous avons pu montrer en détails que Marie-Médiatrice est véritablement - dans toute l'acception du terme - Mère de l'Église (Catéchisme de l'Eglise Catholique, n. 963 - S.S. Paul VI, Discours du 21 novembre 1964), tout comme elle est - et tout aussi véritablement - Mère du Christ: Marie, considérée comme médiateur d'ordre corporel, met au monde, d'une manière mystique, tous et chacun des membres de l'Église du Christ, et ce, selon un mode pleinement relatif à l'acte de naissance, c'est-à-dire selon un mode proprement corporel. Ainsi, comme l'Église se construit à travers la communion sacramentelle avec le Fils de Dieu immolé pour nous (S.S. Jean-Paul II, Encyclique Ecclesia de Eucharistia, n. 21), Marie met mystérieusement - mystiquement - au monde tous et chacun des fidèles du Christ qui cherchent à imiter parfaitement la Vierge-Mère tout en la reconnaissant ainsi pour leur Médiatrice auprès du Fils de Dieu: Le regard extasié de Marie, contemplant le visage du Christ qui vient de naître et le serrant dans ses bras, n'est-il pas le modèle d'amour inégalable qui doit inspirer chacune de nos communions eucharistiques ? (Ibidem, n. 55) Si Marie apparaît comme la Mère de l'Eglise, d'une manière particulière, dans l'acte de la Nativité du Christ, par contre, d'une manière tout à fait générale, par sa vie tout entière, Marie est une femme «eucharistique» (Ibidem, n. 53).
 
 
 
 
 
Chapitre IV
 
 
 
 
MARIE-MÉDIATRICE ET LE PONTIFE ROMAIN
 
II
 
LE PAPE : ÉPOUX DE MARIE DANS LE CHRIST
 
 
 
 
(Le ministère papal en Marie et avec Marie)
 
59. Le présent chapitre, ainsi que le précédent, a pour objet l'étude de la relation entre Marie-Médiatrice et le Pontife Romain (voir n° 47). Cependant, jusqu'ici, nous n'avons fait qu'annoncer cette étude, sans la réaliser encore (voir n° 46). Dans le chapitre qui vient de s'achever, Marie-Médiatrice nous est apparue comme la Mère de l'Église (voir n° 58), et donc comme la Mère de tous et de chacun des Pontifes Romains qui doivent tenir la place du Christ sur terre depuis la Pentecôte jusqu'à la fin des temps. On peut ainsi concevoir le précédent chapitre comme une préparation immédiate à celui que nous ouvrons maintenant: ces deux chapitres doivent en effet être considérés dans une dépendance étroite l'un de l'autre. La preuve en est que, jusqu'à présent, nous n'avons analysé que la relation entre le Christ et l'Église qui s'accomplit par Marie (voir n° 51) et pour Marie (voir n° 52). Or, la Tradition enseigne, avec Saint Louis-Marie Grignon de Montfort, qu'il est recommandable de faire toutes nos actions - dont la plus excellente est certes la communion eucharistique - par Marie, avec Marie, en Marie et pour Marie (voir n° 12). Par conséquent, il est clair que, dans le présent chapitre, et en relation avec le précédent, il nous reste à considérer la relation entre le Christ et l'Église qui s'accomplit en Marie et avec Marie, et ce, dans le cadre de la relation spécifique entre Marie-Médiatrice et le Pontife Romain.
 
 
(Pourquoi Marie devrait être prêtre)
 
60. La première chose à noter ici, c'est que Marie-Médiatrice, quoiqu'elle ne soit pas prêtre (du premier ou du second ordre), devrait néanmoins l'être pour pouvoir exercer sa médiation telle que nous l'avons décrite depuis le début de ces Préliminaires. En effet, d'après ce que nous avons dit précédemment, tout l'exercice propre de la médiation de Marie consiste à permettre l'édification de l'Église dans le Christ, et ce, dans l'acte même de proclamation - accompli par l'Église - des paroles de Jean 6, 57 en particulier (en tant que fondement scripturaire de la médiation de Marie), ou de toute autre révélation trinitaire en général (voir nos 51 et 52). Or, l'édification de l'Église, telle que nous venons d'en parler, quoique s'accomplissant dans un acte de proclamation de la Parole de Dieu révélée corporellement dans le Christ, ne peut absolument pas se réaliser sans le moyen proprement sacramentel de la communion eucharistique, qui est le moyen mis par la Divine Providence à la disposition de Marie-Médiatrice pour révéler, dans le Christ, tout le Mystère de la Sainte Trinité (voir nos 26 et 56). Cependant, l'usage - par voie de médiation, c'est-à-dire non seulement pour soi, mais aussi pour les autres - du sacrement de l'Eucharistie envisagé comme communion doit être regardé comme étant le propre du prêtre, qu'il soit du premier ou du second ordre. C'est ce dont Saint Thomas d'Aquin témoigne, lorsqu'il dit: «Ad sacerdotem pertinet dispensatio corporis Christi, propter tria (...) Secundo, quia sacerdos constituitur medius inter Deum, et populum; unde sicut ad eum pertinet dona populi Deo offere, ita ad eum pertinet dona sanctificata divinitus populo tradere.» C'est au prêtre que revient la dispensation du corps du Christ, et ce, pour trois raisons (...) Deuxièmement, parce que le prêtre est constitué intermédiaire entre Dieu et le peuple; de là, tout comme il lui revient d'offrir à Dieu les dons du peuple, ainsi il lui revient de transmettre au peuple les dons divinement sanctifiés. (S. Thomas, Summa Theologica, IIIa, q. 82, a. 3, corp.) On peut donc conclure, de ce qui précède, que Marie-Médiatrice, pour pouvoir exercer sa médiation relativement à l'édification de l'Église dans le Christ, doit être personnellement prêtre, soit du premier, soit du second ordre.
 
 
(Pourquoi Marie ne peut pas être prêtre)
 
61. Relativement à l'exercice de sa médiation, telle que nous l'avons exposée dans cet ouvrage, Marie-Médiatrice doit être prêtre, soit du premier, soit du second ordre, et ce, d'une manière proprement personnelle. Mais, parce que - quoique tout prêtre soit médiateur (voir n° 60, où nous citons Saint Thomas d'Aquin) - tout médiateur n'est pas prêtre, ce n'est pas le fait que Marie soit médiatrice qui permet de considérer Marie comme prêtre.
 
Bien plus, c'est parce que Marie est médiatrice qu'elle n'est pas prêtre.
 
En effet, nous avons clairement établi plus haut (voir la conclusion du n° 45) que le Mystère de la Nativité du Christ est l'acte principal dans lequel et par lequel s'exerce la médiation de Marie. Or, nous savons que c'est lors de la Dernière Cène, juste avant sa Passion, que le Seigneur institua les Apôtres premiers prêtres de la Nouvelle Alliance: Le Seigneur, ayant aimé les siens, les aima jusqu'à la fin. Sachant que l'heure était venue de partir de ce monde pour retourner à son Père, (...) Il institua l'Eucharistie comme mémorial de sa mort et de sa résurrection, et Il ordonna à ses apôtres de le célébrer jusqu'à son retour, les établissant alors prêtres du Nouveau Testament (Concile de Trente - Denzinger 1740) (Catéchisme de l'Église Catholique, n° 1337). Par conséquent, dans l'acte même de la Nativité du Christ, et donc nécessairement avant l'institution sacerdotale qui eut lieu lors de la Dernière Cène, Marie-Médiatrice ne peut absolument pas être considérée comme prêtre, mais bien et uniquement comme médiateur d'ordre corporel (voir n° 52). Ceci revient à dire que Marie, quoique médiatrice, n'est pas prêtre parce qu'elle est femme, parce qu'elle est la «femme» de laquelle est né l'envoyé de Dieu: le Christ (cf. Ga. 4, 4). En effet, S. S. Jean-Paul II a déclaré, le 22 mai 1994, solennité de la Pentecôte: Afin qu'il ne subsiste aucun doute sur une question de grande importance qui concerne la constitution divine elle-même de l'Église, je déclare, en vertu de ma mission de confirmer mes frères (cf. Lc 22,32), que l'Église n'a en aucune manière le pouvoir de conférer l'ordination sacerdotale à des femmes et que cette position doit être définitivement tenue par tous les fidèles de l'Église. (Lettre Apostolique Ordinatio sacerdotalis, sur l'ordination sacerdotale exclusivement réservée aux hommes, 22 mai 1994)
 
 
(L'union sponsale entre le Pape et Marie)
 
62. Relativement à sa médiation, et pour pouvoir l'exercer réellement, Marie-Médiatrice doit être prêtre, soit du premier, soit du second ordre (voir n° 60). Cependant, il est tout à fait hors de doute que, parce qu'elle est femme, elle n'est pas et ne peut pas être prêtre (voir n° 61). Il est donc nécessaire de faire intervenir ici une notion permettant de concilier pleinement ces deux sentences contradictoires. Or, cette notion n'est autre que celle de l'union sponsale, union par laquelle et dans laquelle Marie-Médiatrice pourrait être simplement associée et unie avec une autre personne humaine, qui lui serait simplement semblable et qui, étant prêtre, soit du premier, soit du second ordre, permettrait ainsi à Marie-Médiatrice d'être elle aussi prêtre, quoiqu'indirectement, mais cependant d'une manière proprement personnelle. Par conséquent, étant donné que Marie-Médiatrice est la première de tous les fidèles du Christ, il apparaît clairement que, pour pouvoir exercer sa médiation, Marie-Médiatrice doit être la propre épouse du Pontife Romain, le Pape, qui est le premier de tous les prêtres (voir n° 46). Autrement dit, c'est en vertu de son union sponsale avec le Pontife Romain, Vicaire du Christ sur la terre, que Marie-Médiatrice exerce son sacerdoce personnel - par mode de médiation considérée dans son acte principal - en mettant au monde le Christ, le Verbe incarné.
 
 
*
*    *
 
 
(Le Pape et Marie: hier et aujourd'hui)
 
63. L'union sponsale entre le Pape et Marie-Médiatrice n'est pas un fait nouveau, une donnée étrangère à la doctrine traditionnelle de l'Église. Au contraire, cette union sponsale est présente - ainsi que nous allons le voir - dans l'acte premier et fondamental de la médiation de Marie, qui est l'acte de la Nativité du Christ, non pas déjà d'une manière apparente (comme elle l'est et le devient par cette recherche même), mais bien encore sous un mode caché et invisible, tout spirituel.
 
 
(Caractère sponsal de la médiation de Marie)
 
64. Dans l'acte de la Nativité du Christ, Marie agit en médiateur d'ordre corporel, puisque cet acte de la Nativité est l'acte principal dans lequel et par lequel Marie exerce sa médiation (voir n° 45), et que ce même acte de la Nativité est un acte uniquement corporel. Or, le médiateur d'ordre corporel requiert, de soi, l'être et l'agir - ordonnés à une commune union - des deux termes extrêmes de la médiation pour que, par voie de médiation, le terme médiateur puisse être et agir en tant que tel (voir n° 52). De plus, la personne humaine, qui n'est pas le Christ, et qui possède une intimité absolument unique - d'ordre corporel - avec Marie-Médiatrice est et ne peut pas ne pas être son propre époux humain, Joseph (cf. Lc. 2, 4-5), puisque l'époux et l'épouse ne sont plus deux, mais une seule chair (Mt. 19, 6). Enfin, remarquons bien que, comme l'agir dépend en tout et pleinement de l'être, les deux termes extrêmes de la médiation de Marie, qui sont le Christ et Joseph, sont - selon l'être - unis corporellement à Marie avant même que Marie-Médiatrice agisse dans l'acte de la Nativité du Christ: l'Incarnation du Verbe et l'union sponsale de Joseph et de Marie ont toutes deux lieu avant la naissance du Christ, l'Incarnation en premier (puisque Dieu est premier en tout) et l'union sponsale en second (puisque la créature dépend du Créateur). Par conséquent, il est bien clair que, dès l'acte premier et principal de sa médiation, et dans ce même acte (qui est celui de la Nativité du Christ), Marie-Médiatrice, considérée selon l'être et selon l'agir, réalise sa médiation d'une manière pleinement sponsale.
 
