Cette prière n'est pas une prière ordinaire. Ou plutôt,
Elisabeth nous enseigne à prier comme il faut prier ; par elle,
c'est le Christ qui nous enseigne à prier « dans le secret
» de notre coeur « Notre Père ... » (Mt.
6, 6-13)
« La prière est une ascension de l'intelligence en Dieu. » C'est la définition que donne Saint Jean de Damas ("De la Foi orthodoxe", Cap. 24, in 3. lib.). La prière est donc une "anaphora", terme grec signifiant : ascension, élevation, offrande. Notre prière, si elle veut être vraie, complète, totale, si elle veut être unie à la prière du Sauveur, notre prière doit être une offrande de nous-mêmes à la gloire du Père, dans l'Esprit qui nous unit à la Trinité bienheureuse.
Nous venons de mentionner le mot "anaphora" pour faire la relation entre les termes "prière" et "offrande". Mais l'analogie ne se borne pas là. En effet, composée sous l'influence du même Esprit-Saint, l'anaphore eucharistique et la prière d'Elisabeth présentent des analogies tant pour la forme que pour le fond. Aussi, cette comparaison sera le principe de notre étude : nous allons montrer clairement que la prière d'Elisabeth est un acte d'offrande d'elle-même, tout comme l'anaphore eucharistique est un acte d'offrande de l'Eglise en union avec le sacrifice du Christ.
Pour cette recherche de parallèles, nous allons prendre de la hauteur, regarder la prière d'Elisabeth dans son ensemble, et la découper en différentes parties. Nous pourrons ainsi comparer chacune de ses parties avec les divers éléments de la Prière eucharistique, en expliquant chaque fois quelques mots-clés employés par Elisabeth, afin d'établir le parallèle annoncé.
Le découpage de cette prière qui est donné dans les "Souvenirs" ou sur des images de piété représentant Elisabeth, ne correspond pas tout à fait avec la présentation qu'en fait le Père Conrad de Meester ("J'ai trouvé Dieu" - Oeuvres Complètes d'Elisabeth de la Trinité - Editions du Cerf, Paris, 1980 - Tome 1A - pp. 200-201). Par conséquent, nous nous servirons de ces deux modèles pour notre travail, nous appuyant tantôt sur l'un, tantôt sur l'autre.
A la fin de ce document, nous présentons, dans son entier, la
Prière d'Elisabeth, avec les mots-clés soulignés,
et découpée selon le plan de notre comparaison avec la Prière
eucharistique.
1. O mon Dieu, Trinité que j'adore, aidez-moi à
m'oublier entièrement pour m'établir en vous, immobile et
paisible, comme si déjà mon âme était dans l'éternité
! Que rien ne puisse troubler ma paix ni me faire sortir de Vous, O mon
Immuable, mais que chaque minute m'emporte plus loin dans la profondeur
de votre Mystère.
Comme la Prière eucharistique commence par la Préface suivie du "Sanctus", Elisabeth débute sa Prière par une proclamation dans laquelle elle annonce tout l'objet de sa demande, en deux phrases assez semblables.
Dans cette exorde, relevons deux expressions :
a) j'adore : C'est le seul but de notre vie, ici-bas et dans l'éternité. Aussi Elisabeth met en relief cette expression : dans toute sa prière, elle ne demandera rien d'autre que ce qui lui permettra d'être et de vivre en véritable adoratrice, en « louange de gloire » (Voir n° 3 : "vous couvrir de gloire").
L'adoration consiste surtout dans l'oubli de soi ("aidez-moi à m'oublier ..."). Adorer, c'est aimer, se donner, s'offrir tout entier à Celui qui nous a aimés le premier, manifestant, par son Incarnation et par sa Mort sur la Croix, tout l'Amour qu'est la Sainte Trinité. « Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. » (Jn. 15, 13)
Mais il faut aussi oublier les créatures, ne pas s'y arrêter, ne voir en elles que des reflets du Créateur : "Que rien ne puisse troubler ma paix". C'est alors que l'âme trouvera la paix et l'union parfaite avec Dieu ; c'est alors qu'elle sera vraiment adoratrice en esprit et en vérité.
C'est ce que l'Eglise proclame dans la Préface : « Vraiment, il est juste et bon de te rendre gloire, de t'offrir notre action de grâce ... C'est par lui que les anges célèbrent ta grandeur que les esprits bienheureux adorent ta gloire ... » Elle chante ensuite ce cantique à la Trinité : « Saint ! Saint ! Saint, le Seigneur, Dieu de l'univers ! Le ciel et la terre sont remplis de ta gloire ... »
L'Eglise annonce dans la Préface tout ce qui va se dérouler dans l'Action centrale de la célébration eucharistique, depuis la consécration jusqu'à la communion, au sein même de la grande Prière d'action de grâces. Le Christ va s'offrir à son Père, et, par Lui, avec Lui, et en Lui, l'Eglise et toute la création vont s'abîmer en action de grâces dans la sublimité et la profondeur de la Trinité bienheureuse. « C'est toi qui as formé l'homme à ton image et lui as soumis l'univers et ses merveilles ; tu lui as confié ta création pour qu'en admirant ton oeuvre il ne cesse de te rendre grâce par le Christ, notre Seigneur. » (Missel Romain - Préface des Dimanches n° 5)
b) votre Mystère : Mystère ineffable, Mystère d'Amour et d'union : Mystère de la Sainte Trinité. C'est le Mystère de notre création et c'est aussi le Mystère auquel nous sommes appelés à participer si nous le voulons, c'est-à-dire si nous vivons dans la grâce et l'amitié divine, si notre vie est un don de soi à la Trinité.
« Le discours d'adieu du Christ au cours du repas pascal se rattache particulièrement à ce <don> et à ce <don de soi> de l'Esprit-Saint. Dans l'Evangile de Jean se dévoile, pour ainsi dire, la <logique> la plus profonde du mystère salvifique inclus dans le dessein éternel de Dieu, comme extension de la communion ineffable du Père, du Fils et de l'Esprit-Saint> (S. S. Jean-Paul II - Encyclique "Dominum et vivificantem", sur l'Esprit-Saint dans la vie de l'Eglise et du monde - Libr. Editr. Vaticana - Editions Mediaspaul, Paris, 1986 - première partie, n° 11, page 18).
L'Eucharistie est ce Mystère qui est tout à la fois le fondement, le moyen et la fin permettant à l'homme et à toute la création de participer pleinement et réellement au Mystère trinitaire et de réaliser le dessein éternel de salut dans le Christ. L'Eucharistie nous fait pénétrer plus pronfondément dans ce Mystère d'amour et d'union qu'est l'Eglise, issue du Sacré-Coeur de Jésus. Si nous restons « enracinés dans l'amour, établis dans l'amour », alors nous serons « capables de comprendre avec tous les fidèles quelle est la largeur, la longueur, la hauteur, la profondeur ... » Nous connaîtrons « l'amour du Christ qui surpasse tout ce qu'on peut connaître. » (Ep . 3, 17-19)
Avec Elisabeth, entrons dans ce Mystère, et voyons comment elle
l'a vécu.
2.-a. Pacifiez mon âme, faites-en votre ciel, votre demeure aimée et le lieu de votre repos.
Le Mystère est présent ! L'Amour est là ! Dieu est toujours et partout présent. Il ne cesse d'agir et de nous attirer à Lui pour nous communiquer sa Vie et son Amour.
La consécration du pain et celle du vin rendent présent le Mystère du Christ. Le sacrifice de la Croix, offert une fois pour toutes, est actualisé aujourd'hui, pour nous qui vivons maintenant.
votre repos : Dieu est toujours agissant par sa Providence, et pourtant toute son activité, c'est de se reposer, car il est parfait et rien ne peut lui être ôté ou ajouté. La grâce de Dieu est toujours prévenante et Dieu ne demande à l'homme qu'à l'accueillir, à lui ouvrir la porte de son coeur. « Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole, et mon Père l'aimera, et nous viendrons à lui, et nous ferons chez lui notre demeure. » (Jn. 14, 23)
Dans la célébration eucharistique, Dieu agit le premier
: Il actualise son Alliance nouvelle et éternelle réalisée
dans le Sang du Christ. Or, cette Alliance n'est autre que notre
baptême (cf. Rm. 6, 4), le fondement de notre foi, la preuve de l'amour
de Dieu pour nous. Par la consécration du pain et du vin, le Christ
vient donc dans son Eglise pour actualiser et pour rappeler son Alliance
à chacun des baptisés qui composent l'assemblée.
Il leur rappelle ainsi, par son sacrifice, ce qu'ils doivent être
en vertu de leur baptême : Il leur demande le consentement à
son Alliance afin d'établir toujours davantage en eux sa demeure
aimée et le lieu de son repos.
2.- b. Que je ne Vous y laisse jamais seul, mais que je sois là toute entière, toute éveillée en ma foi, toute adorante, toute livrée à votre action créatrice.
Voici la phrase qui nous permet d'entrer au coeur du Mystère renfermé dans cette prière : "Mysterium fidei" - Mystère de foi ! Nous acclamons ainsi la venue du Christ dans son Eglise sous les espèces du pain et du vin.
a) éveillée en ma foi : La foi d'Elisabeth est une foi vive, en acte ; la foi d'une âme en état de grâce. C'est la foi d'une vierge sage (cf. Mt. 25, 1-13), qui veille sans cesse à tenir sa lampe allumée au foyer de la charité divine, attendant la venue de l'Epoux qui l'emmènera dans le Royaume éternel.
La foi est ce contact qui nous met en relation avec le monde surnaturel. L'acte de foi nous fait entrer dans le divin : nous sommes déjà en communion avec la Sainte Trinité dans le Christ. C'est le passage obligé pour la justification et pour le salut : « Celui qui est juste par la foi vivra » éternellement (Rm. 1, 17).