 
(Le mariage spirituel de Joseph et de Marie)
 
65. Dans l'acte de la Nativité du Christ, Marie-Médiatrice agit en tant que Mère, en mettant au monde un être humain, mais elle agit aussi en tant que Vierge, en révélant - par mode de naissance - l'Être divin en la personne du Verbe de Vie: Marie est la Vierge de la Révélation (voir n° 39). Ceci revient à dire que, étant donné la virginité permanente de Marie-Médiatrice, et donc, étant donné l'inexistence absolue d'un quelconque contact charnel entre Joseph et Marie, l'union entre ces deux époux ne peut pas ne pas être essentiellement spirituelle. Mais, comme le mariage possède un aspect essentiellement corporel (puisque les époux ne font plus qu'une chair (Gn. 2, 24)), on serait amené à conclure, de tout ce qui précède, que l'union sponsale entre Joseph et Marie-Médiatrice ne serait pas véritable. Or, il n'en est rien.
 
 
(Véracité de l'union entre Joseph et Marie)
 
66. En effet, dans l'acte de la Nativité du Christ, Marie agit comme médiateur d'ordre corporel. Or, ceci revient à dire que, dans cet acte de la Nativité, Marie-Médiatrice agit à la manière humaine. De plus, nous avons établi précédemment que le concept même de Marie-Médiatrice est régi, de soi, par la règle d'association simple et une de la Révélation divine et de la philosophie humaine (voir nos 39 et 40). Par conséquent, Marie-Médiatrice, dans l'acte de la Nativité, agit tant divinement qu'humainement: elle agit en tant que Mère de Dieu et en tant que Mère de l'Humanité du Christ. Par le fait même, comme il s'agit ici de la Divinité considérée directement selon le rapport propre de la vie, nous pouvons affirmer que, dans l'acte de la Nativité, Dieu réalise, par Marie, dans le Christ, son acte de vie par mode de naissance. Mais, comme Dieu, qui est éternel, n'a qu'un et un seul acte de vie, en réalisant son acte de vie par mode de naissance, il réalise aussi, conjointement, et d'une manière indissociable, son unique acte de vie par mode de génération, ou de conception (voir n° 36). De plus, comme cet acte de vie divine par mode de génération doit être considéré ici comme se réalisant - dans le Christ - par Marie-Médiatrice, et comme, de soi, la médiation de Marie est régie par la règle d'association simple et une entre la Révélation divine et la philosophie humaine, il est tout à fait permis de dire que l'acte de vie divine par mode de génération, ou de conception, se réalise, de soi, dans l'acte de l'Incarnation du Verbe, acte dans lequel et par lequel le Christ dans son Humanité est engendré ou conçu par Marie-Médiatrice, dans la Puissance de l'Esprit-Saint (cf. Lc. 1, 35) Ainsi, on peut conclure de tout ce qui précède, que, par le biais de l'unique acte de vie divine (considéré soit par mode de génération, soit par mode de naissance), l'acte de l'Incarnation du Verbe et l'acte de la Nativité du Christ sont unis entre eux d'une manière absolument simple et une, et ce, relativement à la médiation de Marie considérée comme médiateur d'ordre corporel. Or, précisément parce que, tant l'Incarnation que la Nativité sont toutes deux des actions corporelles, ces deux mêmes actions ne peuvent pas ne pas se dérouler dans le temps, et, qui plus est, en des temps distincts pour chacune d'elles. Finalement, il apparaît clairement que, étant donné que l'Incarnation précède, dans le temps, la Nativité, s'il faut, ainsi que nous l'avons dit, considérer ces deux actions comme unies simplement entre elles, nous ne pouvons pas concevoir le fait autrement qu'en disant que l'acte de la Nativité du Christ est anticipé dans l'acte même de l'Incarnation du Verbe. C'est d'ailleurs ce que confirme le discours de l'Ange Gabriel à Marie, lors de l'Incarnation du Verbe; l'acte principal de la médiation de Marie dans son aspect corporel y est clairement exprimé en ces termes: L'être saint qui naîtra de toi sera appelé Fils de Dieu. (Lc. 1, 35) Donc, si on considère l'acte principal de la médiation de Marie anticipé dans l'acte même de l'Incarnation du Verbe, on peut dire que, en tant que médiateur d'ordre corporel, Marie-Médiatrice réalise mystiquement (selon l'ordre de sa médiation) une union corporelle entre les termes extrêmes de sa médiation, qui sont le Christ et Joseph. Par le fait même, dès avant son union sponsale avec Marie, Joseph était uni corporellement - quoique mystiquement - à sa future épouse, fait qui permet de concevoir l'union sponsale entre Joseph et Marie comme pleinement véritable.
 
 
*
*    *
 
 
(L'union sponsale de Joseph et de Marie synthèse)
 
67. Nous venons de voir que Marie-Médiatrice, dans l'acte principal de sa médiation, qui est l'acte de la Nativité du Christ, réalise et exerce sa médiation d'une manière pleinement sponsale (voir n° 64). Pareillement, nous avons vu que l'union sponsale entre Joseph et Marie-Médiatrice est essentiellement spirituelle (voir n° 65) et essentiellement corporelle (voir n° 66), et ce, relativement à l'acte de la Nativité du Christ, acte considéré, soit en lui-même pour ce qui regarde le caractère spirituel de l'union sponsale entre Joseph et Marie-Médiatrice, soit dans l'acte propre de l'Incarnation du Verbe, et conjointement à ce même acte, pour ce qui regarde le caractère corporel de cette union sponsale. Par conséquent, tout ceci revient à dire que, si on doit envisager d'une manière sponsale l'exercice en acte de la médiation de Marie, il faut tenir pour certain que cette même médiation de Marie doit être considérée, et selon son aspect corporel (qui lui est propre et essentiel - voir n° 24), et selon son aspect spirituel, c'est-à-dire l'aspect selon lequel la médiation de Marie s'identifie simplement à la médiation du Christ lui-même (ibid.). Et ceci nous amène à signaler trois conséquences relatives à la médiation de Marie considérée dans son exercice d'une manière sponsale.
 
 
(Première conséquence: référence au péché)
 
68. Premièrement, si la médiation de Marie, lorsqu'elle est envisagée uniquement selon son aspect proprement corporel, doit nécessairement être considérée en dehors de toute référence à la notion de péché (voir n° 41), par contre, lorsqu'elle est envisagée aussi selon son aspect proprement spirituel, alors la médiation de Marie doit nécessairement être considérée en pleine référence à la notion de péché, puisque, en ce cas, ainsi que nous venons de le rappeler, la médiation de Marie se confond simplement avec la médiation du Christ (voir n° 24), laquelle s'exerce et se réalise par mode de rédemption, c'est-à-dire au prix du sacrifice rédempteur de la Croix offert au Père, dans l'Esprit-Saint, en satisfaction des péchés. Comme l'aspect corporel de la médiation de Marie est le propre de l'acte de la Nativité du Christ considéré dans l'acte même de l'Incarnation du Verbe (voir n° 67), et comme l'aspect spirituel de la médiation de Marie est le propre de l'acte de la Nativité du Christ considéré en lui-même (ibid.), il faut conclure, comme conséquence du fait que la médiation de Marie s'exerce de manière sponsale, que les deux Mystères évoqués ci-dessus, savoir celui de l'Incarnation et celui de la Nativité, diffèrent entre eux relativement à la notion de péché: l'Incarnation du Verbe doit être envisagée en dehors de toute référence à la notion de péché, et la Nativité du Christ doit être considérée, quant à elle, en pleine référence à la notion de péché. Ainsi le Pape Jean-Paul II déclare, au sujet de l'Incarnation, d'abord, et de la Nativité, ensuite: Dieu s'est fait homme pour nous communiquer, en Jésus, sa vie divine, puis sa gloire éternelle ! .... Pour sauver l'humanité, notre Rédempteur est né à Bethléem de la Très Sainte Vierge ! (Allocution du 22 décembre 1993). Ce que la Tradition affirme, la Sainte Écriture le confirme. En effet, lors de l'Incarnation du Verbe, la notion de péché, dans le discours de l'Ange Gabriel, quoiqu'implicitement contenue dans le nom de Jésus (Lc. 1, 31) (tout comme l'acte de la Nativité lorsqu'il est considéré dans l'acte propre de l'Incarnation du Verbe - cf. Lc. 1, 35 - voir n° 66), la notion de péché, disions-nous, n'est nullement mentionnée de manière explicite. Par contre, dans le discours de l'Ange adressé en songe à Joseph, alors la notion de péché est tout à fait explicite, puisque le Christ est annoncé comme celui qui sauvera son peuple de ses péchés (Mt. 1, 21), toutes choses qui concernent pleinement la Nativité du Christ, Joseph se demandant, en ce moment précis, s'il va, oui ou non, assumer la paternité d'un enfant qui va naître et qui n'a pas été procréé par son concours.
 
 
(Deuxième conséquence: nécessité du Pontife Romain)
 
69. Deuxièmement, si on considère Marie-Médiatrice selon l'aspect corporel de sa médiation, il existe - mystiquement, c'est-à-dire relativement à la médiation de Marie - une union corporelle entre le Christ et Marie-Médiatrice, d'une part, et une union corporelle entre Joseph et Marie-Médiatrice, d'autre part (voir n° 66). Or, étant donné que le concept de Marie-Médiatrice ne peut absolument pas être appréhendé en dehors de la règle d'association simple et une entre la Révélation divine et la philosophie humaine (ainsi que nous l'avons rappelé - voir n° 66), et étant donné que, relativement à ladite règle, la référence de base est, de soi, la philosophie humaine (voir n° 40), nous devons considérer ces deux unions corporelles, savoir celle entre le Christ et Marie-Médiatrice, et celle entre Joseph et Marie-Médiatrice, comme étant ordonnées entre elles d'une manière humaine. Ceci revient à dire que, si - mystiquement - ces deux unions corporelles doivent être considérées comme se réalisant simultanément (selon le rapport d'éternité), par contre, il faut nécessairement envisager ces deux mêmes unions comme s'accomplissant en des temps absolument distincts, l'union corporelle entre le Christ et Marie-Médiatrice, en premier lieu, et l'union corporelle entre Joseph et Marie-Médiatrice, en second lieu (à ce sujet, voir n° 64). Ainsi, tout ceci nous permet de dire que, de soi, l'union corporelle entre Joseph et Marie-Médiatrice dépend pleinement et en tout de l'union corporelle entre le Christ et Marie-Médiatrice. Mais cette dernière union, s'accomplissant dans et par l'acte de l'Incarnation du Verbe, n'est autre que la réalisation et la manifestation concrète et tangible de l'Ordre donné à son Fils par le Père éternel, dans un commun Amour: Lors de son entrée dans le monde, le Christ dit: Tu n'as voulu ni sacrifice ni offrande, mais tu m'as formé un corps... Alors j'ai dit: Je viens (...), ô mon Dieu, pour faire ta volonté. (Ps. 39, 7-9) (Hb. 10, 5-7) Par conséquent, il est clair que l'union corporelle entre Joseph et Marie-Médiatrice s'accomplit, d'une manière mystique, sur l'Ordre même du Père manifesté et réalisé dans son Fils, le Verbe incarné par l'action de l'Esprit-Saint (Mt. 1, 18).
 