« Mystère de foi ! » L'Eglise proclame sa foi et révèle le mystère caché sous les apparences du pain et du vin : « Nous proclamons ta mort, Seigneur Jésus, nous célébrons ta résurrection, nous attendons ta venue dans la gloire. »
Cette proclamation solennelle de l'Eglise en l'accomplissement du Sacrifice rédempteur permet - pour ainsi dire - à Dieu de répandre sur ses fidèles - ceux qui croient - les grâces abondantes de sanctification et de salut. « Approchons-nous donc avec confiance du trône de la grâce, afin d'obtenir miséricorde et de trouver la grâce d'un secours opportun.» (He. 4, 16)
b) votre action créatrice : Ces trois mots renferment la clé de toute l'Histoire du Salut. C'est l'action créatrice de Dieu qui opère en l'âme en vertu de sa foi, laquelle est don de l'Esprit-Saint et réponse de l'homme qui accueille ce don. Ainsi la foi « est un changement intérieur et une transformation, elle fait demeurer dans la grâce du Saint-Esprit qui renouvelle l'homme. Elle veut la réorientation vers les réalités du Royaume qui vient et qui, dès maintenant, commence à transformer les réalités de ce monde. » (Commission mixte internationale de dialogue théologique entre l'Eglise catholique et l'Eglise orthodoxe - cinquième réunion plénière - Bari, 9-16 juin 1987 - "Foi, sacrements et unité de l'Eglise" - I, n° 11 - dans "La Pensée catholique", sept.-oct. 1987, pages 80 à 90 - Parmi les membres catholiques : cardinaux Willebrands, Pappalardo, Etchegaray, Wetter. [En abrégé, nous citerons : Commission mixte, Bari, 1987])
Dans la grande Anaphore, entre la consécration et la communion, l'Eglise célèbre les merveilles de Dieu : elle offre le Corps et le Sang du Christ au Père éternel et elle s'offre aussi dans l'unité de l'Esprit-Saint. Cette offrande, c'est la réponse de foi de l'Eglise au Mystère présent : le Mémorial de la Passion et de la Résurrection du Seigneur Jésus. Mais cette action de s'offrir par le Christ, avec Lui, et en Lui, n'est pas sans rapport avec l'obtention du fruit du Sacrifice de la Croix que le Seigneur accorde à son Eglise par l'Eucharistie. L'Eglise qui s'offre ainsi, c'est l'Eglise qui s'édifie : l'Esprit-Saint réalise son oeuvre de création dans le Corps mystique du Christ. « Je trouve la joie dans les souffrances que je supporte pour vous, car ce qu'il reste à souffrir des épreuves du Christ, je l'accomplis dans ma propre chair, pour son corps qui est l'Eglise. » (Col. 1, 24)
Elisabeth, qui demande d'être "livrée" à l'action
créatrice de Dieu, nous introduit par le fait même au centre
de sa prière, tout comme l'acclamation "Mysterium fidei" nous conduit
à l'action de l'Eglise au sein de la Prière eucharistique.
3. O mon Christ aimé, crucifié par amour, je voudrais
être une épouse pour votre Coeur ; je voudrais Vous couvrir
de gloire, je voudrais Vous aimer jusqu'à en mourir ! Mais je sens
mon impuissance et je vous demande de me revêtir de Vous-même,
d'identifier mon âme à tous les mouvements de Votre Ame, de
me submerger, de m'envahir, de Vous substituer à moi, afin que ma
vie ne soit qu'un rayonnement de votre Vie. Venez en moi comme Adorateur, comme Réparateur et comme Sauveur.
Dans ce long paragraphe, Elisabeth développe avec ampleur et lyrisme le thème unique de sa prière : l'adoration de la Trinité par le Christ, avec Lui et en Lui. Ici-bas, cette adoration ne peut se faire que dans la foi et l'espérance : foi en la présence de Celui que l'on ne voit pas, espérance de posséder éternellement ce divin Epoux auquel on croit. Mais cette adoration ne se réalisera concrètement que si nous communions au sacrifice rédempteur de la Croix, comme le dit l'Apôtre : « Nous sommes héritiers de Dieu, et cohéritiers du Christ, pourvu que nous souffrions avec lui, de manière à être également glorifiés avec lui. » (Rm. 8, 17). Ainsi, en glorifiant ses créatures, Dieu leur procure le salut, et pour lui-même la gloire et l'adoration.
C'est de cette manière que, dans la célébration de l'Eucharistie, la participation des fidèles trouve son sens vrai et plein. « Aussi l'Eglise se soucie-t-elle d'obtenir que les fidèles n'assistent pas à ce mystère de la foi comme des spectateurs étrangers et muets, mais que, le comprenant bien dans ses rites et ses prières, ils participent consciemment, pieusement et activement à l'action sacrée... ; qu'offrant la victime sans tache, non seulement par les mains du prêtre, mais aussi ensemble avec lui, ils apprennent à s'offrir eux-mêmes... » (Concile oecuménique Vatican II - Constitution sur la sainte Liturgie "Sacrosanctun concilium", n° 48.)
une épouse pour votre coeur : La religieuse, la vierge consacrée est certes l'épouse du Christ par le lien de sa profession. Par ses voeux, l'âme consacrée s'engage à imiter parfaitement le Christ jusqu'à la mort. Elle reçoit comme un nouveau baptême, comme une extension de la confirmation. Mais l'Eglise aussi est appelée Epouse du Christ (cf. Ap. 19, 7). Tout membre de l'Eglise, toute âme baptisée et confirmée qui a le souci de son salut, peut donc être appelée épouse : la fin dernière de tout homme est en effet l'union à Dieu dans le Ciel, union qui se réalise déjà ici-bas par la conformité à la volonté divine, et par la communion eucharistique, gage de la vie éternelle.
Dans la célébration eucharistique, l'Eglise agit en véritable
épouse du Christ. « Cette offrande, qui suit la consécration,
est un certain témoignage que toute l'Eglise consent à l'oblation
faite par le Christ et qu'elle offre ensemble avec lui. » (Saint
Robert Bellarmin, cité par S.S. Pie XII, Encyclique "Mediator Dei",
20 nov. 1947, A.A.S. 39, p. 554 - Denzinger - Schönmetzer n° 3851.)
Par le témoignage de sa foi - don de l'Esprit et réponse
de l'homme qui accueille ce don - au Mystère présent, l'Eglise
répond au consentement de son Epoux réalisé par l'Incarnation
et manifesté par le Sacrifice de la Croix. L'Alliance dans
le Sang du Christ, qui est notre « baptême en sa mort »
(Rm. 6, 4) s'étend en quelque sorte dans les membres du Corps mystique
du Christ pour leur confirmation dans la foi. Remplie de confiance, animée
d'une foi vive et d'une espérance sans borne, l'Eglise s'exprime
en ces termes : « En faisant mémoire de ton Fils, ... nous
te présentons cette offrande vivante et sainte pour te rendre grâces
», c'est-à-dire, pour t'adorer ... (Missel Romain - Prière
eucharistique n° 3).
4. O verbe éternel, Parole de mon Dieu, je veux passer ma vie
à Vous écouter, je veux me faire tout enseignable afin d'apprendre
tout de Vous ; puis, à travers toutes les nuits, tous les vides,
toutes les impuissances, je veux Vous fixer toujours et demeurer sous votre
grande lumière. O mon Astre aimé, fascinez-moi pour que je
ne puisse plus sortir de votre rayonnement.
Ce paragraphe adressé au Verbe développe et intériorise le précédent adressé au Christ, le Verbe incarné. Progressivement, Elisabeth nous fait avancer dans ce mystère profond de l'adoration.
Pour devenir l'épouse du Christ, l'âme doit se laisser pénétrer par ce qu'il y a de divin dans la personne du Rédempteur : le Verbe de Vie, lequel s'est fait homme afin que l'homme devienne Dieu. Mais la Sagesse éternelle, la Grâce incréée veut se faire prier : elle ne vient pas en nous sans notre consentement. Il faut que nous manifestions notre désir d'être disposée à l'écouter et à apprendre tout de son Amour tout-puissant et miséricordieux. C'est ce que le Seigneur enseigna aux disciples lors de la Dernière Cène, lorsqu'il dit : « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi fera aussi les oeuvres que moi je fais ; il en fera même de plus grandes, parce que je vais auprès du Père. Et tout ce que vous demanderez en mon nom je le ferai, afin que le Père soit glorifié dans le Fils. » (Jn. 14, 12-13)
Dans la liturgie, le Christ nous enseigne aujourd'hui encore lorsque le diacre ou le prêtre proclame l'Evangile, mais aussi et surtout lorsque le célébrant annonce les merveilles de la Rédemption dans le mémorial eucharistique. Au sein même de l'offrande qui suit la consécration, nous trouvons, dans le Canon romain, un exemple de cet enseignement. Le prêtre rappelle à Dieu les sacrifices qu'il agréa dans l'Ancienne Alliance ; ou plutôt, le Christ par le prêtre, rappelle cela à l'Eglise, car, pour Dieu, tout est présent, il n'a nul besoin qu'on lui rappelle quelque chose. « Et comme il t'a plu d'accueillir les présents d'Abel le Juste, le sacrifice de notre père Abraham, et celui que t'offrit Melkisédek, ton grand-prêtre ... »
Mais l'agent invisible et cependant toujours présent qui nous fera pénétrer davantage dans la science du Christ, c'est l'Esprit-Saint, l'Ange de l'Eglise (cf. Ap. 1, 4), celui qui nous « guidera vers la vérité tout entière » (Jn. 16, 13), qui nous revêtira de « l'homme nouveau, créé saint et juste dans la vérité, à l'image de Dieu. » (Ep. 4, 24)
votre rayonnement : Ce "rayonnement", issu de la "grande lumière" de l'"Astre aimé", n'est autre que l'action de l'Esprit-Saint dans les âmes. Saint Augustin, commentant ce passage de l'Ecriture « Revêtu de magnificence, tu as pour manteau la lumière ! » (Ps. 103, 2) nous apprend en effet que le Christ « a pris pour vêtement son Eglise ; parce que, en Lui, est devenue lumière celle qui auparavant était ténèbres en elle, selon ce qui l'Apôtre enseigne : "Jadis vous étiez ténèbres, mais maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur." (Ep. 5, 8) » (Saint Augustin - PL 37 ; 1352) Mais ce qui fait que le vêtement du Christ, l'Eglise, devient lumière, c'est l'Esprit-Saint, qui « agit dans l'histoire de l'homme comme "un autre Paraclet", assurant durablement la transmission et le rayonnement de la Bonne Nouvelle révélée par Jésus de Nazareth. » (S.S. Jean-Paul II - Encyclique "Dominum et vivificantem" - première partie, n° 7, page 13). L'Epouse du Christ ne sera donc telle que par l'accueil de la Personne-Don qui la transformera et la rendra semblable au Christ crucifié et ressucité : l'Esprit-Saint prépare l'Epouse pour le jour des noces éternelles (cf. Ap. 19, 7-9).
Dans la Prière eucharistique, accueillant avec foi les dons de Dieu et les offrant avec espérance, l'Eglise exprime son désir que l'Esprit-Saint accomplisse en elle sa mission : augmenter sans cesse cette mystérieuse Alliance avec la Parole incarnée, avancer toujours plus profondément dans ce « grand mystère du Christ et de l'Eglise. » (cf. Ep. 5, 32) « Le "mysterium Christi" dans son intégralité exige la foi, parce que c'est la foi qui introduit véritablement l'homme dans la réalité du mystère révélé. "Introduire dans la vérité tout entière", cela s'accomplit donc dans la foi et par la foi : c'est l'oeuvre de l'Esprit de vérité et le fruit de son action dans l'homme. » (Ibidem, première partie, n° 6, page 13)
Par l'Eucharistie, mystère de foi par excellence, et lieu des
énergies de l'Esprit-Saint, « l'événement pascal
se dilate en l'Eglise » (Commission mixte internationale de dialogue
théologique entre l'Eglise catholique romaine et l'Eglise orthodoxe
- deuxième réunion plénière - Munich, 30 juin
/ 6 juillet 1982 - "Le Mystère de l'Eglise et de l'Eucharistie à
la lumière du Mystère de la Sainte Trinité" - I, n°
4-b - dans la "Pensée catholique" sept.-oct.1987, pages 70 à
79 - Parmi les membres catholiques : cardinaux Willebrands, Baum, Ratzinger,
Etchegaray. [En abrégé, nous citerons : Commission mixte,
Munich, 1982.]) Le Christ, Lumière des nations, rayonne dans son
Eglise, et par elle, dans le monde.