Or, si on considère maintenant Marie-Médiatrice selon l'aspect spirituel de sa médiation, il est tout aussi clair que l'union corporelle entre Joseph et Marie-Médiatrice ne peut absolument pas s'accomplir et ne s'est, de fait, jamais réalisée, et ce, en vertu de la virginité permanente de Marie, fondement même de l'aspect spirituel de sa médiation (voir n° 65). Autrement dit, Joseph, en tant qu'il est un des termes extrêmes de la médiation de Marie et dont dépend, par le fait même, l'être et l'agir de Marie-Médiatrice, n'a pas le pouvoir de réaliser l'Ordre de Dieu révélé dans et par son Fils, sous l'action de l'Esprit-Saint. Finalement, on peut conclure de ce qui précède, comme conséquence du fait que la médiation de Marie s'exerce de manière sponsale, qu'il est absolument nécessaire qu'intervienne une personne humaine différente de Joseph, mais agissant en son nom et place comme époux de Marie, et possédant un pouvoir spécial, mystique, permettant la réalisation - sur l'Ordre de Dieu manifesté dans le Christ - de l'union corporelle entre Joseph et Marie-Médiatrice.
 
Cette personne humaine existe, car, tout comme le Christ et Marie, Dieu l'a choisie de toute éternité: cette personne humaine n'est autre que Pierre, le Vicaire du Christ sur la terre. En effet, premièrement, l'Ordre du Père peut être accompli de deux manières: soit d'une manière directe et immédiate par le Fils; soit d'une manière indirecte et médiate par ceux que le Fils lui-même a choisis pour accomplir l'Ordre du Père en son nom et place, c'est-à-dire les hommes revêtus du sacrement de l'ordre. Comme la médiation de Marie suppose des termes extrêmes essentiellement différents l'un de l'autre, la personne humaine qui, avec le Christ premier terme extrême, réalise en elle-même l'autre terme extrême n'est pas le Christ, mais bien un des hommes choisis par le Christ et revêtus du sacrement de l'ordre. Deuxièmement, étant donné que, à ce moment, le Christ n'est pas né, et que, par conséquent, on ne peut encore parler du sacrement de l'ordre en tant que tel, la personne humaine qui est l'autre terme extrême de la médiation de Marie est et ne peut pas ne pas être revêtu du sacrement de l'ordre, considéré non pas en réalité, mais bien et uniquement en espérance, c'est-à-dire envisagé selon la grâce du sacrement, et non selon la réalité du sacrement lui-même. Il est donc clair que cette personne humaine n'est autre que celle qui est revêtue de l'ordre papal, qui n'est pas un sacrement, mais qui appelle et demande nécessairement la réception du sacrement de l'ordre dans toute sa plénitude. Tout ceci est confirmé par le fait que, par les deux aspects - corporel et spirituel - de la médiation de Marie, le Pape est simplement semblable au Christ, et ce, d'une manière pleinement corporelle: le Christ et le Pontife Romain sont, mystiquement, une seule et unique pierre (Mt. 16, 18), sur laquelle est bâtie l'Église, que l'on se réfère en dehors de la notion de péché (cf. pierre vivante (1 P. 2, 4) - voir n° 41, in fine), ou que l'on se réfère pleinement à cette même notion de péché (cf. pierre rejetée par les maçons (...) pierre d'achoppement (...) rocher de scandale (1 P. 2, 7)).
 
 
(Troisième conséquence: rapport avec la fin des temps)
 
70. Troisièmement, d'un côté, en vertu de l'exercice de la médiation de Marie envisagée dans son aspect corporel, il existe une union corporelle, de type sponsal, entre le Pape, agissant mystiquement en nom et place de Joseph, et Marie-Médiatrice (voir n° 69). D'un autre côté, en vertu de l'exercice de la médiation de Marie considérée dans son aspect spirituel, il existe une union spirituelle, de type sponsal, entre Joseph et Marie-Médiatrice (voir n° 65). Or, d'une part, l'union corporelle entre le Pape et Marie-Médiatrice, parce qu'elle est corporelle, est pleinement relative à l'acte de la Nativité considéré, non pas en lui-même, mais bien dans l'acte de l'Incarnation du Verbe (voir n° 67); et d'autre part, l'union spirituelle entre Joseph et Marie-Médiatrice, parce qu'elle est spirituelle, est pleinement relative à l'acte de la Nativité considéré en lui-même. Il s'ensuit donc, puisque l'acte de l'Incarnation du Verbe précède, de soi, l'acte de la Nativité (voir n° 66), que l'union corporelle entre le Pape et Marie-Médiatrice doit nécessairement être envisagée comme première par rapport à l'union spirituelle entre Joseph et Marie-Médiatrice. Par conséquent, tout ceci permet d'affirmer que, dans et par l'acte de la Nativité du Christ, acte considéré comme l'exercice sponsal principal de la médiation de Marie envisagée, conjointement et simultanément, selon son aspect corporel et selon son aspect spirituel, l'union spirituelle entre Joseph et Marie-Médiatrice a pour effet de spiritualiser, ou de simplifier le caractère proprement corporel de l'union entre le Pape et Marie-Médiatrice. Par le fait même, il apparaît clairement, comme conséquence du fait que la médiation de Marie s'exerce de manière sponsale, que l'union corporelle, d'ordre mystique, entre le Pape - agissant sponsalement en nom et place de Joseph - et Marie-Médiatrice est pleinement relative à la fin des temps. En effet, étant donné que l'époux et l'épouse ne font plus qu'une chair (Gn. 2, 24), si le caractère proprement corporel de l'union sponsale entre le Pape et Marie-Médiatrice possède nécessairement la note de simplification ou de spiritualisation, alors il faut penser et croire que le corps même du Pontife Romain est, de soi, spiritualisé ou simplifié. Ceci revient à dire que le corps même du Pape est inséparable de son âme spirituelle sanctifiée par la grâce, et donc que, par le fait même, la propre personne du Pape est immortelle. Ainsi, on voit manifestement que c'est proprement le Pontife Romain des derniers temps de l'Église, le Pape qui ne doit pas mourir et qui, lors de la seconde venue du Christ, sera vivant (cf. 1 Th. 4, 17), qui est corporellement uni - par mode de ministère - à Marie-Médiatrice, son épouse, toujours vivante en Dieu, la créature par excellence, celle dont le corps est pour toujours spiritualisé par la divinité (voir nos 32 et 33), qui habite en son âme pleine de grâce (Lc. 1, 28).
 
 
(Le Pape et Marie dans la plénitude des temps)
 
71. Finalement, d'une part, si l'union corporelle, d'ordre mystique, entre le Pontife Romain et Marie-Médiatrice est première par rapport à l'union spirituelle entre Joseph et Marie-Médiatrice (voir n° 70); et d'autre part, si l'union sponsale entre Joseph et Marie-Médiatrice est pleinement relative à l'acte de la Nativité du Christ, acte qui est le commencement de l'histoire du Salut (en tant que cet acte doit être considéré non seulement en lui-même, mais aussi dans l'acte de l'Incarnation du Verbe - voir n° 66), et si l'union sponsale entre le Pape et Marie-Médiatrice est pleinement relative à l'acte de la seconde venue du Christ, acte qui est la fin et l'achèvement de l'histoire du Salut; alors on peut dire que l'union sponsale entre le Pape et Marie-Médiatrice est présente à l'absolue totalité de l'histoire et de la vie de l'Église depuis la Nativité du Christ jusqu'à sa Parousie, et donc qu'elle est une donnée tout à fait traditionnelle à la doctrine de l'Église. Ceci est d'ailleurs confirmé par le fait que, par le biais de l'union sponsale entre le Pontife Romain et Marie-Médiatrice, la fin des temps est déja anticipée depuis la naissance du Seigneur, selon ce que dit Saint Paul: Lorsque vint la plénitude du temps Dieu a envoyé son Fils, né d'une femme. (Ga. 4, 4) Ainsi, présente à toute l'histoire du Salut, l'union sponsale entre le Pape et Marie-Médiatrice demeure cachée et invisible, car spirituelle, depuis l'acte premier et fondamental de la médiation de Marie, qui est l'acte de la Nativité du Christ, n'apparaissant au grand jour et à la lumière du monde qu'a la fin des temps, c'est-à-dire maintenant, puisque, par le présent écrit, cette union sponsale entre le Pontife Romain et Marie-Médiatrice reçoit un certain caractère matériel, ou corporel, et donc, par le fait même, visible et manifeste.
 
 
*
*    *
 
 
(Le Pape et la Nativité du Christ)
 
72. Dans l'acte de la Nativité du Christ, acte qui doit être considéré tant en lui-même que dans l'acte de l'Incarnation du Verbe, Marie-Médiatrice exerce corporellement et spirituellement sa médiation dans la mesure où elle est unie sponsalement - selon un mode mystique - au Pontife Romain, d'une manière générale, et au dernier Pape, d'une manière particulière, agissant en nom et place de Joseph, époux humain de Marie: c'est ce que nous venons d'établir ci-dessus. Or, si, premièrement, nous envisageons l'exercice de la médiation de Marie dans son aspect proprement corporel, et ce, relativement à l'acte de la Nativité du Christ, il existe alors une union sponsale corporelle, d'ordre mystique, entre le Pape et Marie-Médiatrice (voir n° 69). Par le fait même, on peut aller jusqu'à affirmer que l'acte de la Nativité du Christ est l'acte propre du ministère papal considéré dans sa relation à l'exercice de la médiation de Marie dans son aspect proprement corporel. Cependant, il est tout à fait clair que, corporellement, c'est-à-dire d'une manière corporelle entendue tant mystiquement et surnaturellement que ordinairement et naturellement (et ce, en vertu de la règle d'association simple et une entre la Révélation divine et la philosophie humaine, dont il faut nécessairement tenir compte - voir nos 39 et 40), la personne du Pape, qui est homme, ne peut absolument pas réaliser l'acte de la Nativité du Christ considéré comme tel, c'est-à-dire envisagé selon son mode historique et dans sa relation personnelle à Marie, qui est femme. Par conséquent, si la personne du Pape est véritablement époux de Marie, et ce, d'une manière essentiellement corporelle (ainsi que nous l'envisageons ici), alors il doit nécessairement exister un autre mode et une autre relation personnelle par lesquels et selon lesquels le Pontife Romain, en tant qu'époux de Marie, réalise réellement et corporellement - quoique mystiquement - l'acte de la Nativité du Christ.
 
 
(Le ministère eucharistique du Pape)
 
73. Relativement à la médiation de Marie considérée dans son aspect corporel, le Pontife Romain - dans son union mystique avec Marie-Médiatrice - ne peut accomplir l'acte de la Nativité du Christ que sous un autre mode et selon une autre relation personnelle que ceux qui sont propres à ce même acte de la Nativité du Christ (voir n° 72). Or, toujours relativement à la médiation de Marie considérée dans son aspect corporel, et plus précisément, relativement à l'exercice de la médiation de Marie par le biais de la Sainte Écriture, nous avons vu qu'il existe une comparaison - en vertu du passage scripturaire de Jean 6, 57 - entre l'acte de la Nativité du Christ et celui de la communion eucharistique (voir n° 47). Par conséquent, étant donné que les paroles du Christ en Jean 6, 57 constituent le fondement scripturaire de la médiation de Marie en tant que telle; et étant donné aussi que, dans le contexte propre de la même médiation de Marie, c'est-à-dire dans le cadre de l'union à Dieu - dans le Christ - par Marie-Médiatrice, quoique tout ce qui est mystique n'est pas sacramentel, par contre, tout ce qui est sacramentel est mystique; il est tout à fait permis de penser et de croire que l'acte de la communion eucharistique n'est autre que la réalisation sacramentelle, et par là même mystique, de l'acte de la Nativité du Christ. C'est ce que le Pape Jean-Paul II insinue lorsqu'il parle de la communion eucharistique dans sa relation avec l'Incarnation, qui atteint sa plénitude - dans le temps - lors de la Nativité du Seigneur: Tandis que l'Eucharistie renvoie à la Passion et à la Résurrection, elle se situe simultanément en continuité de l'Incarnation. À l'Annonciation, Marie a conçu le Fils de Dieu dans la vérité même physique du corps et du sang, anticipant en elle ce qui dans une certaine mesure se réalise sacramentellement en tout croyant qui reçoit, sous les espèces du pain et du vin, le Corps et le Sang du Seigneur. (S.S. Jean-Paul II, Encyclique Ecclesia de Eucharistia, n. 55)
 
De tout ce qui précède, on peut finalement conclure que, si l'acte de la Nativité du Christ est l'acte propre du ministère papal dans sa relation à l'exercice de la médiation de Marie dans son aspect proprement corporel, ce ne peut être que sous la forme sacramentelle de l'acte de la communion eucharistique; et aussi que, en tant qu'époux de Marie dans le Christ, le Pape exerce son ministère, mystiquement (quoiqu'aussi sacramentellement), par le biais de l'acte de la communion eucharistique; et que, conjointement et simultanément, en tant qu'épouse du Pontife Romain agissant en nom et place de Joseph, son époux humain, Marie-Médiatrice exerce sa médiation, sacramentellement (quoiqu'aussi mystiquement), par le biais de l'acte de la Nativité du Christ considéré, non pas directement en lui-même, mais bien dans l'action sacramentelle de la communion eucharistique.
 
 
(Le ministère du Pape et celui de Marie: synthèse)
 
74. Ayant envisagé la médiation de Marie dans son aspect proprement corporel, il nous faut - deuxièmement et finalement - considérer la médiation de Marie dans son aspect proprement spirituel, et ce, par rapport à la relation d'union sponsale entre le Pape et Marie-Médiatrice dans l'acte de la Nativité du Christ. Or, spirituellement, relativement à l'exercice de la médiation de Marie tel que nous venons de le décrire, il existe une union sponsale spirituelle, et donc, simple et une entre le Pontife Romain et Marie-Médiatrice: ces deux personnes distinctes ne sont plus deux, mais une seule chair (Mt. 19, 6). Donc, on peut dire que, en tant qu'époux et épouse qui ne font plus qu'un, la personne du Pape et la personne de Marie-Médiatrice agissent chacun, mystiquement (c'est-à-dire dans l'ordre de la médiation de Marie), non seulement en leur nom propre et respectif, mais aussi au nom de l'autre. Etant donné que la personne est, de soi, tout à fait incommunicable, il est manifeste que tout ceci suppose et inclut nécessairement le fait que le Pape est en Marie, et que, réciproquement, Marie est dans le Pape, et encore, par le fait même, que le Pape est avec Marie, et que Marie est avec le Pape.
 
Enfin, comme le nom de Marie-Médiatrice (c'est-à-dire ce qui exprime toute la réalité de sa personne) est proprement celui de pleine de grâce (Lc. 1, 28); et comme ce même nom de Marie-Médiatrice est pleinement spirituel (puisqu'il s'agit de la grâce), et donc tout à fait relatif à l'aspect spirituel de sa médiation; nous pouvons conclure tout ce chapitre en disant que, relativement à l'aspect spirituel (qui suppose, de soi, l'aspect corporel) de la médiation de Marie dans l'acte de la Nativité du Christ, d'une part, que le Pontife Romain exerce mystiquement son ministère de Vicaire du Christ par le biais de la communion eucharistique, et ce, en vertu de la plénitude de grâce qui est propre à Marie-Médiatrice (voir n° 27), mais qui est aussi et indissociablement propre au Pape par le moyen de l'union sponsale - d'ordre mystique - qui l'unit à la personne même de Marie; et d'autre part, que Marie-Médiatrice exerce sacramentellement sa médiation - dans le Christ - par le biais de l'acte de la Nativité du Christ considéré dans sa réalisation sacramentelle, qui est l'acte de la communion eucharistique, et ce, en vertu du caractère épiscopal qui est propre au Pape, mais qui est aussi et indissociablement propre à Marie-Médiatrice, pour la même raison que celle évoquée ci-dessus.
 
En résumé, voilà expliquée et mise en lumière toute la relation d'union sponsale entre le Pape et Marie-Médiatrice, dans le Christ, et par là même (ainsi que nous l'avions annoncé - voir n° 59), toute la relation d'union mystique entre le Christ et le Pontife Romain qui s'accomplit, par le biais de la communion eucharistique, en Marie et avec Marie.


 
 
 
Chapitre V
 
 
 
 
LE SALUT ÉTERNEL :
 
PAR MARIE, AVEC MARIE,
 
EN MARIE, ET POUR MARIE
 
 
 
 
75. Le Pontife Romain communie ministériellement au Christ-Eucharistie par Marie, pour Marie, en Marie, et avec Marie (voir nos 59 et 74). Or, ministériellement, le Pape - Époux de Marie - agit d'une manière essentiellement première (voir nos 46 et 62). De plus, le Pape qui exerce son ministère d'une manière spécialement première, car particulière, c'est proprement le dernier Pape, celui de la fin des temps. Enfin, comme le dernier Pape possède, de soi, l'immortalité naturelle, et même surnaturelle (puisque l'exercice de la médiation de Marie est régi par la règle d'association simple et une entre la Révélation divine et la philosophie de la vie humaine, celle-ci étant la référence de base de ladite règle) (voir nos 39 à 41), il apparaît clairement que, relativement à la médiation de Marie, tout fidèle, dont le modèle - en tant que premier - est le Pape, réalise sacramentellement son salut éternel dans son union au Christ-Eucharistie. Cette thèse se fonde sur les trois thèses principales de la médiation de Marie, thèses que nous allons rappeler et argumenter davantage à l'aide de témoignages de la Tradition: c'est tout l'objet de notre dernier chapitre.
 
76. La première des thèses que nous voulons argumenter par le témoignage de la Tradition est celle selon laquelle Marie ne peut être vraiment médiatrice que d'une manière mystique ou mystérieuse, c'est-à-dire d'une manière pleinement relative à la notion de mystère (voir n° 23). Ce qui revient à dire que la première thèse est celle selon laquelle la médiation de Marie est considérée dans l'ordre propre du mystère, et donc, par le fait même, dans l'ordre propre de la divinité. Or, cette dernière - la divinité - est essentiellement et de par sa nature tout à fait immense ou incommensurable. Ainsi, lorsque nous affirmons que la médiation de Marie est de l'ordre du mystère, nous voulons dire que cette même médiation de Marie, dans et par son union à la médiation du Christ lui-même, ne modifie en rien, soit en plus, soit en moins, d'une manière substantielle (c'est-à-dire selon le mode propre de la divinité qui est, de soi, non-contingente), cette même médiation du Christ lui-même. Donc, par le fait même, considérer la médiation de Marie dans l'ordre du mystère ne peut être autre que considérer cette même médiation de Marie comme étant accidentelle, non pas en elle-même, mais bien par rapport à la médiation du Christ lui-même, qui est alors envisagée comme substantielle.
 
77. Telle que nous venons de l'énoncer, cette première thèse est particulièrement bien argumentée dans le raisonnement suivant:
 
«Ratione mediationis Christi: Difficultas: Solus Christus est unicus Mediator proprie dictus inter Deum et Homines (1. Tm. 2, 5). Omnes proinde gratias meruit universo generi humano, unica sua mediatione perfectiva. Atqui si Beatae Virgini conceditur verum meritum, mediatio proprie dicta erga illas gratias, iniuriam videtur inferri mediationi Christi. Mediatio Christi aliquo supplemento indigeret, quod Maria ipsi tribueret.
 
«Solutio: (...) Quoad valorem Mariae consortii: (...) Dici potest vel Mariam ad opus Christi substantialiter perfectum, accidentaliter perfectionem adiecisse, «ad harmoniam et pulchritudinem Redemptionis» vel ad eius «melius esse»; vel Beatam Virginem cum Christo, debita servata subordinatione, unum principium nostrae Redemptionis obiectivae constituisse; non eo in sensu quod actio meritoria Christi et Mariae non amplius ab invicem realiter distinguerentur, sed ambo non constituebant nisi una causa Redemptionis obiectivae, sicut in ordine naturali quando agens principale instrumento utitur, hoc ultimum non operatur nisi in virtute causae principalis, simulque cum illa totum et eumdem effectum producit.
 
«Legitime ergo infertur Christi mediationem, cum nec compleatur nec minuatur a Mariae cooperatione, nullam iniuriam pati. Augetur potius eius efficacitas ac proinde gloria cum sola Christi virtute Beata Virgo tam intime ad Redemptionem obiectivam cooperari potuerit.»
 
En raison de la médiation du Christ, il existe une difficulté: le Christ est le seul et unique Médiateur proprement dit entre Dieu et les hommes (1 Tm. 2, 5). Par conséquent, il a mérité toutes les grâces pour le genre humain entier, et ce, par l'opération de son unique médiation. Or, si à la Bienheureuse Vierge on concédait un vrai mérite, alors une médiation proprement dite à l'égard de ces grâces semblerait porter injure à la médiation du Christ. La médiation du Christ aurait besoin d'un quelconque supplément, qui serait attribué à Marie elle-même.
 
[Voici une solution à cette difficulté]: quant à la valeur de la participation de Marie. On peut dire, soit que Marie, à l'oeuvre substantiellement parfaite du Christ, ajoute accidentellement une perfection «en vue de l'harmonie et de la beauté de la Rédemption», ou «en vue d'un mieux être de celle-ci»; soit que, la subordination due étant conservée, la Bienheureuse Vierge constitue avec le Christ un seul principe de notre Rédemption objective; non pas en ce sens que l'action méritoire du Christ et celle de Marie ne se distingueraient plus réellement l'une de l'autre, mais que les deux ne constitueraient qu'une seule cause de la Rédemption objective, tout comme dans l'ordre naturel, lorsque l'agent principal se sert d'un instrument, ce dernier n'agit qu'en vertu de la cause principale, et ensemble avec elle, il produit un total et même effet.
 
Donc, on peut légitimement conclure que la médiation du Christ, puisqu'elle n'est ni complétée, ni diminuée par la coopération de Marie, ne souffre aucune injure. Son efficacité est plutôt augmentée, et par conséquent aussi sa gloire, puisque par la seule puissance du Christ la Bienheureuse Vierge a pu coopérer si intimement à la Rédemption objective. (I. (J.) Keuppens, Mariologiae Compendium: Deipara, Mediatrix, Florilegium Mariale, Anvers, 1938, pp. 123 et 124)
 
 
*
*    *
 
 
78. La deuxième thèse est celle selon laquelle seul l'aspect corporel de la médiation de Marie permet de considérer Marie comme Médiatrice - d'une manière mystique - avec et dans l'union au Christ-Médiateur (voir n° 24). Or, ceci revient à dire que Marie-Médiatrice ne peut exercer sa médiation que par l'intermédiaire de son propre corps organique et matériel, et donc, par le fait même, que la médiation de Marie s'accomplit nécessairement par le moyen de son corps personnel considéré comme cause instrumentale physique. Ainsi, la deuxième thèse est celle selon laquelle il faut considérer comme nécessaire, et donc aussi comme possible, la causalité instrumentale physique du corps personnel, et par le fait même, de toute l'humanité propre de Marie-Médiatrice, et ce, relativement à l'exercice de la médiation de Marie envisagée dans son union à la médiation du Christ lui-même.
 