5. O Feu consumant, Esprit d'amour, survenez en moi afin qu'il se fasse
en mon âme comme une incarnation du Verbe ; que je Lui sois une humanité
de surcroît en laquelle il renouvelle tout son Mystère.
Par ces quelques mots, Elisabeth nous livre tout l'essentiel de ce que l'Esprit lui souffle dans l'âme. Quelques lignes lui suffisent pour résumer sa prière et nous rappeler toute l'économie du Salut.
De même, dans la Prière eucharistique, l'épiclèse ou invocation à l'Esprit-Saint est le résumé et l'expression privilégiée de l'action de l'Eglise qui offre le Corps et le Sang du Sauveur. Cette prière nous révèle le mystère qui s'accomplit par la célébration eucharistique : elle est comme le lien qui réunit les deux actions sacramentelles de la consécration et de la communion.
Elisabeth a donc composé une épiclèse, une des plus denses qui soient, tant par son contenu doctrinal que par ses images, approchant ainsi de très près le riche symbolisme de l'épiclèse du Canon romain. En vertu de cette densité et de cette richesse, il nous suffira donc ici de commenter l'expression la plus mystérieuse comme la plus caractéristique employée par Elisabeth.
une humanité de surcroît : Il est fort probable qu'Elisabeth a trouvé cette expression dans les oeuvres de Mgr. Charles Gay ( « De la vie et des vertus chrétiennes considérées dans l'état religieux. » - Tome 1, Paris-Poitiers, Oudin 1877, p. 103 - Cf. Conrad De Meester, op. cit., Tome 2, p. 131, note 28). Après avoir montré comment le chrétien « devient une extension de la sainte humanité du Verbe et comme une humanité secondaire que Jésus daigne relier à la sienne » (Mgr. Charles Gay, ibidem, page 43), Mgr. Gay résume ainsi l'action créatrice de la Sainte Trinité dans l'âme : « Vous comprenez maintenant ce que font là ces Trois à qui la foi a comme ouvert les portes, et qui maintenant demeurent dans l'âme dont ils font leur sanctuaire. Ils y disent comme au jour où ils créèrent Adam : "Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance." (Gn. 1, 25) et ce qu'ils disent, ils le font ( ... ) C'est ainsi qu'ils font de nous cet homme nouveau et intérieur "qui est créé, dit saint Paul, dans la justice et dans la sainteté de la vérité." (Ep. 4, 3-24) Ils nous "bénissent, dans le Christ, de toute bénédiction spirituelle et céleste." (Ep. 1, 3) Ils nous "baptisent dans l'Esprit-Saint et dans le feu" (Ac. 1, 5), c'est-à-dire dans l'amour ( ... ) Ils font de nous de vrais christs » (Ibidem, page 48).
Cet état de conformité au Christ, qui est en germe dans l'âme par le baptême et l'état de grâce, va toujours croissant par l'action de l'Esprit-Saint dans l'âme priante et pénitente. « Ainsi l'état premier, déjà si divin, va se divinisant toujours. "Le Seigneur est Esprit, et là où est l'Esprit du Seigneur, là est la liberté", c'est-à-dire la puissance d'aller à sa fin énergiquement et sans obstacle. "C'est pourquoi, continue l'Apôtre, nous tous qui, par la sainte révélation évangélique, voyons à découvert cette grande gloire de Dieu qui est Jésus, ne cessant pas de le contempler, nous allons de clarté en clarté ; et sous l'action de son Saint-Esprit, nous nous transformons peu à peu en son image qui est toujours la même." (II Co. 3, 17) » (Ibidem, page 50)
La liturgie n'enseigne pas autre chose. « Regarde, Seigneur, cette offrande que tu as donnée toi-même à ton Eglise ; accorde à tous ceux qui vont partager ce pain et boire à cette coupe d'être rassemblés par l'Esprit-Saint en un seul corps, pour qu'ils soient eux-mêmes dans le Christ une vivante offrande à la louange de ta gloire. » (Missel Romain - Prière eucharistique n° 4). L'épiclèse eucharistique se trouve comme au centre de cette offrande de l'Eglise : elle en est le résumé. En effet, dans cette prière, l'Eglise « mue par la foi, supplie le Père, par le Fils, d'envoyer l'Esprit pour que dans l'unique oblation du Fils incarné tout soit consommé dans l'unité. » (Commission mixte, Munich, 1982 - I, n°6). L'Eglise demande à communier réellement, par l'Esprit-Saint, à l'offrande de la Croix, afin qu'elle devienne semblable au Christ mort et ressuscité. Ainsi, « l'Eucharistie édifie l'Eglise, en ce sens que par elle l'Esprit du Christ ressuscité façonne l'Eglise en Corps du Christ. » (Ibidem - I, n° 4-c).