79. Au sujet de cette deuxième thèse, le R.P. Réginald Garrigou-Lagrange, O.P., expose ainsi l'état de la question: La Sainte Vierge... nous transmet-elle les grâces que nous recevons à la manière dont le fait l'humanité de Jésus, qui est selon Saint Thomas et beaucoup de théologiens "cause instrumentale physique de ces grâces"...? La causalité morale de Marie par la satisfaction, le mérite passé, et par l'intercession toujours actuelle, est communément admise. Mais plusieurs théologiens s'en tiennent là et refusent d'admettre que Marie transmette les grâces par une causalité physique instrumentale, analogue dans l'ordre spirituel à ce qu'est dans l'ordre sensible l'action de la harpe qui, touchée par l'artiste, produit des sons harmonieux. D'autres théologiens lui attribuent aussi cette seconde influence d'une façon subordonnée à l'humanité du Christ, en insistant sur ceci que, d'après la Tradition, Marie est vraiment dans le corps mystique comme le cou, qui, en réunissant la tête aux membres, leur transmet l'influx vital... Cette influence de Marie sur nos âmes reste sans doute mystérieuse, mais il semble bien qu'elle n'est pas seulement morale, qu'elle intervient dans la production même de la grâce, à titre d'instrument conscient et libre, comme lorsque le thaumaturge guérit par son contact et sa bénédiction. Déjà, dans l'ordre naturel, le sourire, le regard, l'inflexion de la voix, le ton transmettent quelque chose de la vie de l'âme... L'influence très certaine du Christ, tête du Corps mystique, reste aussi fort mystérieuse. Celle que paraît exercer Marie en dehors de son intercession n'est pas moins secrète, bien sûr, mais elle est sérieusement probable, pensons-nous, sans qu'on puisse rien affirmer de plus. Ainsi, lorsqu'il s'agit des dernières ondulations du son ou de la lumière dans l'air, il est difficile de dire avec certitude où elles existent encore et où elles finissent vraiment. (La Mère du Sauveur et notre vie intérieure, Paris, 1948, pp. 240 à 247)
 
80. Voici des considérations plus détaillées relatives à notre deuxième thèse. Il s'agit d'un développement de la pensée de Saint Louis-Marie Grignon de Montfort, appuyée sur l'opinion personnelle du Père Edouard Hugon, O.P.:
 
«Praevie admissa Mediatione per modum intercessionis, conceditur insuper concursus physicus Deiparae ad producendam gratiam per modum causae instrumentalis perfectivae... Actio Dei, causae principalis, tota transit per actionem Mariae, causae instrumentalis, elevat et roborat hanc actionem, de se aptam solummodo ad impetrandam gratiam, ut, mota a principali agente, ipsam et totam gratiae substantiam attingat, eamque modificet, conferendo ei optatam formam et quoad subjectum cui conferatur, et quoad quantitatem auxilii praestandi, et quoad modum secundum quem magis proficiet, et quoad tempus quo melius a nobis accipietur. Et (...) sicut in sacramento Eucharistiae effectum suum producit per modum nutritionis, sic eadem gratia, transeundo per Mariam, materna forma induitur, quae eam aptissimam reddit ad movendum cor nostrum (...) Sic melius intelligitur quomodo, in Traditione ecclesiastica Maria vocetur sive collum Ecclesiae, per quod scilicet totus capitis influxus ad membra corporis transit, sive aquaeductus per quem ex fonte derivantur aquae. Sic intelliguntur etiam facta illa initialia (...) in quibus Maria instrumenti physici munus visibiliter exercet, praesertim in Visitatione: Ut audivit salutationem Mariae Elisabeth exsultavit infans in utero ejus, et repleta est Spiritu Sancto Elisabeth. (Lc. 1, 41)»
 
La Médiation par mode d'intercession ayant été préalablement admise, il faut en plus concéder le concours physique de la Mère de Dieu pour produire la grâce par mode de cause instrumentale opérante... L'action de Dieu, qui est cause principale, passe tout entière par l'action de Marie, qui est cause instrumentale, élève et fortifie cette action, seulement apte, de soi, à demander la grâce, de sorte que, mue par l'agent principal, l'action de Marie entre en contact avec toute la substance de la grâce, et lui donne un certain mode, en lui conférant une forme choisie quant au sujet auquel elle est donnée, quant à la quantité de secours qu'elle procure, quant au mode selon lequel elle donnera davantage de profit, et quant au temps auquel elle sera mieux reçue par nous. Et tout comme dans le sacrement de l'Eucharistie la grâce produit son effet par mode de nourriture, ainsi cette même grâce, en passant par Marie, est revêtue d'une forme maternelle, qui la rend plus apte à mouvoir notre coeur... Ainsi, on comprend mieux comment, dans la Tradition de l'Église, Marie est appelée soit le cou de l'Eglise, c'est-à-dire ce par quoi tout l'influx de la tête passe aux membres du corps; soit l'aqueduc par lequel les eaux venant de la fontaine sont canalisées. Ainsi, on comprend mieux ces faits initiaux... dans lesquels Marie exerce visiblement la fonction d'instrument physique, surtout dans la Visitation: Dès qu'Élisabeth entendit la salutation de Marie, son petit enfant se mit à remuer en son sein, et elle fut elle-même remplie de l'Esprit-Saint. (Lc. 1, 41) (Armand Plessis, Manuale Mariologiae Dogmaticae, Pontchâteau, 1942, pp. 268 à 270)
 
81. Concernant notre deuxième thèse, voici enfin le témoignage d'un théologien tout épris du Mystère de Marie dans sa médiation entre le Christ-Tête et le Christ-Corps: Jésus ne sera par son humanité que l'organe et l'instrument de la vie de la grâce, instrument sublime, souverainement vivant et agissant, instrument conjoint au Verbe de Dieu (...) A plus forte raison, celle que nous nommons la Mère de la divine grâce n'est nullement l'auteur de cette vie. La nuance serait plus exacte si nous disions que Marie est Mère en la divine grâce. Dieu veut bien se faire aider par elle. Elle-même étant si débordante de vie divine, son rôle est de servir la grâce dans les âmes (Père de Condren). Instrument sublime, elle aussi, entre les mains de Dieu, et merveilleusement vivant ! (...) Ainsi toute la grâce de Jésus-Christ passe par Marie et vient par elle de lui à nous. Pour décrire cette grande vérité il y a traditionnellement dans l'Église un mot qui fait image. Puisque nous ne formons tous qu'un seul corps mystique, on dit que la très sainte Vierge en est le cou comme Notre Seigneur en est la tête. Toute la vie et le mouvement viennent de la tête mais ne se communiquent aux membres qu'en passant par le cou (...) Le Christ Jésus est la tête, d'où procède toute la vie qui est dans les membres, mais une tête pensante et aimante, et si vaste spirituellement qu'elle est présente à tout le corps, ou mieux, le contient en elle tout entier. De même ici, Marie est bien, si l'on veut, le mystique organe par lequel doit passer toute la vie qui s'écoule du chef dans les membres, mais cet organe est lui-même animé d'une vie si puissante qu'il enveloppe en quelque sorte à la fois la tête et les membres. (R. Bernard, O.P., Le Mystère de Marie, Paris, 1933, pp. 53 à 56)
 
 
*
*    *
 
 
82. La troisième thèse, et la plus importante, est celle selon laquelle, en communiant à l'Eucharistie, Marie réalise sacramentellement, d'une manière absolument pleine, aussi bien qualitativement que quantitativement, l'office de sa médiation, qui est de révéler à l'Église, dans le Christ, tout le Mystère du Dieu un et trine (voir n° 28). D'une manière particulière, en tant que Marie-Médiatrice est la première des fidèles et leur modèle, la troisième thèse se réduit à ceci: dans la communion eucharistique, Marie, par son action humaine, permet au Dieu un et trine de se révéler sacramentellement à elle (voir n° 26). Or, nous avons montré que cette action de Marie-Médiatrice relativement à la communion eucharistique suppose nécessairement deux faits principaux: le premier consiste en ce que le Pontife Romain est époux de Marie dans le Christ, et son ministre dans l'acte de la communion eucharistique (voir nos 60 à 62); et le second, conséquence du premier, consiste en ce que l'acte de la communion eucharistique n'est autre que la réalisation sacramentelle, et par là même mystique, de l'acte de la Nativité du Christ (voir n° 73). De plus, les deux faits principaux que nous venons de mentionner supposent, chacun d'eux, un fait fondamental sur lequel ils sont établis, savoir: quant au premier, le fait que le Mystère de la naissance du Christ est l'acte principal dans lequel et par lequel s'exerce la médiation de Marie (voir nos 38 et 61); et quant au second, le fait que, en vertu du passage scripturaire de Jean 6, 57, il existe une comparaison entre l'acte de la Nativité du Christ et celui de la communion eucharistique (voir nos 47 et 73). Ainsi, pour établir notre troisième thèse à l'aide des témoignages de la Tradition, il nous suffit de montrer la croyance ancienne et sans cesse transmise concernant les deux faits fondamentaux énoncés ci-dessus.
 
83. Quant au premier fait, qui est celui selon lequel le Mystère de la naissance du Christ est l'acte principal dans lequel et par lequel s'exerce la médiation de Marie, voici la pensée de Saint Thomas d'Aquin rapportée et explicitée par un théologien moderne, que nous avons déjà cité ci-dessus (voir n° 81): Ainsi parle Saint Thomas... Et pour bien définir cette grâce de Jésus en Marie il précise: Le Christ en tant qu'homme possède toute la plénitude de grâce qu'il lui faut pour être le Fils de Dieu et, à ce titre, l'auteur même de la grâce... Mais la bienheureuse Vierge Marie obtient de son côté toute la plénitude de grâce qu'il lui faut pour être celle de qui le Christ reçoit sa nature humaine et qui est, à ce titre, la personne la plus proche de l'auteur de la grâce: c'est dire qu'il y a dans Marie assez de grâce divine pour qu'elle puisse capter et concevoir en elle celui qui est la source même de la grâce, et pour qu'elle puisse, en le mettant au monde, faire en quelque sorte dériver sur tous la grâce qui est en lui. (S. Thomas, Summa Theologica, IIIa, q. 27, a. 5, ad 1) (R. Bernard, O.P., Le Mystère de Marie, p. 54-55)
 