Communier à l'oblation du Fils incarné, c'est communier à l'Alliance nouvelle et éternelle, c'est la faire sienne par l'Esprit-Saint, l'Alliance dans le Sang du Christ s'étend en quelque sorte dans l'Eglise (voir ci-dessus : n° 3). Mais communier à l'oblation du Fils incarné, c'est aussi reproduire en soi cette oblation, c'est s'offrir comme le Christ « en sacrifice vivant, saint, agréable à Dieu, en guise de culte spirituel » (Rm. 12, 1), afin d'être vraiment ces « pierres vivantes qui servent à construire le Temple spirituel » (1 P. 2, 5). Communier à l'oblation du Fils incarné, c'est donc l'action de l'Eglise qui s'offre au Père en union avec l'offrande du Christ, afin que, par le don de l'Esprit, elle parvienne « à l'unité dans la foi et la vraie connaissance du Fils de Dieu, à l'état de l'Homme parfait, à la plénitude de la stature du Christ. » (Ep. 4, 13)
Dans l'épiclèse, l'Eglise exprime donc son désir
d'être Hostie, Victime, "le Corps du Christ"; elle demande de devenir
toujours davantage le Corps mystique du Christ, d'être pour celui-ci
"une humanité de surcroît, en laquelle il renouvelle tout
son mystère".
6. Et vous, ô Père, penchez-Vous vers votre pauvre petite
créature, couvrez-la de votre ombre, ne voyez en elle que le Bien-Aimé
en lequel Vous avez mis toutes vos complaisances.
Cette invocation au Père développe et personnalise l'invocation à l'Esprit-Saint qui la précède. Dans la pensée d'Elisabeth, ces deux invocations forment un tout (voir le manuscrit et la présentation donnée par le Père De Meester, op. cit., Tome 2, p. 126). Invoquer l'Esprit, c'est le recevoir dans nos coeurs afin que, par son action, nous devenions vraiment des fils du Père céleste, comme l'enseigne Saint Paul : « La preuve que vous êtes bien des fils, c'est que Dieu a envoyé dans nos coeurs l'Esprit de son Fils, l'Esprit qui crie : " Abba ! Père ! " » (Ga. 4, 6)
Les intercessions pour les vivants et les défunts, qui suivent l'épiclèse, et, d'une manière générale, la célébration eucharistique entière, ainsi que la liturgie des Heures qui en est le rayonnement, constituent un développement et une permanence de la prière épiclétique. « L'Eglise est perpétuellement en état d'épiclèse. » (Commission mixte, Munich, 1982 - I, n° 5-c)
votre créature : Elisabeth s'adresse à Dieu non plus comme "une humanité de surcroît" quelconque et indéfinie, mais bien comme "sa" créature. Tout chrétien, et, plus encore, toute âme consacrée, est créature de Dieu, semblable à Adam créé dès l'origine, et conforme au Christ par le baptême et la chrismation. L'âme priante et adorante est un reflet du Christ : elle se revêt alors de « l'homme nouveau qui ne cesse de se renouveler à l'image de celui qui l'a créé. » (Col. 3, 10) Par la présence de l'Esprit qui prie en elle (cf. Rm. 8, 15-26), l'âme est comme transfigurée sur le chemin de sa passion et de sa résurrection totale : purifiée de ses péchés et transformée par la grâce, elle est cette nouvelle créature qui s'offre en louange de gloire au Père, comme le "Bien Aimé en qui il a mis toutes ses complaisances" (Le Père De Meester fait remarquer qu'Elisabeth se réfère ici à la scène de la Transfiguration (Mt. 17, 5) - op. cit. - tome 2 - page 131, notes 30 et 31).
Dans la Prière eucharistique, l'Eglise prie pour chacun de ses enfants, créatures du Père : l'Eglise ne sera vraiment le Corps du Christ que si chacun de ses membres, en accueillant le don de l'Esprit, épouse le Christ mort et ressuscité afin de n'être qu'un avec Lui. Par là, s'accomplit ce grand mystère du Christ et de l'Eglise (cf. Ep. 5, 32). « A nous qui sommes tes enfants, accorde, Père très bon, l'héritage de la vie éternelle auprès de la Vierge Marie, la bienheureuse Mère de Dieu, auprès des Apôtres et de tous les saints, dans ton Royaume, où nous pourrons, avec la création tout entière enfin libérée du péché et de la mort, te glorifier par le Christ, notre Seigneur, par qui tu donnes au monde toute grâce et tout bien. » (Missel Romain - Prière eucharistique n° 4)
Ainsi, à la prière de l'Eglise, notre Père céleste
se penche vers "ses pauvres petites créatures" libérées
du péché, vers ces "hommes nouveaux" qu'il « a d'avance
destinés à devenir pour lui des fils par Jésus-Christ
: voilà ce qu'il a voulu dans sa bienveillance à la louange
de sa gloire, de cette grâce dont il nous a comblés en son
Fils bien-aimé. » (Ep. 1, 5-6)
7. O mes trois, mon Tout, ma Béatitude, Solitude infinie, Immensité où je me perds, je me livre à Vous comme une proie ; ensevelissez-Vous en moi, pour que je m'ensevelisse en Vous, en attendant d'aller contempler en votre lumière l'abîme de vos grandeurs.
A la fin de sa prière, tout comme au début, Elisabeth
s'adresse à la Trinité en couronnant ainsi son thème
central de l'adoration. Créé par la Trinité, l'homme
est re-créé dans le Christ par l'Esprit-Saint pour être
une "louange de gloire" dans le Ciel. Mais ce qu'elle espère
être pour l'éternité, Elisabeth le réalise déjà
dans le temps en s'unissant au Dieu un et trine par un acte d'offrande
accompli dans la foi et la charité.