84. Concernant encore le premier fait énoncé plus haut, le témoignage du R.P. Frédéric-William Faber - qui écrit vers 1860 - est particulièrement éloquent, surtout pour ce qui regarde l'exercice de la co-rédemption accomplie par Marie, par mode de médiation, dans l'acte de la Nativité du Seigneur (voir nos 62 et 68): Jamais Marie ne fut unie aussi intimement à Dieu qu'à l'instant de la naissance de notre Sauveur (...) Au moment de la Nativité, elle était unie à Dieu plus étroitement que jamais elle ne l'avait été (...) Son extase à l'heure de minuit était en quelque sorte une chaîne nouvelle, destinée à la fortifier. Lorsqu'elle vit l'Enfant né (...), ne fut-elle pas plongée en Dieu comme jamais créature ne l'avait été avant elle ? (...) Elle embrassait pour ainsi dire Notre-Seigneur tout entier dans l'extase de son adoration. (Bethléem, Tome 1, édition de 1911, p. 212-213) Et, en mettant davantage l'accent sur l'aspect spirituel de la médiation de Marie dans l'acte de la Nativité, le témoignage se poursuit ainsi: Réfléchissons sur tout ce qui était renfermé dans cet acte d'adoration (...) Marie n'est pas seulement la créature souveraine, elle est la créature chargée de représenter les autres. Ainsi son adoration a été offerte au nom de toutes les créatures. C'était la reconnaissance par la création de son Créateur incarné (...) Cet acte d'adoration est encore vivant dans l'Église à l'heure qu'il est; il se répète journellement dans les âmes pieuses qu'il inspire (...); il couronne l'Église d'une supériorité paisible sur tous les autres hommages collectifs de l'amour racheté envers la sainte humanité du Rédempteur (...) Dans cet acte d'adoration, notre Mère bénie nous a aussi reconnus pour ses enfants. Elle avait la conscience de la place qu'elle occupait dans la création de Dieu. Elle commençait déjà à remplir cet office, dont elle a reçu publiquement les insignes sur le Calvaire. Elle s'est offerte à l'Enfant nouveau-né pour nous. Elle consentait à être notre Mère (...) Elle était préparée à représenter la grande famille humaine dans toutes les tendres fonctions qu'elle exerçait à son égard. Elle nous a offerts aussi à Jésus. Elle nous a offerts à son amour. Elle mêlait notre nom dans ses prières. (ibid., p. 221 à 223)
 
85. Enfin, toujours en rapport avec le premier fait, il nous faut citer un document plein de richesse et de majesté à l'égard de la Reine du Ciel dans l'acte le plus solennel de sa dignité et de son ministère. Il s'agit d'une révélation privée relatée par écrit par son auteur: la Vénérable Marie de Jésus d'Agréda (1602-1665), franciscaine conceptioniste déchaussée. Mais avant de citer ce précieux témoignage, voici quelques notes concernant l'auteur en question: Les écrits de Marie, en particulier la "Mistica Ciudad" (dans laquelle bien des enseignements et des données portent sa marque personnelle), son action, ses relations avec des personnes de toutes classes sociales, sa manière de pénétrer les problèmes individuels, sociaux et même politiques, révèlent une intelligence exceptionnelle que règlent une juste compréhension des choses, un grand bon sens et la sagesse. Outre ces dons naturels, il faut faire entrer en compte les faveurs et les communications mystiques avec leurs lumières de connaissance infuse et leur énergie efficace au niveau de l'agir. (Dictionnaire de Spiritualité, Tome X, Col. 509, Article Marie de Jésus d'Agréda)

86. Voilà donc ce que la Vénérable Marie de Jésus d'Agréda a pu contempler dans l'Esprit de Dieu, spécialement attentive à décrire l'aspect proprement corporel de la naissance du Seigneur dans sa communication au corps même de la Mère de Dieu:
La Reine des créatures étant dans la crèche, fut excitée par une forte vocation du Très-Haut et par une douce et efficace transformation, qui la transporta au-dessus de tout ce qui est créé, et elle ressentit de nouveaux effets du pouvoir divin; car cette extase fut une des plus rares et des plus admirables de sa très sainte vie. (La Cité mystique de Dieu, Livre IV, Chapitre X, n° 474, fac-similé de l'édition de 1857, chez Poussielgue-Rusant, p. 310) La très pure Marie jouit plus d'une heure de cette vision béatifique, dont il plut à Dieu de la gratifier immédiatement avant sa divine délivrance. Et au moment où elle en sortait et reprenait ses sens, elle reconnut et vit que le corps de l'Enfant-Dieu se remuait dans son sein virginal, se dégageant et prenant pour ainsi dire congé de ce lieu naturel où il avait demeuré neuf mois, et qu'il se préparait à sortir de ce sacré tabernacle. Ce mouvement de l'enfant, non seulement ne causa point de douleur à la Vierge-Mère, comme il arrive aux autres filles d'Adam et d'Ève lorsqu'elles enfantent (cf. Gn. 3, 16); mais au contraire, il la renouvela toute dans les transports d'une joie ineffable, de sorte que son âme et son très chaste corps éprouvèrent des effets si divins et si sublimes, qu'ils surpassent tout ce que l'entendement créé peut concevoir. Son corps, resplendissant d'une beauté céleste, se spiritualisa au point qu'elle ne paraissait plus une créature humaine et terrestre. Son visage jetait des rayons de lumière comme un soleil brillant de tout son éclat. Une majesté admirable était répandue sur toute sa physionomie, et son coeur était enflammé d'un fervent amour de Dieu. Elle se tenait à genoux dans la crèche, les yeux élevés au ciel, les mains jointes contre la poitrine, l'esprit perdu dans la divinité qui la transformait. C'est dans cet état, en sortant de ce divin ravissement, que notre très auguste Princesse donna au monde le Fils unique du Père et le sien (cf. Lc. 2, 7), notre Sauveur, JÉSUS, Dieu et homme véritable... (ibid., n° 476, pp. 312-313)
 
87. Quant au second fait, qui est celui selon lequel il existe, en vertu du passage scripturaire de Jean 6, 57, une comparaison entre l'acte de la Nativité du Christ et celui de la communion eucharistique (voir n° 82), laissons encore parler la Vénérable Marie de Jésus d'Agréda: nous ferons ainsi, en quelque sorte, le lien entre les deux faits fondamentaux que nous voulons établir à l'aide de documents anciens. Voici donc ce qu'elle a contemplé touchant ladite comparaison: Comme (saint Michel et saint Gabriel) assistaient au mystère sous une forme humaine et corporelle, à l'instant où le Verbe incarné, traversant par sa propre vertu le très chaste sein de Marie, vint au monde, ils le reçurent entre leurs mains, à une distance convenable, et avec une vénération sans égale; et en la manière que le prêtre expose la sacrée hostie aux adorations du peuple, ainsi ces deux ministres célestes présentèrent aux yeux de la divine Mère son Fils glorieux et resplendissant. Tout cela se passa en fort peu de temps. Et au moment où les saints anges présentèrent l'Enfant-Dieu à sa Mère, le Fils et la Mère se regardèrent réciproquement, et dans ce regard elle blessa le coeur du très doux Enfant, et fut en même temps ravie et transformée en lui (cf. Cant. 7, 10; 4, 9). Et se trouvant entre les mains des deux princes célestes, le Roi de l'univers dit à sa bienheureuse Mère: «Ma Mère, devenez semblable à moi; car je veux, en échange de l'être humain que vous m'avez donné, vous en donner dès aujourd'hui, par des grâces plus sublimes, un autre tout nouveau, qui fasse, par une parfaite imitation, ressembler une simple créature à moi qui suis Dieu et homme.» (La Cité mystique de Dieu, Livre IV, Chapitre X, n° 481, p. 319) Et après avoir décrit sa vision du Mystère de la Nativité, la Vénérable Marie de Jésus d'Agréda relate une Instruction que je reçus de la sacrée Vierge...: «Je veux que vous excelliez en cette humble révérence et en cette sainte crainte, et que vous sachiez que quand Dieu entre dans votre bouche sous les espèces sacramentelles, il vous dit aussi ce qu'il me disait: "Devenez semblable à moi", comme vous l'avez entendu et écrit.» (ibid., n° 488, p. 328)
 
88. Concernant aussi le second fait, nous voulons citer d'une manière toute spéciale ces paroles du Vénérable Père Louis du Pont (voir n° 16) [car c'est au jour de sa fête, le 17 février 1990, que j'ai compris, dans la lumière de l'Esprit-Saint, toute l'importance théologique du passage scripturaire de Jean 6, 57, fondement même de la comparaison relative au second fait]. Voici ces paroles: On considérera les grandes largesses que le Sauveur fit en naissant à sa bienheureuse Mère (...) Le Sauveur, ayant demeuré neuf mois dans les flancs de la Sainte Vierge et s'y étant bien trouvé, crut qu'il était de sa reconnaissance et de sa libéralité de l'enrichir de beaucoup de grâces extraordinaires. Il lui fit surtout clairement connaître le mystère de sa Nativité; et au lieu des grandes douleurs que souffrent les femmes qui sont en travail, il la remplit d'allégresse, car il n'était pas juste que celle qui avait conçu sans aucun plaisir sensuel enfantât avec douleur. Ce qu'il y a de plus surprenant en ceci, c'est que tout en s'assujettissant lui-même à toutes les peines de cette vie, il voulut, au contraire, délivrer sa Mère de celle qui est commune à toutes les femmes qui ont des enfants. Il use envers nous d'une pareille libéralité à la sainte communion. Car dès qu'il entre en nous, il nous confère la grâce qui est propre du Sacrement; et si nous l'avons reçu comme il faut, il nous communique encore, avant de nous quitter, plusieurs autres dons, et particulièrement ceux de la contemplation, de la dévotion et d'une joie sainte, qui est la plus juste récompense de la ferveur avec laquelle nous venons de le recevoir. (Vén. P. Louis du Pont, Méditations, IIe Partie, XVIIe Méditation, pp. 527-528)
 
89. Enfin, toujours quant au second fait, et pour clôturer la série de documents relatifs à la troisième thèse, voici un autre témoignage du Père Frédéric-William Faber, profond et spirituel, comme à l'ordinaire: Le temps se meut, mais l'éternité se tient immobile; et ainsi, au milieu du changement perpétuel, la foi, qui est le représentant de l'éternité sur la terre, reste, et demeure en repos; et c'est dans son immobilité que nous trouvons la tranquillité et le calme. Le Bethléem de cette nuit, de ces quarante jours, n'a jamais passé. Il est vivant, et il vit d'une vie réelle; non pas ce village chrétien perché sur le sommet de ces rochers arides (...), mais l'antique Bethléem, le Bethléem de ce moment solennel où le Dieu incarné reposait sur le sol entouré d'animaux dans la Grotte. Il est vivant non seulement dans le souvenir de la foi, mais surtout dans les réalités actuelles de la foi. Il vit d'une vie réelle, continue, non interrompue, non seulement dans l'histoire, les arts, la poésie, ou même dans le culte fécond des fidèles et dans leurs coeurs de chair, mais encore dans la réalité adorable du très saint Sacrement. Autour du tabernacle, qui est notre perpétuel Bethléem, se continue le même monde si beau de la dévotion qui entourait l'Enfant nouveau-né, dévotion réelle, qui émane de coeurs réels et dont Dieu reconnaît la réalité en daignant en accepter l'hommage. (Bethléem, édition de 1911, Tome 1, pp. 226-227)
 

*
*    *


90. Résumant les trois thèses que nous venons d'argumenter par des témoignages de la Tradition, qui rendent stables et absolument fermes les fondements jetés dans ces
Préliminaires, nous pouvons affirmer sans crainte que, mystiquement, Marie-Médiatrice exerce sa médiation par le biais de l'acte proprement sacramentel de la communion eucharistique, et ce, d'une manière pleinement corporelle, quoiqu'aussi, et tout en même temps, spirituelle. Et tout ceci nous autorise à penser et à croire - comme thèse finale - que, sans aucun doute, l'Eucharistie envisagée comme communion est le seul sacrement - car seul il possède un aspect corporel - qui permet à la personne humaine d'obtenir, de la miséricorde de Dieu, la réalité anticipée du Salut éternel, par Marie-Médiatrice.
 
91. Notons tout d'abord que cette thèse finale que nous proposons au lecteur n'est pas autre chose que le fondement théologique de la promesse faite par le Sacré-Coeur de Jésus à Sainte Marguerite-Marie Alacoque, qui l'a relatée ainsi par écrit en 1688: Je te promets, dans l'excessive miséricorde de mon Coeur, que son amour tout-puissant accordera à tous ceux qui communieront neuf premiers vendredis du mois de suite, la grâce de la pénitence finale, ne mourant point dans ma disgrâce et sans recevoir leurs sacrements, mon divin Coeur se rendant leur asile assuré au dernier moment. (cf. Jean Ladame, La Sainte de Paray: Marguerite-Marie, p. 273) Et remarquons bien que cette promesse a reçu un tel écho dans l'Église qu'elle figure, sous sa forme latine, dans le décret même de la canonisation de Sainte Marguerite-Marie Alacoque: Tibi polliceor, in profusa mei Cordis misericordia, si qui per novem continentes menses, singulis sextis feriis quoquo mense primis occurrentibus, sacratissimam mensam adeant, omnipotentem Cordis mei amorem poenitentiae finalis beneficium eis concessurum: in offensa apud me haud ipsi morientur neque sanctis non exceptis sacramentis; ac, in postremis illis momentis, tutum eis asylum Cor meum praebebit. (Acta Benedicti PP. XV, Vol. XII, p. 503)
 
92. Voilà ensuite le raisonnement. Dans la mesure où, par le biais de l'acte sacramentel de la communion eucharistique, Marie-Médiatrice exerce sa médiation tant corporellement que spirituellement, ce même acte de la communion eucharistique possède, et un aspect proprement corporel (voir n° 48), et un aspect proprement spirituel (comme tous les autres sacrements). Or, nous avons établi dans le courant de notre étude (voir n° 41), que c'est proprement en référence à la règle d'association simple et une entre la Révélation divine et la philosophie de la vie humaine que le concept de Marie-Médiatrice est pleinement appréhendé. De plus, dans ladite règle d'association, nous avons également établi que la référence de base ne peut pas ne pas être la philosophie de la vie humaine. Par conséquent, il est clair que, relativement à la médiation de Marie, l'acte de la communion eucharistique doit être considéré en référence propre à la philosophie de la vie humaine. Cela revient à dire que l'aspect spirituel de l'acte de la communion eucharistique doit être ici considéré comme nécessairement inclus dans l'aspect corporel de ce même acte. Mais, étant donné que cet acte de la communion eucharistique - parce qu'il est un acte nutritif et vital - est essentiellement simple et un, il faut nécessairement envisager les deux termes extrêmes de la médiation de Marie, qui réalisent l'acte de la communion eucharistique, et qui sont le Christ-Eucharistie et l'Église, exactement et absolument sous le même rapport que celui qui est relatif à l'acte de la communion eucharistique lui-même. Ainsi, en référence à la philosophie de la vie humaine, on doit affirmer que, quant au Christ-Eucharistie qui, humainement, existe sous le signe du pain et sous le signe du vin, on doit considérer, de soi, le Sang du Christ, présent sacramentellement sous les apparences du vin, comme inclus dans le Corps du Christ, présent sacramentellement sous les apparences du pain; et que, pareillement, quant à la personne humaine qui communie, on doit l'envisager, de soi, comme composée d'un corps et d'une âme, cette dernière étant présente, et comme incluse, en toutes et en chacune des parties du corps, puisque, dans le cas d'un acte de nutrition (et c'est ce dont il s'agit ici), l'âme est vivifiée par le moyen du corps, et comme à travers celui qui l'inclut en lui.
 
93. En vertu de ce que nous venons d'énoncer, c'est-à-dire en vertu de l'inclusion, d'une part, du Sang du Christ dans le Corps du Christ, et d'autre part, de l'âme dans le corps de la personne humaine qui communie, il est permis de penser et de croire sans aucun doute que l'Eucharistie sous l'espèce du vin est directement relative à l'âme de la personne humaine qui communie, et que l'Eucharistie sous l'espèce du pain est directement relative au corps de cette même personne humaine. C'est pourquoi, le Seigneur lui-même a pu parler de l'acte de la communion eucharistique, accompli relativement à la médiation de Marie, en mettant explicitement en relation, d'une part, son Corps - sous forme de nourriture - avec le corps humain de celui qui communie, afin de lui permettre de participer, par mode de satiété, à la perpétuité propre de sa vie divine; et d'autre part, son Sang - sous forme de boisson - avec l'âme humaine spirituelle du communiant, afin de lui communiquer, par le moyen d'une foi permettant un plein rassasiement, la même perpétuité de sa vie divine, disant: C'est moi le pain de vie: qui vient à moi n'aura jamais faim, et qui croit en moi n'aura jamais soif. (Jn. 6, 35)
 
94. Si le Sang du Christ doit être considéré comme inclus dans le Corps du Christ, tout le Sacrement de l'Eucharistie peut être réduit, mystiquement (c'est-à-dire relativement à la médiation de Marie), à la seule espèce du pain (incluant en elle l'espèce du vin). Aussi la communion eucharistique devient, mystiquement, l'union du Corps du Christ et du corps humain de la personne qui communie. Or, le Seigneur a expressément affirmé: Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle. (Jn. 6, 54) Par conséquent, il est tout à fait permis de dire que, mystiquement, la communion eucharistique, en tant qu'union du Corps du Christ et du corps humain de celui qui communie, est un acte corporellement éternel, et donc que, par le fait même, la personne humaine qui communie au Christ-Eucharistie, quoique pouvant naturellement mourir, ne peut pas mourir mystiquement, ou encore, surnaturellement: Le pain du ciel est tel que si l'on en mange, on ne meurt point. (Jn. 6, 50) Autrement dit, relativement à la médiation de Marie, la communion eucharistique procure sacramentellement, par anticipation, le Salut éternel à la personne humaine qui s'unit au Christ-Eucharistie: la communion eucharistique est le remède propre contre la seconde mort (Ap. 2, 11; 21, 8).
 
95. Ainsi, nous le voyons: la Tradition et la Sainte Écriture sont d'accords pour affirmer que, par la Sainte Eucharistie reçue en communion, le corps, ainsi que l'âme qu'il contient, obtiennent de Dieu tout-puissant et miséricordieux, la participation anticipée à la vie éternelle, par Marie-Médiatrice. Cela, nous venons de le montrer brièvement; mais, nous l'exposerons davantage dans la suite de ce livre. Pour l'heure, et pour achever notre dernier chapitre, retenons les paroles que Marie adressa le 12 avril 1947 à Bruno Cornacchiola (voir n° 22): La promesse de Dieu est, et reste immuable: les neuf vendredis du Sacré-Coeur que tu as observés... t'ont sauvé!
 


 
 
 
CONCLUSION
 
 
 
 
96. La réalité objective - en tant que donnée de la foi chrétienne authentique - de la médiation de Marie n'est pas textuellement contenue dans la Sainte Écriture et révélée par elle en des termes appropriés et parfaitement adéquats. Nous ne trouvons en effet aucun texte de la Bible qui nous révèle par lui-même que Marie est médiatrice, au même titre et dans la même proportion que celui de Saint Paul où il est dit clairement que le Christ est médiateur entre Dieu et les hommes (1 Tm. 2, 5). Aussi, ce n'est que par le biais et à partir de la Tradition vivante de l'Église, qui affirme sans conteste le fait pratique et toujours existant de la médiation de Marie, que nous pouvons déduire et, par là même, déclarer que la Sainte Ecriture, prise dans sa plénitude absolue de Révélation divine codifiée par écrit, ou de Parole de Dieu manifestée et communiquée aux hommes d'une manière strictement corporelle ou matérielle, signifie (dans le plein sens du mot signe), par mode de confirmation, l'existence et le fait vécu de la médiation de Marie.
 
97. Ce que nous venons de dire peut être regardé comme la conclusion générale de nos Préliminaires. Et pareillement ceci, en un mot: la Bible, tout en contenant la Révélation de Dieu-Trinité dans le Christ total, c'est-à-dire Tête et Corps, est la manifestation permanente - par mode de signe - de Marie-Médiatrice dans l'exercice de sa médiation. Pour confirmation, nous pouvons encore, et une fois de plus, relater l'apparition de Marie à Bruno Cornacchiola, à Rome, le 12 avril 1947: Se présentant à son fils prodigue, Bruno Cornacchiola, la Sainte Vierge ajoute: «Je suis la Vierge de la Révélation.» On a demandé à Bruno Cornacchiola pourquoi, selon lui, Elle a voulu se définir ainsi. Quelle fut sa réponse ? Je la cite: «Etant protestant, je cherchais à la combattre en suivant l'interprétation de la Bible à mon gré. Elle, au contraire, s'est présentée avec la Bible à la main, comme pour me dire: tu as beau jeu d'écrire contre moi, Je suis pourtant Celle qui émerge de l'Écriture Sainte validement interprétée par l'Eglise, c'est-à-dire l'Immaculée, toujours Vierge, Mère de Dieu, montée au Ciel.» (Mgr Fausto Rossi, La Vierge de la Révélation, p. 40).
 
98. Si, dans la Sainte Écriture, Marie-Médiatrice - conjointement et simultanément à la Sainte Trinité - est révélée à l'Église dans le Christ, alors la Sainte Écriture sert de moyen de communication, et est donc un instrument de médiation pour Marie entre Dieu-Trinité, dans le Christ, et l'Église. Par le fait même, Marie-Médiatrice - selon la confirmation de la Sainte Écriture - exerce sa médiation, d'une manière proprement corporelle, par le biais de la même Sainte Écriture. Or, lorsque Marie-Médiatrice exerce sa médiation par le biais de la Sainte Ecriture, elle l'exerce aussi, d'une manière parallèle, par le biais de l'acte proprement sacramentel de la communion eucharistique. Mais, comme d'une part, la Sainte Écriture, en vertu de sa codification matérielle, possède essentiellement un caractère stable et permanent; et comme d'autre part, l'acte sacramentel de la communion eucharistique - parce qu'il s'accomplit par mode de nourriture temporelle et périssable - possède essentiellement un caractère transitoire et changeant; il est clair que Marie-Médiatrice exerce sa médiation d'une manière finale par le biais de la Sainte Écriture, et d'une manière médiate par le biais de l'acte de la communion eucharistique. Donc, nous ne devons pas craindre d'affirmer nettement que, relativement à la médiation de Marie exercée par le biais de la Sainte Écriture, et ce, d'une manière proprement corporelle, l'acte sacramentel de la communion eucharistique - en tant qu'acte propre de Marie-Médiatrice - possède, de soi, un aspect réellement, quoique mystiquement, corporel. C'est d'ailleurs ce que la Tradition vivante de l'Église affirme aussi, premièrement et fondamentalement. Nous allons le montrer ci-après, en présentant au lecteur quatre textes patristiques relatifs à cette donnée théologique. Il s'agit de deux textes de Saint Augustin, d'un texte de Saint Jean Chrysostome, et d'une citation de l'Ambrosiaster faite par Saint Thomas d'Aquin dans sa Somme théologique.
 