La Prière eucharistique se termine d'une manière semblable par la grande doxologie, ou "parole de gloire", accompagnée par la petite élévation. C'est la dernière expression de l'action de l'Eglise qui offre l'Eucharistie, Mystère trinitaire et Sacrement de l'unité, dans laquelle l'Eglise s'offre aussi elle-même. Cette prière nous introduit aussitôt dans l'action sacramentelle de la communion laquelle anticipe la communion éternelle des élus dans la gloire.
a) je me livre à Vous : Expression la plus caractéristique de toute cette prière : Elisabeth nous révèle que son élévation est tout à la fois prière et offrande. L'âme qui prie, qui adore vraiment "en esprit et en vérité", est celle qui s'offre à la divinité, sa fin ultime ; c'est celle qui, par la prière, s'ouvre à l'action de l'Esprit afin qu'Il la re-crée à son image (cf. Gn.1, 27).
Dans la liturgie, l'Eglise couronne par des paroles et par des gestes - l'élévation - l'acte d'offrande du Corps et du Sang du Seigneur par lequel elle accueille le Don de l'Esprit-Saint. La doxologie finale de la Prière eucharistique reprend tout à la fois l'offrande de l'anamnèse, l'épiclèse et les intercessions, afin que l'assemblée puisse ratifier la Prière du prêtre et la faire sienne tout en manifestant l'acte d'offrande intérieur de chaque participant. « Par Lui, avec Lui et en Lui, à toi, Dieu le Père tout-puissant, dans l'unité du Saint-Esprit, tout honneur et toute gloire, pour les siècles des siècles. - Amen. »
b) ensevelissez-Vous en moi : Dieu est toujours premier dans l'action sanctificatrice et rédemptrice. Une fois accueilli par l'acte de foi, Dieu vient demeurer dans l'âme pour y établir sa demeure (cf. Jn. 14, 23) et la transformer en lui pour la diviniser. Ainsi devenue semblable à son divin Epoux, l'âme livrée, l'épouse s'offrant en "louange de gloire", se perd dans l'immensité de la divinité et s'ensevelit déjà dans la Béatitude infinie, en attendant de pouvoir répandre toute sa substance dans la Communion éternelle. De la sorte, se réalise ce qu'Elisabeth demandait au début de sa prière : « que chaque minute m'emporte plus loin dans la profondeur de votre Mystère » (voir n° 1).
Par la communion eucharistique, dont la petite élévation servait autrefois de signal et d'invitation, « les fidèles croissent en cette divinisation mystérieuse qui accomplit leur demeure dans le Fils et le Père, par l'Esprit. » (Commission mixte, Munich, 1982 - I, n° 4-b) Tout chrétien digne de ce Nom, celui qui vit en état de grâce, conformément aux engagements de son baptême et de sa confirmation, peut alors redire avec Saint Paul : «Avec le Christ, je suis fixé à la croix : je vis, mais ce n'est plus moi, c'est le Christ qui vit en moi. Ma vie d'aujourd'hui, dans la condition humaine, je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m'a aimé et qui s'est livré pour moi.» (Ga. 2, 20)
Baptisée dans le Sang du Christ, confirmée par l'envoi
de l'Esprit-Saint, l'Eglise devient vraiment prêtre par la communion
: unie à l'unique Médiateur et Prêtre Jésus-Christ,
elle s'offre en sacrifice spirituel à la louange du Père,
dans l'attente de la plénitude de son Salut.
Par son offrande, sous forme de prière, ou par sa communion eucharistique, Elisabeth demeure dans le Christ, et le Christ demeure en elle, selon la promesse du Sauveur : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi en lui. » (Jn. 6, 56) Ainsi, Elisabeth est vraiment « le corps du Christ » (1 Co. 12, 27) ; elle est "chrétienne" dans toute la plénitude du mot ; elle est un autre Joseph, que Dieu a donné à l'Eglise comme « exemple insigne, exemple qui ne concerne pas tel état de vie particulier mais est proposé à toute la communauté chrétienne, quelles que soient en elle la condition et les tâches de chaque fidèle. » (S.S. Jean-Paul II - Exhortation apostolique "Redemptoris custos", sur Saint Joseph dans la vie du Christ et de l'Eglise - Editions du Centurion, 1989 - VI, n° 30, pages 42 et 43)
Eveillée en sa foi, toute livrée à l'action créatrice de la grâce divine, Elisabeth est plongée dans le Mystère du Verbe incarné, tout comme Joseph, qui fut le premier, « en même temps que Marie », à participer « à la phase culminante de cette révélation que Dieu fait de lui-même dans le Christ. » (Ibid., II, n° 5, page 11) Elisabeth, par sa foi, qui l'unit au Christ, est un autre Joseph, celui qui fut «le premier à participer à la foi de la Mère de Dieu.» (Ibid.) Par sa foi vive, animée par la charité, Elisabeth communie au Mystère divin en participant, d'une certaine manière, à la foi de Marie, comme tous et chacun des fidèles, dont Joseph est l'exemple insigne : la « foi de Marie, qui marque le commencement de l'Alliance nouvelle et éternelle de Dieu avec l'humanité en Jésus-Christ demeure au coeur de l'Eglise, cachée comme un héritage spécial de la révélation de Dieu. Tous ceux qui participent à cet héritage mystérieux de génération en génération, acceptant le témoignage apostolique de l'Eglise, participent, en un sens, à la foi de Marie. » (S.S. Jean-Paul II - Encyclique "Redemptoris mater", sur la bienheureuse Vierge Marie dans la vie de l'Eglise en marche - Libr. Editr. Vaticana / Editions Mediaspaul, Paris, 1987 - deuxième partie, n° 27, pages 58 et 59)
Désirant de toute son âme épouser le Christ (voir n° 3), Elisabeth, par sa foi, offre toute sa personne à la Sainte Trinité : la foi d'Elisabeth est une foi sponsale. Or, Joseph, lui, est Epoux de Marie ; il a donné toute sa personne à Marie ; il a donné toute sa foi à Marie et réciproquement, Marie a donné toute sa foi à Joseph « la foi de Marie rencontre la foi de Joseph. » (S.S. Jean-Paul II - Exhort. apost. "Redemptoris custos" - II, n° 4, page 9) Donc, Elisabeth, en tant qu'elle est un autre Joseph, est comme l'épouse de Marie dans la foi : afin d'offrir toute sa personne à la Sainte Trinité dans le Christ, elle s'offre directement à Marie, qui est sa Médiatrice auprès du Rédempteur. Ainsi, Elisabeth n'est plus à elle, mais elle est à Marie ; Elisabeth a donné à Marie sa foi, pour que cette même foi ne fasse qu'un avec la foi de Marie, la « seule foi » (Ep. 4, 5).