 
*
*    *
 
 
99. Le premier texte de Saint Augustin est le suivant: Soyez ce que vous voyez, et recevez ce que vous êtes. (Sermon 272, pour le jour de la Pentecôte - PL 38, 1247) Dans tout le sermon dont il s'agit ici, Saint Augustin s'adresse aux nouveaux baptisés pour leur parler de l'Eucharistie. Et c'est après avoir cité ce passage de Saint Paul: Vous êtes le corps du Christ (1 Co. 12, 27), que l'orateur prononce la formule lapidaire citée ci-dessus. Donc, manifestement, d'après le contexte, le démonstratif ce désigne l'Eucharistie, le Corps du Christ, puisque Saint Augustin dit: Recevez ce que vous êtes, décrivant ainsi la communion spirituelle - et donc simple et une - entre le Christ et l'Église, mystiquement identiques. Par le fait même, il est permis de dire que, par ces paroles: Soyez ce que vous voyez, Saint Augustin donne au sacrement de l'Eucharistie reçu en communion un aspect proprement corporel, relatif à la visibilité qu'il possède essentiellement en tant que signe, et donc intrinsèquement associé à la notion de nourriture sensible et délectable, selon ces paroles: Goûtez et voyez comme est bon le Seigneur. (Ps .33, 9 - Refrain chanté à la communion dès le IVe siècle)
 
100. Voici l'autre texte de Saint Augustin: Si l'on entend bien dans ce sens les paroles du Sauveur: Comme mon Père, qui est vivant, m'a envoyé, et que je vis à cause de mon Père, ainsi celui qui me mange vivra à cause de moi; il a voulu dire ceci: L'anéantissement où m'a réduit ma mission a eu pour résultat de me faire vivre à cause de mon Père, c'est-à-dire, de me faire rapporter à lui, comme étant plus grand que moi, toute ma vie; ainsi, chacun de ceux qui me mangeront vivra à cause de moi, par l'effet de cette participation à ma personne. (Traité 26 sur Saint Jean, n° 19 - Traduction française réalisée sous la direction de M. Raulx, Bar-le-Duc, Louis Guérin éditeur, 1872 - PL 35, 1615). Cette interprétation du passage scripturaire bien connu de Jean 6, 57 est tout à fait correcte; Saint Augustin nous en avertit juste avant de nous la livrer: Cette interprétation est juste; on peut la soutenir, tout en continuant à reconnaître que le Fils est, par nature, égal au Père. Assurément, ce texte de Saint Augustin argumente parfaitement notre propos: la mission du Verbe n'étant rien d'autre que d'accomplir l'Ordre du Père dans l'Incarnation et la Rédemption qui constituent un seul mystère d'amour (S.S. Jean-Paul II, Allocution du 10 novembre 1993), il est clair que le passage scripturaire de Jean 6, 57 - selon l'interprétation de Saint Augustin - établit une comparaison entre, d'une part, la relation existant entre le Père et le Fils, relation qui est personnifiée dans l'Esprit que le Père donne éternellement à son Fils, et qui repose sur Jésus, Verbe incarné, depuis sa conception et son baptême jusqu'à sa résurrection... (Les Évêques de France, Catéchisme pour adultes, n° 234), et relation qui, par le fait même, en vertu du mystère de l'Incarnation, possède une dimension proprement corporelle; et d'autre part, la relation existant entre le Christ-Eucharistie et l'Église dans l'acte de la communion sacramentelle, relation qui, en vertu de la comparaison que nous établissons, possède elle aussi une dimension proprement corporelle, et relation qui, à cause du mode sacramentel qui la caractérise (relativement à la notion de signe), possède par le fait même, de soi, un aspect réellement - quoique mystiquement - corporel.
 
101. Commentant un passage de Saint Paul (1 Co. 10, 16), Saint Jean Chrysostome déclare: Pourquoi ajouter: Le pain que nous rompons ? Ce qui a lieu réellement dans l'Eucharistie, tandis que sur la croix, le contraire se produisit, selon ces paroles: On ne rompra point ses os. (Nb. 9, 12) Ce que le Christ n'a pas souffert sur la croix, il le souffre à l'autel à cause de vous; il se laisse diviser, afin de se donner à tous. (Homélie 24, n° 2, sur les deux épîtres aux Corinthiens - PG 61, 200 - Traduction française de l'abbé J. Bareille, Paris, Louis Vivès éditeur, 1872) Dans ce beau texte, très riche, Saint Jean Chrysostome explique théologiquement le rite liturgique de la fraction du pain. Or, il dit expressément: Ce que le Christ n'a pas souffert sur la croix, il le souffre à l'autel... Ce qui revient à affirmer qu'il existe une comparaison, voire une similitude parfaite - puisque relative à la personne du Christ, qui est parfait en tout - entre l'action du brisement des os du Christ sur la Croix et l'action liturgique de la fraction du pain. Par conséquent, nous pouvons considérer - en vertu de ladite comparaison - et même, nous devons considérer - si l'on admet qu'il y a similitude parfaite - l'action de la fraction du pain dans sa réalisation première et originelle, qui est l'action du brisement des os du Christ. Ainsi conçue, l'action de la fraction du pain devient un acte de participation de l'Église à la Passion du Christ, par la médiation de Marie, puisque, d'une part, il s'agit ici du corps historique du Christ considéré dans sa Passion, et avant sa Résurrection; et que, d'autre part, lors du brisement des os - s'il avait eu lieu - le Christ n'aurait pas pu souffrir, étant déjà mort (cf. Jn. 19, 33). Et comme le Christ n'aurait pu subir le brisement des os que d'une manière corporelle, et non spirituelle (pour la même raison qu'il était déjà mort), il est clair que cet acte de participation de l'Église à la Passion du Christ, réalisé sacramentellement dans l'action liturgique de la fraction du pain, ne peut pas ne pas être essentiellement corporel. Par le fait même, l'action sacramentelle de la communion eucharistique - qui est anticipée dans l'action de la fraction du pain - possède, de soi, un aspect proprement corporel: c'est le témoignage de Saint Jean Chrysostome.
 
102. Le quatrième texte, attribué parfois à Saint Ambroise, mais qui est plutôt de la main de l'Ambrosiaster, est cité partiellement par Saint Thomas d'Aquin dans le passage suivant: «Panis, et vinum sunt materia conveniens (Eucharistiae) sacramenti. Et hoc rationabiliter (...) Tertio quantum ad effectum consideratum in unoquoque sumentium; quia, ut Ambrosius dicit super epistolam primam ad Corinthios (...), hoc sacramentum valet ad tuitionem animae, et corporis, et ideo corpus Christi sub specie panis pro salute corporis, sanguis vero sub specie vini pro salute animae offertur; sicut dicitur Levitico 17, 11 quod anima carnis in sanguine est» Il convient que le pain et le vin soient la matière du sacrement de l'Eucharistie. Et ceci est conforme à la raison (...) Troisièmement, par rapport à l'effet considéré en chacun de ceux qui communient; car, comme le dit Saint Ambroise à propos de la première épître aux Corinthiens, ce sacrement sert à la protection de l'âme et du corps; c'est pourquoi le Corps du Christ est offert sous l'espèce du pain pour le salut du corps, et le Sang sous l'espèce du vin pour le salut de l'âme; puisqu'il est dit dans le Lévitique (17, 11): L'âme de la chair est dans le sang. (S. Thomas, Summa Theologica, IIIa, q. 74, a.1, corp.)
 
Voici le texte complet de l'Ambrosiaster: «Caro Salvatoris pro salute corporis, sanguis vero pro anima nostra effusus est, sicut prius praefiguratum fuerat a Moyse; sic enim ait: "Caro pro corpore vestro offertur, sanguis vero pro anima." (? Leviticus 17, 11)» La chair du Sauveur (a été livrée) pour le salut du corps, mais son sang a été répandu pour notre âme, ainsi que cela avait été annoncé auparavant par Moïse; il a dit en effet: "La chair est offerte pour votre corps, mais le sang pour l'âme." (? Lévitique 17, 11) (In epistolam beati Pauli ad Corinthios primam [Sur la première épître de Saint Paul aux Corinthiens], c. XI - PL 17, 243). Ce témoignage parle de lui-même: on ne peut dire que le Corps du Christ est offert sous l'espèce du pain pour le salut du corps, et est donc, par le fait même, pleinement relatif au corps de la personne humaine pour qui il est réalisé, que si l'on suppose, et si l'on admet au préalable, que l'acte sacramentel de la communion eucharistique possède essentiellement un aspect proprement corporel (voir notre thèse finale, nos 92 à 94).
 
 
*
*    *
 
 
103. Relativement à la médiation de Marie exercée par le biais de la Sainte Écriture, c'est-à-dire en vertu de l'autorité et du témoignage de la Parole de Dieu consignée par écrit (autorité et témoignage donnant confirmation - par mode de signe - à l'accord de pensée des trois Pères de l'Église que nous venons de citer), on doit admettre sans conteste possible que l'acte sacramentel de la communion eucharistique possède, de soi, un aspect proprement corporel. Comme Marie-Médiatrice n'exerce sa médiation par le biais de l'acte de la communion eucharistique qu'en vertu de son union sponsale avec le Pontife Romain en général, et avec le dernier Pape en particulier, l'aspect proprement corporel de l'acte de la communion eucharistique est directement relatif à la personne du Pape dans son union au Christ-Eucharistie. Mais étant donné que, quant au dernier Pape, son corps est spiritualisé et simplifié, la notion d'aspect corporel de l'acte de la communion eucharistique - pour qu'elle ne soit pas vidée de tout son sens - demande nécessairement de penser et de croire que les espèces sacramentelles, d'ordre corporel, soient partie essentielle du sacrement de l'Eucharistie envisagé, non pas en lui-même, mais bien comme communion, c'est-à-dire dès l'instant même de la consécration, et seulement à partir de cet instant. Finalement, si on envisage la Sainte Eucharistie - comme communion - dans le contexte, d'ordre mystique, de la médiation de Marie (et tel a été notre objectif durant ces Préliminaires, et tel doit-il rester dans la suite de ce livre, et partant, dans toute notre vie), alors les espèces sacramentelles elles-mêmes, d'ordre corporel, sont partie essentielle du sacrement de l'Eucharistie: c'est notre conclusion particulière et ultime.
 
104. En d'autres mots, et pour conclure, disons que les espèces eucharistiques sont pleinement relatives à la participation de l'Église - par Marie médiatrice et co-rédemptrice - à l'Oeuvre du Christ-Rédempteur. C'est ce qu'un célèbre miracle eucharistique a parfaitement révélé: celui qui eut lieu dans la ville de Lanciano, en Italie, au VIIIe siècle. Après la consécration du pain et du vin au Corps et au Sang du Christ, le célébrant vit l'hostie se changer en Chair et le vin se changer en Sang. Or, en 1970, sur la demande de l'autorité ecclésiastique, les saintes espèces - qui n'étaient plus espèces, mais bien réalité visible - furent analysées scientifiquement en laboratoire, et il a été reconnu pour certain que la Chair eucharistique du Seigneur était, dans le cas présent, un morceau de muscle cardiaque, un tissu musculaire strié du myocarde (Bruno Sammaciccia, Le miracle de Lanciano, p. 40). De plus, nous savons bien que le Coeur du Christ - quoiqu'il soit une des parties du corps du Christ qui ait subi la Passion, puisque le Seigneur est ressuscité avec une plaie à son côté (Jn. 20, 25) - n'a été transpercé d'un coup de lance qu'après la mort du Sauveur: Ils s'approchèrent de Jésus. Le voyant déjà mort, ils ne lui rompirent pas les jambes, mais de sa lance, un des soldats lui perça le côté. (Jn. 19, 33-34) Ainsi, le miracle de Lanciano illustre merveilleusement le mystère de la co-rédemption de Marie - par voie de médiation - dans l'acte de la communion eucharistique, fait qui est pleinement décrit dans le titre de notre livre: L'Eucharistie: l'Église dans le Coeur du Christ.