Unies dans la foi venant de l'Esprit-Saint, Marie et Elisabeth s'offrent
à la Trinité bienheureuse dans un seul et même acte
: l'offrande d'Elisabeth n'est autre que l'offrande de Marie elle-même.
Aussi, la belle prière que nous avons parcourue à la lumière
de la Prière eucharistique, Elisabeth la rédigea, guidée
par la Providence de l'Esprit de Dieu (Elisabeth rédigea sa prière
le jour où elle renouvelait ses voeux, et donc, son offrande d'elle-même
: « Ce jour-là après la Messe, les Carmélites
renouvelaient leur voeux religieux à l'oratoire. Elisabeth a rédigé
sa prière au cours de la journée ou pendant l'heure du grand
silence, on ne travaillait pas ce jour-là. Il importe beaucoup de
noter que le matin même, en 1904, s'achevait une retraite prêchée
par le Père Fages, dominicain. Commencée le soir du 12 novembre,
elle s'était poursuivie pendant huit jours pleins ... » (Père
De Meester, op. cit., Tome 2, p. 127, note 2)), au jour où l'Eglise,
dans sa liturgie, se souvient de l'offrande de Marie à Dieu célébrée
sous l'appellation de « Présentation de Marie du Temple »,
le 21 novembre 1904. Elisabeth, en indiquant cette date, a donc merveilleusement
achevé cet acte d'offrande de toute sa personne ; étant encore
dans le temps, cette date lui rappelle ce qu'elle est déjà
sur terre, en espérant l'être aussi dans le Ciel pour l'éternité
: cette date lui rappelle son nom, expression de toute la personne, nom
qui veut dire « Maison de Dieu ».
Prière composée par la bienheureuse
Elisabeth de la Trinité.
1. O mon Dieu, Trinité que j'adore, aidez-moi à
m'oublier entièrement pour m'établir en vous, immobile et
paisible, comme si déjà mon âme était dans l'éternité
! Que rien ne puisse troubler ma paix ni me faire sortir de Vous,
ô mon Immuable, mais que chaque minute m'emporte plus loin dans la
profondeur de votre Mystère !
2a. Pacifiez mon âme, faites-en votre ciel, votre demeure aimée et le lieu de votre repos.
2b. Que je ne Vous y laisse jamais seul, mais que je sois là
toute entière, toute éveillée en ma foi, toute adorante,
toute livrée à votre action créatrice.
3. O mon Christ aimé, crucifié par amour, je voudrais être une épouse pour votre Coeur ; je voudrais Vous couvrir de gloire, je voudrais vous aimer jusqu'à en mourir ! Mais je sens mon impuissance et je vous demande de me revêtir de Vous-même, d'identifier mon âme à tous les mouvements de Votre Ame, de me submerger, de m'envahir, de Vous substituer à moi, afin que ma vie ne soit qu'un rayonnement de votre Vie. Venez en moi comme Adorateur, comme Réparateur et comme Sauveur.
4. O verbe éternel, Parole de mon Dieu, je veux passer ma vie
à Vous écouter, je veux me faire tout enseignable afin d'apprendre
tout de Vous puis, à travers toutes les nuits, tous les vides, toutes
les impuissances, je veux Vous fixer toujours et demeurer sous votre grande
lumière. O mon Astre aimé, fascinez-moi pour que je ne puisse
plus sortir de votre rayonnement.
5. O Feu consumant, Esprit d'amour, survenez en moi afin qu'il se fasse
en mon âme comme une incarnation du Verbe; que je lui sois une humanité
de surcroît en laquelle il renouvelle tout son Mystère.
6. Et vous, ô Père, penchez-Vous vers votre
pauvre petite créature, couvrez-la de votre ombre, ne voyez en elle
que le Bien-Aimé en lequel Vous avez mis toutes vos complaisances.
7. O mes trois, mon Tout, ma Béatitude, Solitude infinie, Immensité
où je me perds, je me livre à Vous comme une proie ; ensevelissez-Vous
en moi, pour que je m'ensevelisse en Vous, en attendant d'aller contempler
en votre lumière l'abîme de vos grandeurs.